Féminisme et mode: une bonne affaire?

photographies tirées des défilés de Pragal Gurung (fashion week NY 2017)

Le mouvement féministe est-il un outil marketing efficace dans la mode (prêt à porter, haute couture, grande distribution) ? Fait-il vendre ? Comment et pourquoi ?

Des t-shirts imprimés aux accessoires à message, le féminisme semble s’inviter dans nos gardes robes depuis déjà maintenant quelques temps. Comment expliquer cette soudaine apparition du mouvement militant apparu il y a pourtant si longtemps dans la mode actuelle? S’agit-il d’une manière pour les enseignes d’exprimer leurs valeurs ainsi que de faire passer par l’intermédiaire de vêtements et autres un fort message d’ “empowerment” et de “girl power”, ou est-ce plus simplement le fruit de la pure récupération d’une tendance politique à l’impact grandissant à des fins uniquement commerciales et économiques ?

S’il est incontestable que certaines marques semblent porter au plus profond d’elles mêmes des valeurs féministes, d’autres quant à elles ne font que surfer sur la vague de ce qui s’appelle la “mode éthique”, consistant en la vente de produits mode visant à toucher l’esprit politique des consommateurs, sans parfois en partager le message transmis par ses mêmes produits. Un autre exemple flagrant de l’apparition de ce type de mode est la création de vêtements, chaussures ainsi que de sacs vegan, ou bien éco-responsables.

Tant pour les créateurs que pour les consommateurs, la mode est, depuis toujours, un moyen de s’exprimer, tout comme l’art permet de délivrer un message au travers de moyens esthétiques. La mode possède, en plus, l’avantage de désormais faire partie de la culture “mainstream”, ce qui signifie qu’elle touche une très grande partie de la population. C’est en cela qu’utiliser ce moyen pour en quelque sorte propager le féminisme semble être un biais plus qu’intéressant.

D’ailleurs, la marque suédoise de prêt à porter Monki, petite soeur d’H&M, fondée en 2006, semble elle l’avoir très bien compris. En effet, l’entreprise scandinave ne s’arrête pas à la commercialisation de 2 ou 3 simples t-shirts imprimés “#feminism” puisqu’elle va par exemple jusqu’à vendre des livres comme “feminists don’t wear pink”, en autre.

En plus de cela, la marque fait régulièrement la promotion de jeunes artistes ou fashion enthusiasts dans son édito, produit des articles au sujet de l’émancipation des femmes par la mode, des vêtements aux messages d’acceptation de soi, de self love et d’empowerment, ainsi que des campagnes inclusives (on peut trouver dans les campagnes Monki des femmes de toute morphologie, de toute couleur de peau). Et tout cela exclusivement réalisé et dirigé par des équipes de femmes. N’est-ce pas fantastique?

Malheureusement, ce parfait exemple de marque ayant opté pour une nouvelle mode vraiment engagée et féministe se fait toujours assez rare, même si l’on nous laisse croire le contraire.

Il semblerait en effet que certaines marques de vêtements, visiblement moins bêtes que misogynes, aient aussi bien compris que ce mouvement politique peut tout à fait faire vendre. Le problème est que ces dernières n’utilisent le féminisme qu’en tant que pur outil marketing: leur hypocrisie notable est-elle alors vraiment efficace?

Breaking news! On dirait bien que non. Prenons à titre d’illustration la marque de prêt à porter en ligne Store De Paris. La boutique en ligne, se spécialisant dans les t-shirts à messages, propose de nombreux articles prônant le girl power mais aussi… insinuant que les femmes sont “trop belles pour travailler”, ou encore propageant de vieux stéréotypes stipulant que les femmes sont “chiantes”, “capricieuses” et j’en passe (du coté hommes, étrangement, les messages inscrits sur les vêtements sont plutôt du genre “le boss” ou “super papa” sans oublier les innombrables phrases plus beaufs les unes que les autres, que je vous épargnerais gracieusement).

A défaut de devenir connue pour la qualité de ses vêtements, la marque a monté en notoriété à cause de son fameux t-shirt “trop belle pour travailler”, ayant fait la polémique et suscité chez de nombreuses personnes une grande colère plus que légitime.

https://www.bfmtv.com/societe/trop-jolie-pour-travailler-une-marque-de-vetements-accusee-de-sexisme-1100445.html

Suite à maintes réactions sur les réseaux sociaux ainsi que de magazines féminins de renommée, nous aurions pu nous attendre à ce que la marque reconnaisse son tort en s’excusant à propos de ce vêtement insinuant qu’une femme, en raison de son apparence physique est incompétente, mais il n’en fut rien. L’article est actuellement toujours en vente, et la marque n’a non seulement toujours pas formulé d’excuse mais a même répondu aux attaques du notable magazine Elle en lui conseillant de “respirer profondément” et en lui assurant que “ça va passer”. Et bien non, ça ne passe pas. Cette réaction, qui aurait largement pu être évitée, montre parfaitement le désintéressement total de la marque à propos du féminisme, et montre de fait son hypocrite technique marketing consistant à vendre des produits comportant des messages politisés alors mêmes que le seul intérêt manifeste ici est de se faire de l’argent. Après tout, misogynie et hypocrisie riment, n’est ce pas?

Ces deux exemples de marque, différents en tout point, montrent tous deux que des opinions de prime abord uniquement à portée politique peuvent tout aussi bien servir d’outil marketing plus ou moins efficace et pertinent.

Le féminisme est incontestablement devenu au cours de ces dernières années un outil marketing qui semble aujourd’hui être très efficace.

Une question demeure cependant: utiliser une lutte politique à des fins commerciales est-il vraiment une bonne idée, un genre de capitalisme social serait-il en train de naitre ? Il semblerait que, comme pour chaque idée, cette récente utilisation du féminisme pour faire vendre dans l’industrie de la mode comporte certains avantages comme certains inconvénients. S’il est utilisé à bon escient, afin de délivrer un message d’acceptance et de progrès, comme ce que l’on pourrait faire à travers l’art, alors cette technique de marketing se révèle, en plus d’être efficace au niveau commercial, efficace au plan politique, car cela permettrait l’intégration chez les consommateurs de messages essentiels ainsi que la promotion de ceux-ci. En revanche, si les marques concernées ne font qu’exploiter le féminisme à des fins purement économiques, cela peut être très problématique et dommageable à l’ensemble de la communauté féministe.

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