iOS 14, la mort du marketing digital?

Mathieu Croset
Marvelous Foresight
12 min readJan 20, 2021

L’arrivée, dans les semaines à venir, de la prochaine mise à jour d’Apple avec iOS 14.4 nous réserve quelques surprises, on vous explique tout ça.

Dans les grandes lignes

Depuis quelques années, la marque à la pomme fait de la protection des données son cheval de bataille, elle poursuit sur sa lancée avec iOS 14.4 et l’ad tracking transparency (ATT).

En effet, dès qu’iOS 14.4 sera lancé, lorsqu’un utilisateur ouvrira pour la première fois une application, il verra s’afficher un pop-up lui demandant s’il accepte que l’application le traque à des fins publicitaires. Jusqu’à présent, ce type d’information était caché dans les conditions générales de l’application (que vous acceptiez certainement sans en lire une seule ligne). Demain, sous iOS 14.4, vous ne pourrez plus passer à côté.

Ce qu’Apple vous propose de désactiver au lancement de l’application n’est autre que l’IDFA (Identifier for Advertisers). Pour faire simple, l’IDFA est une sorte de cookie placé sur les applications iOS (on retrouve un “cookie” similaire sur Android) et qui permet aux annonceurs de savoir si un utilisateur a cliqué sur leur publicité ou téléchargé leur application, mais cela permet aussi une meilleure précision en terme de ciblage et d’analyse des campagnes. L’IDFA permet aussi, entre autres, de:

  • Cibler des utilisateurs ayant installé une application mais ne l’ayant plus relancée depuis un certain temps
  • Créer des audiences et cibler des personnes qui auraient abandonné leur panier d’achat afin de leur proposer de finaliser leurs achats
  • Gérer d’autres fonctionnalités rendant plus simple la vie des publicitaires

On peut déjà choisir de bloquer ou d’autoriser l’IDFA sur les versions actuelles d’iOS mais cette option est cachée dans les méandres des paramètres. On estime qu’actuellement seuls 25% à 30% des utilisateurs d’iOS ont bloqué le tracking via les paramètres. Le vrai changement est qu’à partir d’iOS 14.4, un pop-up s’affichera automatiquement lors du premier lancement de toutes les applications qui souhaitent suivre leurs utilisateurs et partager leurs données. Et ça, ça change la donne.

Voilà un aperçu de ce à quoi pourra ressembler le message qui s’affichera prochainement sur les iPhones. Même si les développeurs auront la possibilité de légèrement personnaliser le message du pop-up, on estime à environ 10% — 20% le nombre de personnes qui accepteront d’être suivies. Et si, au niveau mondial, c’est Android qui obtient la meilleure part de marché, les Suisses sont encore très attachés à leurs iPhones puisque près de 50% des helvètes sont fidèles à la marque à la pomme.

Rappelons tout de même que l’IDFA a été créé par Apple pour permettre le ciblage publicitaire et, qu’avec la mise à jour iOS 14.4, la firme de Cupertino est quasiment en train de tuer l’IDFA puisque très peu d’utilisateurs accepteront d’être suivis.

Identifiants mobile VS cookies Web

Avant d’aller plus loin, il est important de comprendre la différence entre un cookie web et un identifiant mobile. Les cookies web permettent de suivre et comprendre le comportement d’un utilisateur sur un site. Il existe principalement deux types de cookies.

  1. Les cookies first party qui, en d’autres termes, “appartiennent” au site en question (le cookies Google Analytics en est le meilleur exemple)
  2. Les cookies third party qui permettent à des sites tiers (Facebook, avec son Pixel, pour prendre un exemple au hasard) de suivre le comportement et les actions d’un utilisateur sur le site en question.

Pour les identifiants mobiles (ID), le principe est, dans les grandes lignes, relativement similaire aux cookies web. Les ID mobile comme l’IDFA ou l’AAID (l’équivalent de l’IDFA pour Android) sont utilisés pour identifier un utilisateur (appareil) au travers d’une application.

Les cookies web peuvent très facilement être bloqués ou supprimés via l’utilisation d’un adblocker ou même au travers de certains navigateurs (Chrome a prévu de bloquer les cookies third party dans les prochaines années, rejoignant ainsi Safari et Firefox). A contrario, les ID mobile sont bien plus durables que les cookies web; d’où la volonté d’Apple de réguler tout ceci et d’offrir la possibilité aux utilisateurs de les bloquer à la source. On verra plus loin que la mise à jour d’Apple va non seulement impacter les ID mobiles mais également les cookies web.

Petite parenthèse au passage, Apple a également récemment renforcé son Intelligent Tracking Prevention (ITP) limitant drastiquement le suivi des cookies third-parties. Fort heureusement, cela ne devrait pas trop impacter le suivi Google Analytics puisque ce dernier utilise un cookie first-party (en revanche, l’ITP bloque les capacités de tracking cross-domain du cookie Google Analytics, ce qui peut limiter son action dans le cas d’un suivi sur plusieurs sites); fin de la parenthèse.

Qu’est ce que cela implique?

Dans un article datant de septembre 2020 Facebook avait annoncé qu’ils n’utiliseraient plus l’IDFA : “First, we will not collect the identifier for advertisers (IDFA) on our own apps on iOS 14 devices. We believe this approach provides as much certainty and stability that we can provide our partners at this time. We may revisit this decision as Apple offers more guidance.”. Mais ça, c’était avant les menaces d’Apple de supprimer de l’App Store les applications qui n’utilisent pas l’IDFA; Facebook a donc fait marche arrière à ce niveau.

Voyons donc les différentes implications plus en détail.

  1. Si l’utilisateur opt-in à l’ATT (et donc autorise l’IDFA), c’est un quasi status quo. Cependant, même dans ce cas, certaines restrictions s’appliquent. Par exemple, le nombre d’événements mesurables sera limité à 8. À priori pas dramatique pour une petite entreprise qui n’a pas de e-commerce et qui ne suit que certains événements. Beaucoup plus problématique dans le cas d’un site e-commerce international qui souhaite suivre et optimiser son funnel de conversion avec une plus grande granularité d’événements (view page, add to cart, purchase etc.)

2. Si l’utilisateur opt-out à l’ATT, alors un seul événement pourra être remonté (en fonction de sa priorité, définie en amont). Par exemple, si un annonceur souhaite suivre les events “add to cart” et “purchase” il pourra, dans le cas où les deux événements ont lieu, choisir de remonter les données de l’événement sélectionné. Si c’est “purchase” l’annonceur ne verra pas les “add to cart” et inversement.

3. Les fenêtres de conversions se verront drastiquement réduites. Actuellement, les conversions peuvent être suivies (dans certains cas), jusqu’à 28 jours après la vue ou le click. Demain, la fenêtre sera limitée à un jour après le click et les annonceurs n’auront que des données partielles des attributions à 1 jour après la vue et 7 jours après le click. Les fenêtres d’attribution de 7 jours après la vue, 28 jours après le click et 28 jours après la vue ne seront plus disponibles.

4. Dans le cas d’annonces diffusées sur un application (via l’audience network) ou d’une audience issue d’une application (tous les acheteurs sur les 30 derniers jours), il faudra que l’utilisateur ait “opt-in” l’Ad Tracking Transparency sur Facebook et sur l’application tierce. Si ça n’est pas le cas sur les deux applications, les datas ne pourront pas être partagées.

5. Apple a également créé un nouveau protocole pour les attributions web appelé PCM (Private Click Measurement) qui, vous vous en doutez, limite également le partage de données. Par exemple, le PCM ne suit pas les conversions app-to-web (les conversions en provenance d’Instagram, par exemple, vers un site web).

En regardant la big picture, les conséquences sont gigantesques puisque nous ne pourrons plus suivre avec autant de précision les actions effectuées sur un site, optimiser nos événements et campagnes en fonction, mais également créer des audiences de remarketing, de lookalike et d’exclusion efficaces. Il va donc falloir repenser la manière d’appréhender le marketing de performance au travers des médias sociaux. À première vue, les audiences d’intérêts (si je veux diffuser une publicité auprès de personnes aimant le ski par exemple) ne devraient pas trop souffrir de cette mise à jour puisque l’écosystème Facebook détient déjà une quantité phénoménale de data au travers de ses propres applications; Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp (qui fait d’ailleurs beaucoup parler de lui en ce moment). Il n’a donc pas forcément besoin de données tierces pour connaître vos centres d’intérêts.

L’audience network : gros perdant.

L’audience network est un réseau qui permet aux annonceurs, tout en passant par la plateforme publicitaire de Facebook, de diffuser des publicités sur des applications tierces et, jusqu’en février 2020, sur d’autres sites webs (option retirée comme action préventive suite à la volontée de Chrome / Safari de bloquer les cookies third party). L’audience network est donc essentiellement constituée d’emplacements publicitaires sur des applications.

Avec la mise à jour iOS 14, il deviendra très compliqué de proposer de la publicité ciblée sur l’audience network puisque tous les trackers de suivi auront de fortes chances d’être bloqués à la source. Facebook prévoit une baisse de 50% des revenus publicitaires sur ces emplacements et envisage même de supprimer l’audience network pour les utilisateurs d’iOS 14, comme annoncé par Facebook dans une communication d’août 2020.

“We expect these changes will disproportionately affect Audience Network given its heavy dependence on app advertising. Like all ad networks on iOS 14, advertiser ability to accurately target and measure their campaigns on Audience Network will be impacted, and as a result publishers should expect their ability to effectively monetize on Audience Network to decrease. Ultimately, despite our best efforts, Apple’s updates may render Audience Network so ineffective on iOS 14 that it may not make sense to offer it on iOS 14.”

Par conséquent, tous les publishers qui proposent des emplacements publicitaires via l’audience network verront très probablement leurs revenus fondre comme neige au soleil.

Comment Facebook réagit à tout ça

Mal.

Plus sérieusement, hormis une guerre ouverte avec Apple (comme l’illustre cette publicité pleine page diffusée dans The Wall Street Journal), Facebook est en train de déployer de gros moyens pour essayer d’offrir des solutions adéquates aux différents annonceurs. Cependant, la mise à jour d’Apple n’étant pas encore sortie, de nombreux éléments sont encore incertains. Néanmoins, Facebook a déjà développé l’Aggregated Event Measurement (AEM) qui permet, entre autres, de combler aux manquements du Private Click Measurement (PCM) d’Apple; notamment pour le suivi des conversions app-to-web.

D’autres solutions seront certainement mises en place dans les prochaines semaines. D’ici là, Facebook conseille déjà de faire vérifier le domaine de votre site auprès de Facebook (disponible dans les paramètres du business manager), de se préparer à limiter son suivi à 8 événements et d’anticiper les changements relatifs aux modifications des fenêtres d’attribution.

Android dans tout cela?

Il est très peu probable que Google suive le pas d’Apple et déploie une option similaire sur les appareils Android. Pourquoi? Parce que contrairement à Apple, le business modèle de Google repose grandement sur les possibilités de ciblage publicitaire.

Il est cependant envisageable que la pratique se généralise et oblige Google à suivre le mouvement. C’est d’ailleurs ce qui se dessine déjà avec la suppression des cookies tiers sur Google Chrome d’ici 2022.

Les solutions

iOS 14 n’est pas synonyme de mort du marketing digital, loin de là. Cependant, cette mise à jour pose une question fondamentale sur l’avenir de la publicité en ligne. Que ce soit au travers de l’ATT ou via la suppression quasi actée des cookies third-party, il va falloir que le marketing digital se réinvente pour continuer de proposer du contenu pertinent et adapté à ses cibles.

Une première solution pourrait être de concentrer ses campagnes sur les utilisateurs d’Android, mais cela impliquerait de perdre près de 50% de son audience potentielle; pas certain que les marques soient prêtes à faire ce sacrifice. L’autre solution serait de continuer de cibler les deux plateformes tout en créant un deuxième ads manager dédié uniquement aux ads iOS (majoritairement en cas de campagnes d’app installs). En effet, comme le conseille Facebook, créer un 2ème gestionnaire de publicité pour iOS permettrait de ne pas péjorer les résultats de vos campagnes sur Android. Sachant que, tout comme vos publicités, votre gestionnaire de publicité a un score de qualité; il serait dommage de venir le péjorer avec des campagnes iOS moins performantes.

“In light of these limitations, and in an effort to mitigate the impact on the efficacy of app install campaign measurement, we will also ask businesses to create a new ad account dedicated to running app install ad campaigns for iOS 14 users.”

Une dernière solution (qui peut d’ailleurs laisser penser qu’Apple prépare ce changement depuis quelques années) n’est autre que le “SKAdNetwork”. Introduit en 2018, le SKAdNetwork propose une approche différente en termes de mesure et de suivi des campagnes. Le SKAdNetwork est, sans trop entrer dans les détails, moins précis et offre moins de possibilités (notamment pas de deep linking) mais donne tout de même la possibilité d’avoir un suivi en termes d’attribution et de mesure des performances des différentes campagnes.

Ce qu’on en pense chez Marvelous

La protection des données personnelles nous tient à cœur et il nous paraît également évident qu’un utilisateur donne son consentement avant que son activité soit trackée et que ses données soient partagées. L’industrie va, quoi qu’il en soit, de plus en plus réguler ces questions et nous nous y préparons. Cependant, ces changements ont de lourdes implications et peut-être qu’Apple est allé un peu trop loin.

On s’explique. Si on suit cette logique, tous les utilisateurs d’iOS 14.4 qui choisiront de ne plus être suivis ne verront pas moins de publicité, mais simplement des publicités moins ciblées; potentiellement moins pertinentes. Dès lors, la question se pose: est-ce que je préfère recevoir du contenu approprié à mes intérêts et en lien avec des sites et applications visités? Ou est-ce que je préfère recevoir presque aléatoirement des publicités moins ciblées et pas forcément adaptées à ma situation ?

Le digital n’est pas un mass média (du moins dans ses possibilités de ciblage) et offre de véritables solutions orientées sur la performance et le suivi des campagnes (à contrario de la télévision ou de l’affichage notamment) et là réside son véritable avantage. La décision d’Apple fait malheureusement, légèrement, tendre le marketing digital vers un mass média.

En bref, chez Marvelous on trouve ça dommage. De nombreuses PME (nous compris), comptent sur le digital pour proposer du contenu adapté à une cible qualifiée. Si demain, pour toucher cette même cible qualifiée, il faut accepter de perdre quelques centaines, milliers, millions d’impressions, pas certain que les budgets médias de toutes les entreprises y survivent; surtout en période Covid.

Quoi qu’il en soit, on s’y prépare et comme énoncé plus haut, des solutions existent. Et quand bien même les solutions de tracking viendraient à s’appauvrir, nous pourrions toujours tirer notre épingle du jeu via un ciblage par intérêts croisés ou via des données internes de fichiers clients. Il devient donc, aujourd’hui plus que jamais, primordial de récupérer de la data sur vos clients (de façon éthique et en respectant le cadre légal, bien entendu) afin de créer, demain, les audiences les plus performantes possibles.

iOS 14.4 n’étant pas encore sorti, certains éléments seront encore à prendre avec des pincettes et se confirmeront ou infirmeront.

Sources:

Webinar Facebook du 12.01.2021 “Our Stance on Apple’s iOS 14 Policy Requirements and Guidance to Help You”

Webinar Facebook du 13.01.2021 “Web Advertising Guidance for Apple’s Mobile Operating System Changes”

Rédigé par Bastien Marty

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