Comment j’ai essayé de vendre un court-métrage sur Internet

Francisco Zambrano

Amor(t), 2014

Prologue

Le court-métrage est en plein foisonnement depuis une dizaine d’années : on ne l’avait jamais vu tant présenté dans des salles, des festivals ou même dans la rue. Ces petites formes de cinéma sont devenues sérieuses aux yeux du public et ne sont plus considérées comme des films mineurs. Mais pourquoi cet appétit aussi vorace et cette évolution ? C’est peut-être parce que, depuis moins de dix ans, le public s’est habitué aux formats courts à travers Youtube, Snapchat ou encore Vine et c’est compréhensible : dans un monde de plus en plus visuel et de plus en plus rapide, instantané, nous avons envie de regarder des choses de grande qualité mais de durée moindre.

C’est lors de l’intervention de Bruno Patino, directeur éditorial chez Arte, dans un cours de Lorenzo Benedetti pour le Master 2 DMC concernant les nouveaux usages des médias que m’est venue l’idée d’essayer de vendre un court-métrage sur Internet. Si le public est désormais prêt à payer pour du contenu original et de qualité, pourquoi ne pas tenter l’expérience ?

J’ai alors commencé mon aventure en m’appuyant sur des connaissances que j’avais rencontrées lors de mes précédents stages / jobs dans la distribution, et aussi quelques conversations avec Marie-Anne Campos, responsable de la distribution chez le G.R.E.C., association de production et distribution des courts-métrages. Mais d’abord, parlons du film !

Le court-métrage que j’ai décidé d’utiliser pour cette expérience s’appelle Amor(t) et a été réalisé dans le cadre d’un cours de cinéma expérimental par Marion Benetti, Marianne Bouillon et moi-même. Sa durée est de 4 minutes, et raconte l’amour meurtrier qu’a un homme envers un mannequin et a une esthétique assez poussée, penchant vers des couleurs complémentaires et saturées. Je crois que l’intérêt du film, et qui pourrait réveiller le désir chez les spectateurs de le regarder, est sa liberté artistique mais aussi sa radicalité.

Amor(t), 2014

Acte I : Youtube ou Vimeo ? Telle est la question

En premier lieu, je me suis posé la question d’où mettre en ligne le film pour générer de l’argent. J’ai tout de suite pensé à Youtube car c’est la plateforme vidéo la plus fréquentée au monde et donc, les chances que le court-métrage soit vu seraient plus élevées. Cependant, j’ai très vite compris que cette plateforme ne serait pas un bon moyen pour le monétiser : la monétisation commence à partir de 10 000 vues et se situe entre 7€ et 10€ pour 1 000 vues.

Je me suis alors penché sur Vimeo, la plateforme d’hébergement de vidéos américaine. Celle-ci propose différents services à côté de l’hébergement, comme l’OTT et le streaming en direct mais celui qui nous intéresse est le service VOD, Vimeo on demand, à 14 € / mois. Ses atouts sont la répartition très intéressante des revenus (90 / 10 après déduction des frais de transaction), la possibilité de personnaliser la page du film, les statistiques des ventes pour chaque film et même la possibilité de monétiser des vidéos 360 degrés !

Acte II : Passage à l’action — la page du film

J’étais donc prêt à créer la page VOD du film : pour cela, il faut d’abord mettre en ligne la vidéo en entier ainsi qu’une bande annonce. Ensuite, nous cliquons sur « Commencer à vendre », et le site nous propose de créer soit une page pour un film seul, soit une série de vidéos ; dans notre cas, il s’agit évidemment d’une vidéo unique. C’est là que commence toute la personnalisation de la page, avec huit rubriques à compléter : sur information, on nous demande le nom du film, la synopsis, l’année de sortie et le genre. J’ai décidé de mettre « comédie expérimentale », car je trouve que le film a un potentiel comique derrière son apparence de tragédie. De même, j’ai mis que c’est davantage un film pour adultes que pour tout public en raison de la violence et de l’érotisme présents dans quelques scènes.

Capture d’écran des rubriques servant à personnaliser la page du film

Après cela, nous avons la rubrique « Distribution », où l’on peut choisir si le contenu peut être disponible dès à présent ou en pré-commande. Comme le film a été réalisé en 2014, j’ai choisi la première option. C’est sur cette rubrique également où l’on choisit les territoires où le film pourra être commercialisé — ceci est au cas où il y aurait des festivals qui demandent l’exclusivité du film et ne permettent pas qu’il soit disponible sur Internet. Dans notre cas, on n’a aucune restriction, j’ai donc choisi l’option « Monde ».

Nous passons ensuite à une des rubriques qui nous intéresse le plus : les tarifs. En résumé, les créateurs / distributeurs peuvent choisir de permettre aux utilisateurs soit d’acheter le contenu, soit de le louer à un prix qu’ils fixent. Pour l’achat, on peut décider ou non de laisser les utilisateurs de télécharger le film et pour la location, on choisit une durée comprise entre 24 heures et une année. Concernant le prix, je me suis souvenu qu’aux Films Sauvages, société de production des courts-métrages où j’ai travaillé, nous pratiquions l’achat à 3,7$ et la location à 1,7$ pour une durée de 24 heures. J’ai malgré tout recherché ce que d’autres sociétés de distribution de court-métrages proposaient et ai vérifié que les prix étaient aux mêmes alentours, entre 2$ et 4$. Puisque notre contenu est un film d’études et assez niche, j’ai décidé de fixer le prix à 1,20$ pour l’achat sans possibilité de téléchargement et 0,99$ (montant minimum autorisé par le site) pour la location pendant 72 heures.

Dans la rubrique « Vidéos », il s’agissait seulement de choisir la vidéo du film et la bande annonce qu’on a déjà mise en ligne et, si l’on veut, des extras qui apparaîtront sur la page. Puis, nous avançons à la rubrique « Apparence » où nous pouvons choisir la palette de couleurs et où nous devons choisir une affiche pour le film. J’ai choisi une combinaison entre le violet et le noir car je trouve que cela rend bien compte du film.

Enfin, les trois dernières rubriques sont optionnelles et permettent d’ajouter le nom de l’équipe technique, d’autoriser ou non les commentaires sur la vidéo ou ajouter les réseaux sociaux du film.

Voilà, notre page est faite et fin prête à être publiée et partagée !

Page VOD du film. Elle peut encore être modifiée.

Acte III : La trouvaille d’un public

La première chose que j’ai faite a été de publier des posts sur mes réseaux sociaux, afin que mon cercle de connaissances les partage. Cela permettra à la page d’obtenir une première visibilité. Pour sortir de mon cercle restreint, j’ai écrit le même post sur des groupes Facebook spécialisés en cinéma expérimental comme par exemple « Chaotic Cinema ». En espérant que cela aura un impact sur les ventes !

Post Facebook de l’auteur

Épilogue

Alors, quel bilan en tirer ? Je dirais, personnellement, que cette expérience est plutôt positive, car elle m’a montré une fois de plus la facilité avec laquelle on peut partager notre propre contenu en ligne et le faire monétiser. Or, le talon d’Achille évident de ces nouvelles opportunités est qu’on est vite noyé dans le flux d’images qui nous est présenté quotidiennement.

J’attendrai un mois avant de tirer un bilan définitif, car il faut un peu de temps pour voir si les gens se sont suffisamment intéressés au film pour le louer ou l’acheter. Entre temps, j’irai regarder ce qu’il y a de nouveau sur MUBI.

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