Femwashing ?
Définition : le « Femwashing », comme son nom l’indique, est l’utilisation des courants féministes dans la communication à des fins commerciales.
L’objet de cet article, vous l’aurez compris, est de discuter de l’utilisation de la cause sociale féministe dans les publicités contemporaines, à partir de trois exemples donnés. Ce qui m’intéresse est la diversité des réactions publiques quant à la communication de ces trois marques. Les trois, à différents niveaux, utilisent la tendance féministe. Mais chacune d’entre elles le fait d’une manière particulière. En analysant ces trois exemples, je tenterai de dégager une logique de la réaction publique, qui illustre le fait que le problème n’est pas tant de s’approprier la cause féministe qui dérange, mais plutôt la subtilité avec laquelle on opère au niveau communicationnel. En d’autres termes, et de façon plus générale, il me semble que nous avons là un bel exemple de l’idée que le contenu est moins important que la forme, et que les marques réussiront toujours à surfer sur les tendances, pour peu qu’elles le fassent de manière intelligente, mystifiant même les plus critiques des spectateurs.
Trois publicités, trois réactions publiques différentes
Les trois publicités sélectionnées sont les suivantes : The best man can be, de Gillette, Dream crazier, de Nike, et Bertha Benz, The journey that changed everything, de Mercedes-Benz. Je les analyserai dans cet ordre, puisqu’il correspond à un decrescendo de la négativité des réactions publiques. En effet, Gillette comptabilise une majorité de réactions négatives, Nike réalise un bilan positif, et Mercedes réussit à tirer son épingle du jeu en récoltant littéralement des éloges. Les trois publicités sont sorties dans le courant de l’année 2019.
Des biais flagrants
Si, par un hasard quelconque, la première frange des utilisateurs à avoir réagi au spot publicitaire l’ont fait négativement, il y a de fortes chances que les utilisateurs suivants aient tendance à se « ranger » du côté de la première opinion donnée.
Il faut, avant d’entrer dans la lecture et l’analyse de ces différents spots publicitaires, relever les biais les plus flagrants qui se présentent à nous. Premièrement, il est évident qu’il est très complexe d’évaluer les réponses du public. Je me base, essentiellement, sur les réactions à la publication de ces spots publicitaires sur YouTube, ce qui limite déjà l’échantillonnage. Les personnes qui « réagissent » sur YouTube ne représentent pas l’ensemble de la population. A fortiori, pour chaque publicité donnée, l’audimat ne sera pas exactement le même, ceux qui regardent une publicité Gillette n’étant pas exactement les mêmes que ceux qui regardent une publicité Mercedes.
Ensuite, il faut relever le fait qu’il existe un effet normatif puissant des « premières réactions » à la publicité. Si, par un hasard quelconque, la première frange des utilisateurs à avoir réagi au spot publicitaire l’ont fait négativement, il y a de fortes chances que les utilisateurs suivants aient tendance à se « ranger » du côté de la première opinion donnée. Ce phénomène a pour effet de donner un caractère exponentiel à la courbe des réactions positives/négatives face à un contenu donné. On peut imaginer que passé un certain point de non-retour dans les commentaires négatifs, il y a accélération de la critique, ce qui fait que le résultat final est souvent caricatural d’une réaction qui, à l’origine, était peut-être plus nuancée.
Enfin, on peut relever le fait qu’une réaction négative sur une plateforme comme YouTube, ne traduit pas forcément le fait que la campagne ait échoué à un niveau plus global. Si on en revient à l’adage selon lequel il n’y a pas de « mauvaise pub », on peut toujours argumenter que Gillette, par exemple, a réussi une campagne d’awareness très puissante, malgré les critiques, si leur objectif était tout simplement de faire parler d’eux, — ce qui, en soi, est un point très intéressant du débat quant à la pertinence générale des différentes accusations de « washing », puisqu’une fois de plus, le fait de critiquer revient quand même à augmenter la visibilité de ceux-là même que l’on souhaiterait punir.
The best man can be, Gillette
« The best a man can get », qui est désormais attaché à une autre signification que celle véhiculée par les spots précédents où l’homme viril semi-nu devant la glace se passait la main sur le visage, fier et puissant, fraîchement rasé, le tout dans l’atmosphère technico-explosive, soulignée par des visuels d’avions à réaction attachés à la promotion de leur fameuse gamme « Mach 1, 2, 3, etc. », ou tout autre cliché de l’univers masculin conventionnel : sport, motos, voitures…
La publicité est construite en deux parties. D’abord, on présente l’état actuel de la société. Les hommes sont enfermés dans des fonctionnements machistes, dénués de sensibilité, rabaissant systématiquement les femmes, enfermés dans des modes de fonctionnement archaïques, clichés, favorisant le sexisme et la violence. Mais une prise de conscience est en train de s’opérer. Les hommes réalisent qu’il y a un problème. Les mouvements #Metoo, et autres vagues de dénonciations des abus du patriarcat, leur ouvrent les yeux sur une situation qui doit changer. Le fameux « boys will be boys », comme excuse à l’inlassable répétition de la même bêtise masculine primaire ne réussit plus à convaincre. La deuxième partie du spot présente le futur, l’avenir, la croyance dans un homme nouveau, portée par la voix-off représentant la position de Gillette comme fer de lance de l’avènement d’une nouvelle ère. Les hommes se responsabilisent et parviennent à endiguer le sexisme par des actions concrètes et quotidiennes, et une dénonciation des abus machistes de certains individus rétrogrades. La publicité se termine sur une redéfinition du slogan principal de la marque « The best a man can get », qui est désormais attaché à une autre signification que celle véhiculée par leurs spots précédents où l’homme viril semi-nu devant la glace se passait la main sur le visage, fier et puissant, fraîchement rasé, le tout dans l’atmosphère technico-explosive, soulignée par des visuels d’avions à réaction attachés à la promotion de leur fameuse gamme « Mach 1, 2, 3, etc. », ou tout autre cliché de l’univers masculin conventionnel : sport, motos, voitures…
Au niveau de la réalisation, on remarque que les images alternent entre contenus fictionnels, images documentaires et UGC (ou du moins une imitation de ces derniers). La durée totale est d’un peu plus d’1:30 mn. Le mouvement #Metoo est explicitement cité. Le message est transparent : Gillette prend position en faveur de la cause féministe, dans l’optique de promouvoir une nouvelle image de l’homme, plus sensible, plus à l’écoute, plus « doux », pourrait-on dire. La bande son est mélodramatique, tirant sur le registre épique à la fin du spot. Et surtout, élément essentiel à l’analyse et sur lequel nous reviendrons, la publicité met en scène des hommes.
Tous les ingrédients semblent réunis pour une opération de communication puissante et efficace, montrant une entreprise engagée, osant prendre des risques pour la noble cause du féminisme. Et pourtant… Les réactions sont catastrophiques. La seule bonne nouvelle est le nombre de vues, qui avoisine les 30 millions (ce qui, soit dit en passant, était peut-être l’objectif principal de cette campagne, qui, dans ce cas, est très performante). Mais le ratio « likes » / « dislikes » est terrible : 1,4 millions de dislikes, pour moitié moins de likes. La vidéo est classée parmi les vidéos les plus« détestées » de YouTube.
Dreamcrazier, Nike
Passons à la deuxième publicité. Une fois de plus, elle est construite en deux phases. D’abord, une voix-off fait la liste de toutes les accusations faites à l’encontre des femmes dans le sport. Lorsqu’elles « montrent leurs émotions », on dit qu’elles sont « pathétiques », si elles « veulent jouer contre des hommes », on dit qu’elles sont « folles », et ainsi de suite. L’idée est de montrer que la société fait de n’importe quelle ambition féminine une raison de les critiquer. Dans un second temps, la voix-off liste tous les accomplissements féminins dans le sport qui ont été d’abord considérés comme de la folie : « une femme courant un marathon, c’était de la folie », « une femme faisant de la boxe, c’était de la folie », avec en arrière-fond l’idée que même si la société a toujours considéré cela comme fou, les femmes ont continué à le faire, démontrant au monde entier qu’elles en étaient parfaitement capables, et pour cause, elles ont continué à le faire de mieux en mieux jusqu’à aujourd’hui. La sélection des « accomplissements » mis en avant est suffisamment précise pour qu’on reconnaisse directement des sportives d’élite contemporaines : Ibtihaj Muhammad (escrimeuse voilée), Katie Ormerod (snowboardeuse ayant plaqué un doublecork 1080 pour la première fois), Serena Williams (tenniswoman revenant dans le top 10 après une grossesse), etc. La conclusion arrive avec la voix-off incitant toute femme à qui l’on a pu dire qu’elle était « folle » d’avoir telle ambition, à l’être encore plus, parce que c’est cette folie qui a amené ces héroïnes du sport à accomplir leurs rêves. L’écran final résume l’argument par « it’s only crazy until you do it », avec reprise du slogan célébrissime de Nike « just do it ».
Au niveau musical, une fois de plus le spot s’ouvre sur du mélo-dramatique allant de plus en plus vers l’épique. La durée totale est à nouveau d’un peu plus d’1:30 mn. Les images, cette fois, semblent toutes être documentaires. Et, très important, il n’y a que des femmes dans l’entièreté du spot. Dans l’ensemble, la réalisation est quand même étrangement proche de celle de Gillette, à quelques différences près qui, comme on le verra dans la conclusion, peuvent s’avérer capitales.
Cette fois, le bilan est globalement positif. La vidéo comptabilise légèrement moins de vues que la publicité Gillette, environ dix millions. En revanche le ratio like/dislike est moins alarmant : 73'000 likes pour 14'000 dislikes. C’est dans les commentaires que l’on retrouve néanmoins une tonalité générale plutôt défavorable, les plus plébiscités d’entre eux soulignant la mauvaise foi d’une entreprise venant faire la morale alors qu’elle exploite des enfants dans ses chaînes de production.
The journey that changed everything, Mercedes-Benz
Le slogan de fin est magistral : « She believed in more than a car », « She believed in herself ».
Le dernier spot analysé a un visage tout à fait différent. Beaucoup plus long, il comptabilise cette fois quelques 4 mn de film, ce qui, en comparaison de la majorité des spots vidéos actuels est une éternité. Véritable fresque historique, cette publicité est construite comme un mini-film. Nous sommes ici dans le registre fictionnel pur, du moins au niveau de l’image. Les faits reposent quand même sur une « histoire vraie » soulignée par les ajouts textuels qui fonctionnent comme des repères historiques. Nous avons donc affaire à une reconstitution. L’atmosphère de l’époque, fin XIXème siècle est palpable, tant les moyens investis sont conséquents.
Le spot est construit de façon moins binaire que les deux précédents. Ici la structure consiste à présenter progressivement le personnage principal : Bertha Benz. D’abord vue à travers le filtre d’une petite enfant qui court partout en criant à la sorcière. Ensuite sous l’angle de personnages masculins « rétrogrades » qui la jugent selon une grille de lecture supposée être celle de l’époque et qui fait de la femme une simple « ménagère », n’ayant en aucun cas accès à quoi que ce soit qui ait un lien avec la technique, la mécanique, ou quelconque activité nécessitant un minimum d’intelligence et de savoir-faire. Mais Bertha Benz est une femme puissante, une femme de caractère, qui ne se laisse pas faire et ose tenir tête à tous ces bouseux machistes et décervelés. Elle maîtrise son sujet, elle assure : c’est une icône de l’émancipation féminine, ce que la réalisation très intelligente nous fait comprendre à travers le regard de cette petite fille qui comprend progressivement que ça n’est pas une sorcière, mais une déesse, porteuse d’un message d’espoir pour la cause de la femme. Le slogan de fin est magistral : « She believed in more than a car », « She believed in herself ».
Le résultat est bien meilleur que celui des deux spots précédents. Un nombre de vues similaire à celui du spot Nike, mais 10 fois moins de dislikes, et aucun commentaire négatif classé dans les plus plébiscités, que ce soit à propos de climat, de multinationale faisant la morale, ou n’importe quel autre sujet. Les commentaires les plus affichés sont des éloges de la réalisation impeccable du spot, et de sa puissance narrative.
Synthèse
Que dit finalement Gillette ? Nous n’acceptons de raser que les hommes bien éduqués ? Nous faisons notre mea culpa d’avoir été longtemps du côté du machisme ? En rasant les hommes nous les rendons doux et dociles ? Difficile à dire.
Comme nous avons pu le voir, ces trois spots publicitaires surfent sur la même tendance : le féminisme, mais avec des résultats incroyablement différents. Là où Gillette essuie un torrent d’insultes, Nike s’en sort bien, et Mercedes récolte carrément des éloges.
On pourrait faire intervenir, dans un premier temps, la question du produit vendu par ces trois différentes marques, en rapport avec leur clientèle-cible, et prétendre que l’échec de Gillette tient du fait qu’ils vendent un produit presque exclusivement réservé aux hommes, donc que leur public est essentiellement masculin, et donc moins réceptif à la cause des femmes. Nike, en revanche, touche aussi bien les hommes que les femmes. Le cas de Mercedes est similaire, l’industrie automobile parvenant, selon les récents sondages, à parité hommes-femmes dans la décision d’achat. Je pense néanmoins que cette diversité de résultats est, d’abord, due à des facteurs inhérents à la réalisation.
Le spot Gillette met en scène des hommes. En ce sens, il commet peut-être une première erreur. Utiliser des hommes pour « parler des femmes », ou de la cause féministe, c’est, schématiquement, continuer de mettre les hommes en avant, alors que l’on cherche à mettre les femmes sur le devant de la scène. En comparaison avec les spots Nike ou Mercedes, qui réussissent très bien à héroïser les femmes, on sent que l’erreur de Gillette est d’avoir voulu se saisir de cette cause sociale par l’intermédiaire des hommes, ce qui est maladroit.
En plus de cela, une grossière erreur de Gillette est d’avoir « validé » les accusations faites à l’encontre des hommes à partir de certains mouvements féministes contemporains. En gros, le spot Gillette dit « c’est vrai, le monde est comme ça actuellement et les hommes sont des salauds, mais on va le changer ». Sauf que, ce faisant, ils ont pris le parti de concéder que les hommes sont actuellement des porcs, et qu’ils doivent changer. Ils n’avaient pas prévu qu’une immense partie du public masculin se sentirait offusqué de voir qu’une publicité valide ce qu’ils ressentent comme des accusations illégitimes. De nouveau, l’intelligence de Nike, en comparaison, est de se positionner en disant les femmes, peu importe ce qu’on a pu dire d’elles, ont toujours été des héroïnes. En évitant de valider une critique négative des femmes (comme Gillette le fait à propos des hommes), Nike ne fait pas reposer le changement proposé aux femmes (aller toujours plus loin) sur la distanciation par rapport aux femmes d’avant qui auraient été des lâches ou des ratées. On pourrait certes admettre que Nike critique les hommes en faisant d’eux ceux qui traitent les femmes « d’hystériques », « de pathétiques », « de folles », dans la voix-off, mais le lien est suffisamment flou pour qu’on ne puisse pas trancher.
Enfin, un problème majeur du spot Gillette par rapport à ses concurrents est le manque de clarté du message. Il y a trop de couches différentes dans l’information. Le propos est trop alambiqué. On ne voit pas exactement où Gillette se place là-dedans. Finalement, ce que Nike communique est bien plus clair : nous avons toujours soutenu, et nous soutiendrons toujours les femmes dans le sport. Que dit finalement Gillette ? Nous n’acceptons de raser que les hommes bien éduqués ? Nous faisons notre mea culpa d’avoir été longtemps du côté du machisme ? En rasant les hommes nous les rendons doux et dociles ? Difficile à dire. Or, étant confus, le message s’ouvre à une trop grande quantité d’interprétations, accentuant encore le principe d’influence de la masse sur l’opinion individuelle. Si le spot me laisse perplexe, j’aurais probablement plus tendance à m’indexer sur l’opinion des autres que me faire la mienne, puisque je n’arrive précisément pas à me faire une opinion sur un objet trop complexe.
La force du spot Nike tient donc essentiellement dans le fait qu’il utilise des femmes pour promouvoir l’image de la femme. Il est aussi globalement plus simple, plus incisif, construit de façon plus minimaliste, et donc plus compréhensible. Il utilise des images en elles-mêmes impressionnantes, contrairement au spot Gillette qui essaie de raconter une histoire à partir de scénettes qui en elles-mêmes n’ont aucun charme particulier. Cet argument est encore renforcé par l’exemple Mercedes, qui démontre à quel point la qualité esthétique du spot, la force des images pures, amène un pouvoir de conviction puissant. Le spot Mercedes atteint le niveau de réalisation d’un bon film, là où Gillette est tout au plus une série télévisée bas de gamme. Enfin, l’accroche Nike me semble plus puissante, étant vraiment une conclusion parfaitement connectée à tout ce qui vient avant. On peut dire que la « chute » est amenée par une rhétorique solide, « crazy, crazy, crazy », « it’s only crazy until you do it », « just do it ». Il y a une gradation parfaite au niveau langagier. La publicité Mercedes fait relativement bien dans ce registre, avec une accroche finale très forte, qui surfe bien sur la tendance consistant à rendre aux femmes la confiance en elles qu’elles semblent avoir perdu.
Ce qui fait l’exception Mercedes est certainement la qualité globale de réalisation, qui est irréprochable. C’est étrange, mais il semblerait que la réception publique ait été plus sensible à la forme dans laquelle le message a été moulé que le message en lui-même. Car, si nous retournons à l’intention de base de ces trois spots publicitaires, force est de constater qu’ils partent à peu près du même point : l’objet vendu disparaît presque entièrement de la campagne, au profit d’un positionnement de la marque sur une tendance sociale contemporaine. On voit vaguement des hommes rasés chez Gillette, très vite quelques vêtements sportifs chez Nike, pas vraiment mis en valeur, et tout juste une voiture, mais archaïque et n’étant pas le centre de l’attention dans le spot Mercedes. En d’autres termes, ces trois spots publicitaires semblent considérer que le fait de s’approprier le combat des femmes leur permettra de vendre plus que le fait de présenter de façon explicite la qualité de leur produit. Et voilà, nous constatons donc que ces trois spots « instrumentalisent » bel et bien le féminisme dans le but de vendre. Si l’on en revient à la rhétorique de fond, aucun d’entre eux n’est plus condamnable qu’un autre. Les trois s’approprient une tendance dans une optique commerciale.
Quelle conclusion tirer de tout cela ?
Pour ma part, je pense que cette analyse révèle le fait que nous jugeons la forme bien avant le fond. La première réaction est émotionnelle. Si le spot publicitaire nous a fait rêver nous sommes conquis. Mercedes parvient à saisir son spectateur, à le mener intelligemment où il le souhaite, sans la moindre baisse d’intensité dans la qualité esthétique de la réalisation. La majorité des spectateurs aura ressenti ce message avec le cœur, bien avant d’activer la fonction rationnelle nécessaire au fait de comprendre qu’on nous vend des voitures avec la cause des femmes. Au contraire, Gillette nous perd presque instantanément, construisant sa narration de façon trop alambiquée, multipliant les niveaux de discours, les registres d’images (fiction, documentaire, UGC), mettant en scène des personnages conspués de tous (les hommes machos rétrogrades), le résultat, incapable de nous faire rêver, alerte notre sens critique. Nous sentons le piège, nous sentons le coup fourré, et nous basculons dans l’analyse, détruisant ce qui n’a pas réussi à nous faire planer.
Une fois de plus c’est l’intelligence artistique qui prime, parvenant à reléguer au second plan les stratégies marketing les plus élaborées. Une marque devrait-elle ou ne devrait-elle pas instrumentaliser les tendances sociales à des fins commerciales ? Il semblerait que la démarche manque cruellement d’éthique. Pourtant, qu’on le veuille ou non, et que le discours soit à la mode ou pas, une marque véhicule toujours un univers que ses acheteurs partagent au moins en partie. Si la marque refuse de surfer sur les tendances, il faut admettre qu’elle véhiculera simplement une autre vision du monde, enfermant peut-être ses adeptes dans un univers rétrograde tout aussi pervers.
Difficile d’apporter une réponse à cette question, qui devrait faire l’objet d’un autre article, mais une chose est sûre: si une marque souhaite communiquer en surfant sur une tendance sociale, elle a intérêt à s’entourer des artistes à la pointe du médium à partir duquel elle envisage de communiquer. Si elle veut éviter le fiasco.