Freelancing et management : “C’est de notre résilience que dépend notre employabilité future”

Laetitia Vitaud
Malt-community
Published in
7 min readNov 29, 2017

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Selfie par Aymeril Hoang

Pour les entreprises et les managers, la montée des freelances implique de nombreux changements. Il n’est plus possible d’organiser le travail comme à l’époque du fordisme. Il n’est plus possible de manager de la même manière. Les freelances poussent à une transformation radicale du management qui concerne aussi tous ceux qui restent salariés. C’est l’objet d’une étude à venir, réalisée avec Malt (ex-Hopwork).

J’ai posé à Aymeril Hoang quelques questions sur ces transformations managériales induites par la montée du freelancing. Directeur innovation du groupe Société Générale depuis trois ans, Aymeril a été recruté pour accélérer la transformation de la Société Générale dans toutes ses dimensions : l’axe culturel, l’axe processuel (comment on s’organise ?), l’innovation technologique (quels outils on utilise ?) et l’innovation business (qu’est-ce qu’on explore comme nouveaux territoires ?).

Pourquoi la transformation est-elle si difficile ? Quels sont les enjeux auxquels vous êtes confronté ?

Les changements culturels restent difficiles, bien que l’idée que notre monde change vite commence à être acceptée partout. En effet, les transformations touchent profondément à notre rapport à la sécurité psychologique, qui se nourrit de la sécurité matérielle, des parcours garantis, de la stabilité, et de la sécurité de l’emploi. Le contrat social de l’entreprise reste un socle puissant. Mais il rend les gens moins résilients au changement.

Pour moi, cette notion de résilience est fondamentale. C’est la capacité à rebondir face à l’imprévu, face aux chocs de la vie. C’est la capacité à avoir des plans B. Dans les très grandes organisations, le système a conduit tout le monde à abandonner l’idée de résilience individuelle et collective. C’est d’ailleurs également vrai à l’échelle de toute la société : on est habitué aux contrats qui nous mettent dans une situation confortable. L’opposition entre insiders et outsiders aura tendance à grandir toujours plus vite, car toute idée de mise en danger ou de remise en cause des acquis est considérée comme inacceptable ou comme un déclin.

La mobilité interne fonctionne encore assez mal dans toutes les grandes entreprises : on protège les managers en faisant en sorte qu’ils ne puissent pas perdre les ressources sur lesquelles ils comptent. On est encore dans cette idée qu’il ne faut pas déstabiliser l’outil de production. Dans le modèle français, quand quelqu’un démissionne, on lui demande encore un préavis de trois mois pour cette raison. Dans le modèle américain, qui a bien sûr d’autres défauts, tout le monde est naturellement plus résilient parce que le talent peut partir à tout moment.

C’est de notre résilience que dépend notre employabilité future. Or beaucoup de salariés ont arrêté d’apprendre. Ils sont dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur employeur. Cette dépendance est devenue toxique dans un monde ultra-changeant où l’on doit apprendre tous les jours.

Combien d’heures avez-vous consacré à apprendre quelque chose de nouveau cette semaine ? Quelle part de votre réseau est extérieur à votre entreprise ? Voilà quelques questions qui permettent de mieux saisir son degré de dépendance vis-à-vis de l’entreprise…

Comme les processus et la hiérarchie sont assez rigides, on a tendance à faire de plus en plus appel aux acteurs extérieurs pour accélérer sa transformation. Qu’en pensez-vous ?

Les salariés ne sont pas encouragés à prendre des risques. On les met dans des silos. Donc oui, on fait appel à des prestataires externes pour prendre les risques. On travaille avec un prestataire qui a une identité, une marque, des équipes quand on a besoin de déléguer un projet de taille importante.

Avec les freelances, c’est un peu différent, car ils intègrent une équipe. C’est la question du degré de délégation entre l’interne et l’externe. Il y a un arbitrage à faire. Les grands cabinets de conseil ou SSII de réputation mondiale travaillent avec toutes les grandes entreprises. Ces acteurs ne permettent plus de se différencier.

Quand on cherche la différenciation, il faut sortir des sentiers battus et travailler avec des acteurs différents, startups ou freelances, qui ne sont pas encore référencés. Les processus sont encore un frein, de même que la fonction de réassurance que joue la marque : quand je fais appel à un cabinet de conseil en stratégie prestigieux, je couvre mes arrières. A l’inverse, si je fais appel à un petit acteur inconnu, je suis responsable en cas de problème. Cela explique en partie la frilosité.

Comment transformer les processus et faire des achats une nouvelle DRH ?

A la Société Générale, j’ai pu constater que la culture interne des achats était associée à une forte envie d’apporter de la valeur ajoutée et d’être créatif. Il y a donc un gros potentiel. Pour l’instant, Malt n’est pas dans le radar de tous car c’est un modèle nouveau. C’est un ovni.

C’est certainement avec l’angle RH que tout le monde sera progressivement conquis : les bons deviennent freelances. Malheureusement, on pense encore souvent l’inverse.

J’ai embauché des freelances que je connaissais ou des freelances en collectif, derrière une marque. Il y en a deux en particulier : Ouishare et les Barbares. La marque derrière un collectif de freelances a une valeur de réassurance : on compte sur l’autorégulation du collectif pour faire le tri et assurer la qualité.

Plus on aura des petites équipes autonomes, plus le modèle startup interne pourra être généralisé, et le recours aux freelances deviendra plus naturel. En revanche, pour les projets plus gros se pose toujours la question de l’assemblage. Les collectifs peuvent offrir un travail d’assemblage, à l’inverse des freelances isolés.

Est-ce que vous pensez que les outils de construction de réputation pourront avoir une valeur de réassurance ?

Certainement, mais cela n’est pas mon canal préféré. Je préfère la recommandation, l’idée d’un tiers de confiance qui se porte garant. Entre deux personnes notées de la même manière, je choisirai toujours la personne recommandée. Il y a un arbitrage à faire entre la dimension technique et la dimension émotionnelle des projets. Je suis persuadé que la dimension émotionnelle et artistique deviendra toujours plus importante. J’ai besoin d’individus qui adhèrent à ma cause.

Remettre de l’humanité dans les rapports professionnels est un moteur d’émancipation et d’innovation. Depuis un siècle, le taylorisme ne prend en compte que la dimension technique, le one best way et ignore les dimensions émotionnelles et artistiques.

Dans les grandes banques, les conséquences de l’automatisation seront massives. Comment gérer tout cela ?

Dans nos économies développées depuis 1945, on a donné aux gens un emploi à vie, sans imposer la nécessité d’apprendre tout au long de la vie. Il faudra que tout le monde se mette à apprendre.

Lorsque nous avons commencé à utiliser Julie Desk (un outil d’intelligence artificielle qui prend en charge la prise de rendez-vous par emails), la première réaction des assistantes a été de voir l’outil comme une menace. Maintenant, c’est vu comme un outil qui fait gagner beaucoup de temps à tout le monde. Probablement plus d’une heure par jour.

Au-delà de la transformation des métiers, la question qui se pose est celle de l’utilisation du temps gagné. Ce temps sera-t-il redonné aux salariés pour de la formation, pour d’autres projets qui créent de la valeur ?

Où en êtes-vous dans votre transformation managériale et le recours au télétravail ?

Avec Les Dunes, notre nouveau site à Val de Fontenay, nous expérimentons des nouvelles choses. Le bâtiment incarne la transformation : prévu pour 5 000 personnes, il a été conçu comme un gigantesque commun, de manière horizontale. Toute l’infrastructure est commune et profite à tous, du stagiaire au cadre dirigeant. Il n’y a aucun bureau fermé. Ces 5 000 personnes sont également libres de choisir le télétravail quand elles le désirent. C’est une expérimentation à grande échelle qui a des conséquences sur le management, qui s’ancre dans la confiance, la responsabilisation et l’autonomie. Cela représente donc un changement profond.

Qu’est-ce qui nous fait travailler ensemble ? Cette question appelle de nouvelles réponses dans une économie où les freelances montent en puissance. L’inspiration de Malt, c’est une vision forte de l’empowerment au travail. Nous sommes convaincus que les freelances sont comme des éclaireurs pour tous les autres travailleurs … et qu’ils peuvent aider les entreprises à se transformer.

En attendant de découvrir l’étude Malt “Entreprise et management : se transformer avec les freelances”, découvrez les autres articles de la collection “Futur du travail” :

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Laetitia Vitaud
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