Achetez un enfant sur Instagram !

Kenza Agnaou
5 min readApr 25, 2018

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L’UNICEF, à travers ses campagnes, nous sensibilise aux maux de notre société. Elle s’appuie surtout sur des images émouvantes qui, malheureusement, sont représentatives de la réalité. L’ONG est sensible aux problèmes concernant les enfants du monde entier, notamment ceux qui sont abandonnés ou encore, ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté. Aujourd’hui, en 2018, à l’occasion de la journée mondiale contre l’esclavage infantile qui a eu lieu le 16 avril dernier, l’unicef a voulu frapper fort, une nouvelle fois, avec la campagne #NoPriceOnKids.

En 2018, plus de 150 millions d’enfants sont contraints à l’esclavage dans le monde. L’UNICEF a fait ce constat, et a donc décidé de créer une campagne de sensibilisation des plus choquantes : #NoPriceOnKids. En effet, l’organisation a publié sur son compte Instagram des photos d’enfants du monde en entier en situation de travail forcé dans des mines de charbon, dans des constructions de route ou dans des décharges… Ces photos sont accompagnées de la fonction « Shopping », on peut donc cliquer sur l’enfant pour l’acheter. En cliquant, le nom de l’enfant s’affiche, son histoire également, mais aussi son prix : 0,00€. À travers cette campagne choquante, l’UNICEF a voulu rappeler qu’à une époque où tout s’achète, la vie d’un enfant reste inestimable et que nul ne devrait commercialiser un humain, et encore moins un enfant. L’organisation a fait preuve d’un coup de maître : sous les conseils de l’agence Brand Station, elle choisit la plateforme la plus influente pour marquer le plus d’esprits possible.

Jusqu’alors, l’UNICEF s’était toujours investie auprès des enfants à travers des campagnes de sensibilisation diverses, mais utilisant souvent les mêmes canaux, à savoir l’affichage et les spots télévisés. Aujourd’hui, elle est la première organisation à utiliser une fonctionnalité d’un réseau pour sa campagne de sensibilisation. On peut ainsi parler d’un tournant dans l’Histoire de la communication digitale.

La fonctionnalité « Acheter »

Le 20 mars 2018, le célèbre réseau social Instagram lance une nouvelle fonctionnalité : « Acheter ». Le principe est simple et répond à nos besoins les plus élémentaires : je me balade sur le compte Instagram de la marque haute-couture Dior, je clique sur une de leur photo. Celle qui attire spontanément mon regard, évidemment. Ce nouveau rouge à lèvres me fait de l’œil. Je remarque le petit logo en forme de sac à main, en bas à gauche : cela signifie donc que je peux avoir des informations sur le produit (nom, gamme, référence) et surtout…son prix. Je clique dessus et la fenêtre d’informations s’ouvre directement sur la photo. Si je clique dessus, l’onglet « acheter » apparaît. Ce dernier me redirige vers l’e-shop de la marque. Finalement, il n’y a qu’un pas entre le moment où je découvre le produit et m’y intéresse à peine, et celui où je tape le numéro de ma carte bancaire pour me le procurer. La tentation est grande.

Détourner nos usages quotidiens en moyen de sensibilisation

Habituellement, c’est lorsque nous voyons un sac qui nous plait ou encore le dernier manteau à la mode que nous cliquons sur la fonction « acheter ». Jamais pour acheter un enfant. Et c’est là que se trouvent toute la force et le génie de #NoPriceOnKids : choquer toute la communauté Instagram en bousculant leurs habitudes visuelles. En effet, depuis quelques années, Instagram est devenu un étalage de produits, de photos parfaites, lisses, presque vides de sens. Le contraste entre l’irréel véhiculé par le réseau social et l’urgente réalité apportée par l’UNICEF dérange. La vraie vie n’a plus sa place sur internet, et la misère encore moins. Le fait de détourner cette fonctionnalité banale éveille la curiosité et l’intérêt que l’on peut porter à la cause. En effet, en cliquant sur « acheter », on découvre alors l’histoire de l’enfant en question comme son nom, son âge, son travail… la prise de conscience est d’autant plus brutale : il y a une différence considérable entre l’impact visuel d’une affiche ou d’une vidéo et celui provoqué par le geste de cliquer. On a presque l’impression de participer directement à cet esclavage moderne.

Une double dénonciation

Sous nous yeux, la plus grande plateforme mondiale de partage est devenue la scène d’un marché international et d’une consommation excessive.

L’UNICEF dénonce deux problèmes : d’une part, l’esclavage infantile, d’autre part, l’incitation à la consommation excessive. Avec cette campagne, l’ONG nous pousse dans nos retranchements : en effet, elle est faite pour nous montrer du doigt et nous prouver que nous sommes à la fois victimes et bourreaux de ces abus de consommation puisque nous avons instinctivement voire inconsciemment cliqué sur l’onglet « acheter », et que nous alimentons aussi, quelque part, l’esclavage infantile avec notre consommation à outrance des produits faits par des enfants. L’UNICEF nous pousse à tomber le voile, nous ne pouvons plus fermer les yeux sur cette situation alarmante : que ce soit de l’hypocrisie ou de la non-conscience, nous participons au travail de l’enfant tout en prônant sa liberté et sa protection.

Le risque marketing pris par l’UNICEF suffira-t-il pour changer nos habitudes de consommation ?

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