Comment les marques et les organismes publics usent du nudge marketing pour influencer les comportements sociaux des individus ?

Alors que nous estimons être libres de nos actes et de nos pensées, ces derniers peuvent parfois être influencés par les organismes publics, les marques et leur communication. En effet, ces acteurs vont s’intéresser au comportement du consommateur afin de l’inciter à agir d’une certaine manière. Nommé « nudge marketing », cette discipline émergente a pour objectif de donner un coup de pouce à un individu, afin qu’il agisse en faveur d’une cause, sans qu’il ne s’y sente poussé ou contraint. Pour cela, les acteurs vont s’appuyer sur certains biais cognitifs et proposer une communication adaptée. Un biais cognitif caractérise un schéma de pensée trompeur et faussement logique. Cette forme de pensée permet aux individus de porter un jugement ou de prendre une décision rapidement. De plus, ces derniers influencent leur choix notamment lorsqu’ils doivent gérer une quantité importante d’informations ou que le temps pour réaliser l’action est limité. Il serait ainsi intéressant de se demander comment les marques et les organismes publics usent du nudge marketing pour influencer les comportements sociaux des individus?

D’un point de vue historique, le nudge marketing remonte aux années 1970 et est né grâce à Daniel Kahneman. En effet, ce psychologue et économiste américano-israélien a établi, lors de ses travaux sur les mécanismes décisionnels, la théorie du nudge. Il est parti du constat que les individus économiques ne sont pas des êtres purement rationnels et que beaucoup de leurs décisions sont prises en contradiction avec la raison. Cependant, cette théorie provenant des États-Unis ne s’est réellement popularisée et démocratisée qu’à partir de 2008. En effet, à cette date, deux américains portant le nom de Richard Thaler et Cass Sunstein ont décrit dans leur livre Nudge la méthode douce à appliquer pour inspirer la bonne décision. Cette pensée, s’est par la suite étendue au-delà des frontières pour arriver en France en 2010.

Le nudge marketing, théorie purement psychologique, s’est développée avec les années et a touché diverses sphères d’activités. Il a dans un premier temps impacté la sphère politique et plus précisément le mandat du président Obama. En effet, cet homme politique a instauré en 2009 la « Nudge Unit » au sein de l’administration américaine. Ce sont des structures qui proposent aux gouvernements d’utiliser les enseignements de l’économie comportementale pour améliorer l’action publique. Ainsi, le nudge marketing est devenu fortement plébiscité par les organismes publics ou les États, pour encourager des comportements positifs à l’égard d’un problème sociétal. Par exemple, l’aéroport d’Amsterdam a décidé de coller une fausse mouche à l’intérieur des urinoirs afin de retenir l’attention des hommes et de les encourager à « mieux viser ». Grâce à cette action, l’aéroport a observé une réduction de 80% des besoins de nettoyage des toilettes pour hommes. Cet exemple figure comme l’un des plus connus du nudge marketing.

Cette discipline émergente a aussi impacté les marques et leur façon de concevoir leurs actions marketing et de communication. En effet, ces dernières vont user de ce procédé pour faire valoir leur marque et inciter le consommateur à choisir leur produit plutôt que ceux d’une offre concurrente. Pour cela, ils vont venir utiliser divers procédés. Le premier étant l’effet de « mode » ou l’effet « bandwagon » et caractérise la tendance des individus à vouloir suivre ce que beaucoup d’autres individus font déjà. Ils estiment que ce que qui est fait par un grand nombre d’individus est bénéfique et que par conséquent si les autres le font, l’individu doit lui aussi le faire. Les marques vont alors actionner ce levier en insistant sur le fait que le produit ou le service vendu est déjà utilisé et apprécié par d’autres consommateurs. Nous retrouvons par exemple le site booking.com, ce dernier propose aux individus des milliers de logements dans plusieurs pays du monde. Pour appliquer ce levier à son site, booking.com a décidé de mettre en avant le nombre de réservations dans l’heure ainsi que le nombre de personnes ayant déjà séjourné dans le bien proposé. Inconsciemment, les clients se tourneront alors vers les hôtels où le nombre d’individus ayant séjourné dans l’établissement et où les réservations sont les plus élevés puisqu’ils estiment que cet engouement est un signe de qualité. Cet effet est d’autant plus renforcé lorsque les consommateurs se sentent proches des autres utilisateurs de par les goûts qu’ils partagent. Pour rester dans le domaine du voyage, nous avons par exemple, les hôtels qui mettent en avant le fait que « 75% des clients de cette chambre ont réutilisé leurs serviettes et participé à notre programme de préservation des ressources ». L’utilisation de ce levier a fonctionné puisqu’ils ont constaté une réduction de près de 40% de serviettes à laver. Nous constatons ainsi que les consommateurs sont plus enclins à suivre les comportements des précédents acheteurs, voyageurs dont ils se sentent proches.

Le second levier est le biais d’actualisation hyperbolique. Malgré son intitulé complexe, il revient simplement à dire que les individus vont avoir tendance à préférer des récompenses immédiates à des récompenses ultérieures. Cela signifie que les marques doivent présenter les bénéfices au court terme en jouant sur la gratification instantanée. Avec ce levier, le consommateur est plus à même d’adopter le bon comportement et la bonne réaction envers le produit ou le service. Pour illustrer ce levier, nous allons prendre l’exemple de la marque Zalando. Cette dernière propose à ses consommateurs un large choix de produits allant des vêtements aux produits de cosmétiques. La marque a choisi de proposer à ses clients de payer leur commande qu’après 100 jours. Par conséquent, le client est concentré sur les aspects positifs de sa démarche, ici, la réalisation de sa commande, et non sur l’aspect négatif de l’achat, le paiement. L’instauration de ce type de levier permet aux marques présentes sur le e-commerce de rassurer le consommateur envers les éventuelles interrogations qu’il peut avoir à l’égard de sa commande : Les produits vont-ils m’aller? Comment vais-je être remboursé? Et bien d’autres. En rassurant le consommateur sur ses inquiétudes et en lui proposant des réponses, ce dernier se trouve plus en capacité à réaliser ses emplettes et n’hésitera pas à passer commande.

Le troisième et dernier levier est l’effet cadre et consiste à considérer différemment une information selon la manière dont elle est présentée. Le cadre correspond au contexte dans lequel la marque va proposer son produit aux consommateurs. En effet, la manière dont la marque opère pour marketer et communiquer son produit va avoir une grande influence sur la perception du consommateur à son égard. Par exemple, la marque va davantage s’appuyer sur des éléments appréciés par les clients qu’elle souhaite cibler plutôt que sur le prix qui pourrait effrayer. Elle peut aussi dans le cadre du nudge marketing présenter la promotion effectuée sur le produit en barrant l’ancien prix, incitant les individus à profiter de cette promotion. Aujourd’hui, la majorité des marques présentes sur le e-commerce ou dans les magasins physiques usent de cette technique pour attirer un grand nombre d’individus.

Le nudge marketing est une discipline qui permet à l’émetteur d’orienter et d’accompagner le consommateur vers un comportement positif. Pour que cette démarche reste entièrement bénéfique et qu’elle soit effectuée en vue de l’intérêt commun, Richard Thaler dans un article du New York Times, apporte des précisions sur l’utilisation du nudge marketing et instaure trois règles que tout acteur doit respecter. La première est le fait d’être transparent et de ne jamais tromper l’individu. La deuxième est de ne pas contraindre l’individu à réaliser quelque chose qu’il ne souhaite pas faire, le nudge doit être facilement refusable. Enfin, l’émetteur doit apporter de bonnes raisons de croire que le comportement encouragé améliorera le bien-être collectif. Dès l’instant où l’émetteur essaye de tromper l’individu et réduit la confiance qu’il lui apporte, le nudge devient sludge. Le sludge marketing est une des conséquences de cette discipline et montre de quelle manière certains acteurs s’emparent de procédés pour arriver à leur fin.

Nous pouvons donc conclure que les organismes publics et les marques utilisent le nudge marketing pour influencer positivement le comportement du consommateur. En résumé, il est une méthode douce pour orienter subtilement les choix des individus vers l’utilisation d’un service ou d’un produit. Cette démarche doit toujours être mise en place en vue de l’intérêt commun et doit susciter une réaction positive de la part d’autrui. Dès lors que l’intérêt défendu est propre à l’émetteur le nudge marketing devient alors le sludge marketing. Ainsi, les acteurs doivent bien maîtriser les outils de ce marketing incitatif pour ne pas tomber dans ses dérives.

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