Pourquoi le mouvement M.A.L.I. n’a pas participé au sit-in “pro-avortement” à Rabat ?

Ibtissame Betty Lachgar
MALI Maroc
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7 min readJun 28, 2019

Parce que le droit d’avorter n’a — absolument — rien à voir avec des poupons

L’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC) a organisé un sit-in pour le “droit à l’avortement” le 25 juin 2019 devant le Parlement. L’idée ? Déposer des poupées portant l’inscription « 453 », en référence à l’article du Code pénal punissant le recours à l’avortement sauf en cas de danger pour la femme enceinte.

Tout sauf une bonne idée

Le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (M.A.L.I.), mouvement féministe, universaliste et laïque, qui lutte en faveur du droit à l’avortement pour TOUTES, donc la dépénalisation totale et sans conditions de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG), tient à se démarquer fermement de cette action dominée par une vision patriarcale, où les femmes — premières concernées, s’il fallait le rappeler — n’ont pas droit de cité.

En effet, l’AMLAC et ses poupons ne font que recycler le point de vue des “pro-vie” ou plus exactement “anti-choix” en faisant l’amalgame entre des sujets très distincts : l’urgence sanitaire d’une dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse pour mettre fin aux avortements clandestins d’une part, et la question sociétale de l’abandon d’enfant d’autre part.

Cette action fait ainsi l’économie d’une analyse pertinente du sujet de l’avortement, où la lumière devrait être mise sur sa non-prise en charge sous l’angle de la santé publique et/ou sur la question centrale sur les droits des femmes.

Mon corps, mes règles

Les concepts relatifs à l’autonomie des femmes et à leur droit fondamental de disposer de leur corps sont totalement fourvoyés et détournés dans ce positionnement qui ne sert pas la cause, mais renforce une vision patriarcale de ce que les femmes devraient, ou non, faire de leur corps.

Cette gestion paternaliste consiste à expliquer aux femmes ce qu’est, ou n’est pas, un avortement sans leur donner la parole alors qu’elles sont les premières concernées.

La reprise du discours patriarcal est évidente lorsque l’AMLAC parle de “bébés” alors qu’il est en réalité question d’amas de cellules, d’embryon ou de fœtus. M.A.L.I., en tant que mouvement féministe, universaliste et laïque, exprime sa profonde indignation et renouvelle son engagement pour le droit des FEMMES à disposer (vraiment) de leur corps, à savoir de choisir d’avoir un·e enfant ou pas, et ceci quand elles le souhaitent.

Pendant ce temps la lutte continue

La législation répressive criminalisant le recours à l’avortement engendre de graves violations des droits des femmes, qui sont dans l’incapacité de contrôler leur propre corps, donc leur existence — en les réduisant à de vulgaires biens publics — sous la houlette du patriarcat.

Nous continuons d’exiger l’abrogation de ces lois liberticides et féminicides et rappelons que le droit à l’avortement fait partie intégrante des droits humains, auxquels la moitié de l’humanité que sont les femmes devrait prétendre sans entrave.

Pour rappel, une femme décède toutes les 9 minutes dans le monde des suites d’un avortement à risque ou clandestin. Le libre choix des femmes à disposer de leur corps, de leur sexualité et/ou de leur maternité n’est pas négociable. Nous ne saurons accepter ni même tolérer le cas par cas.

Le droit à l’avortement est un droit fondamental pour les femmes.

M.A.L.I. réaffirme donc que les droits sexuels et reproductifs doivent être considérés comme des droits inaliénables des femmes : il est urgent de les considérer comme tels.

Qu’en est-il ?

Le 16 mars 2015, en plein débat sur les dangers de l’avortement clandestin, le roi Mohammed VI se saisissait du dossier. Il chargeait le ministre de la Justice et des libertés de l’époque Mustapha Ramid (actuel ministre des Droits Humains) et le ministre des Affaires Islamiques Ahmed Taoufiq ainsi que Driss El Yazami, président du CNDH, de mener des consultations élargies avec les religieux et la société civile sur la question.

Quatre hommes pour régir le corps des femmes.

La commission conclut donc que l’avortement n’est légal que dans trois cas seulement : « Lorsque la grossesse constitue un danger pour la vie et la santé de la mère » (Sic –femme enceinte-), en cas de « graves malformations et de maladies incurables que le fœtus pourrait contracter » et enfin lorsque « la grossesse résulte d’un viol ou d’inceste ».
Le projet de loi amendant le code pénal a été adopté par le Conseil de gouvernement jeudi 9 juin 2016.

M.A.L.I., mouvement pro-choix se prononce depuis de nombreuses années en faveur du droit à l’avortement, c’est-à-dire qu’il s’opposera toujours à toute restriction du libre choix des filles et des femmes.

Le projet de loi relatif à l’interruption de la grossesse se fait d’ailleurs toujours attendre. Ainsi, le groupe parlementaire du PPS (Parti du Progrès et Socialisme) a déposé une proposition de loi au mois de mai 2018 allant dans le sens du projet de loi.

Lors d’une interview (HuffPost 7 mai 2018), Madame Touria Alaoui Skalli, spécialiste en gynécologie obstétrique et députée PPS, a tenu des propos allant à l’encontre de l’égalité des droits. Il s’agit pour Madame Skalli de mettre en œuvre les recommandations émises par la commission royale, à savoir se fonder uniquement sur une approche de santé, et non de dire que l’avortement doit être libre et dépendant de la volonté individuelle des femmes.

Toutes ces positions, œuvrant dans la lignée de l’IMG (Interruption Médicale de Grossesse), entérine la stigmatisation de l’IVG (acte libre et volontaire) et oublie les fondamentaux : lutter afin que cesse l’appropriation du corps et des vies des femmes dans la sexualité et la reproduction.

Et puisqu’il s’agit de question de santé publique, privilégier la santé de certaines au dépend de celles des autres pose question.

D’autres cas sont prévus dans le texte de loi, notamment si la grossesse résulte d’un viol ou d’une relation incestueuse, ainsi dans ces cas, la personne concernée doit présenter une déclaration sur l’honneur en plus d’une demande explicite signée.

Outre le fait d’ignorer que la plus grande majorité des femmes ne porte pas plainte après un viol, il s’agit d’un pays où elles seront « accusées » de prostitution pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage ; où le viol conjugal n’est pas un crime puisque considéré comme le devoir conjugal des…épouses.

Cet assouplissement à minima fait preuve d’une hypocrisie patriarcale qui exprime non seulement l’infantilisation des femmes mais aussi une certaine condescendance quant à leur autonomie et leur émancipation.

Cette lutte orientée reconduit et cautionne la domination masculine en ne cessant d’affirmer le contrôle sur les femmes, de s’approprier leur utérus, de favoriser les discriminations et de nier leurs droits sexuels et reproductifs.

M.A.L.I. lutte en faveur d’un droit à l’avortement pour TOUTES ! Il est question d’égalité : égalité entre toutes les femmes tenant compte de la diversité des réalités et qui met en avant la notion du choix, quel qu’il soit, sans jugement ni contrainte.

L’avortement clandestin est une violence faite aux femmes et tant que des femmes seront encore victimes d’avortements clandestins, nous, militant-e-s au sein du M.A.L.I., ne pouvons nous réjouir. Il ne s’agit aucunement d’une avancée, mais d’une position morale et idéologique que rien ne justifie.

Nous considérons que la législation répressive criminalisant le recours à l’avortement engendre de graves violations des droits des femmes, en plus de régir le corps des femmes. Les femmes qui veulent avorter avorteront de toute façon, dans la clandestinité, en prenant des risques considérables pour leur santé. Nier ce droit à certaines femmes, c’est justement nier un problème de santé publique.

La lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps est intimement liée aux luttes pour l’équité, la justice sociale et pour l’élimination de toute forme de discrimination. Nous réaffirmons l’importance fondamentale du libre choix des femmes par rapport à leur corps, leur sexualité et leur maternité. La notion du choix dans le domaine des droits sexuels et reproductifs dépasse la seule question de l’avortement, cela sous-entend d’avoir accès à une éducation sexuelle et à des moyens de contraception adaptés.

Pour rappel, le 31 juillet 2018, nous, sympathisants et sympathisantes du mouvement, avions été consterné-es par la suspension de l’autorisation de mise sur le marché de « ARTOTEC » dont la molécule (le Misoprostol) provoque un avortement sans risques. Une décision qui met la vie de milliers de femmes en danger. Cela n’empêche pas l’équipe du mouvement de pratiquer des avortements médicamenteux. L’avortement libre et sans risques est une question de santé publique.

Nous, sympathisantes et sympathisants de M.A.L.I. appelons à l’abrogation de ces lois liberticides et sexistes, et rappelons que le droit à l’avortement est un élément structurant de l’égalité entre les femmes et les hommes. Refuser cette égalité, c’est refuser l’accès des femmes à leur autonomie, à leur choix de vie, à leur liberté.

M.A.L.I. invite la société civile, particulièrement les organisations féministes, à se mobiliser autour de la question du droit à l’avortement comme droit fondamental. Les droits sexuels et reproductifs des femmes ne sauraient être négociables. Parce que aucune personne, qu’elle soit médecin, juriste, religieuse, politique ne peut disposer à la place d’une femme de son corps et de sa vie.

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Ibtissame Betty Lachgar
MALI Maroc

Human Rights Activist. Sexual and Reproductive Rights. M.A.L.I. Alternative Movement of Individual Liberties. Clinical Psychologist/Criminologist/Victimologist