La coproduction internationale comme outil d’exportation : la production européenne contre la SVOD

Paula Castro
9 min readDec 28, 2018

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Le cinéma est l’une des formes d’art les plus puissantes et complètes d’expression de l’identité d’un pays. Grâce à lui, un auteur est capable de transformer le temps et l’espace, en causant des frissons ou en ouvrant des voies de réflexion, pour raconter une histoire à sa manière. La singularité d’une oeuvre est due à la finesse avec laquelle l’artiste transcrit à l’écran des sentiments universels, éventuellement au travers d’un récit ou d’une mise-en-scène fantastique. Cette ambivalence permet à une oeuvre de croiser des frontières et de toucher différents publics pour raconter une histoire sur une autre culture.

En ce sens, la France est l’un des pays qui a un bon score d’exportation, ses talents faisant toujours rêver les audiences autour du monde. Or, à l’intérieur de l’hexagone, la part de marché des films nationaux stagne, tandis que le public de télévision vieillit en faveur des offres digitales, de plus en plus nombreuses. Face aux défis de la révolution numérique, penser à une offre multi-territoriale et de nouveaux formats devient d’autant plus important que les plateformes de SVOD américaines commencent à investir dans la production locale de divers pays dans leurs langues maternelles. Celles-ci bouleversent davantage les rapports entre la production et la distribution de films à l’échelle nationale et globale.

Il faut pourtant penser le marché internationale non seulement comme destination finale des productions françaises, mais aussi comme un allié dès le processus de fabrication, capable d’élargir les possibilités de financement et de création. Comment les coproductions internationales peuvent-elles être un outil d’exportation face à l’arrivée de la SVOD sur la marché français et européen ? Faudrait-il réunir les forces avec d’autres pays pour se réinventer, et devenir plus frais ? Les producteurs locaux de se demandent partout comment rendre leurs productions suffisamment attractives pour surmonter une possible crise de surdiffusion et de concurrence d’attention.

La force de l’international

Dans une économie globalisée, les ventes internationales sont une étape essentielle pour le succès et la durée de vie d’un film. En effet, le nombre d’entrées à l’étranger est très souvent plus grand que celui en France, avec 80,5 millions contre 77,1 millions en 2017, et les recettes de l’exportation ne sont donc point négligeables : faisant toujours appel à 2017, les films français ont fait 468 millions d’Euros à l’étranger et 491,6 millions d’Euros en France. Suivant cette même logique, on pourrait penser aux blockbusters hollywoodiens, qui font le tour du monde et dont la puissance repose en grande partie sur leur exploitation à l’étranger. Malgré les différences entre les deux industries, cette même dynamique vertueuse est indispensable à la survie du cinéma en Europe face à la souveraineté financière du cinéma américain, qu’elle soit représentée par les studios, ou par les streamers.

Pour faire voyager leurs films, les producteurs français peuvent compter sur deux ressources principales : les festivals et les marchés et les sociétés d’exportation de films. Les premiers servent de vitrines vers l’international, où l’on peut rencontrer des possibles partenaires et (de) talents internationaux pour co-développer, préfinancer ou vendre leurs actuelles ou futures productions. Par le biais du deuxième, le producteur peut signer un mandat avec un agent de vente, qui saura positionner son film dans le marché international afin de lui donner plus de public et de prestige. Cette opération se fait majoritairement sur scénario, le vendeur pouvant intervenir dans le processus créatif. Cependant, selon le CNC, cinq entreprises ont concentré plus 10 M€ de ventes en 2016, ce qui représentait 74,4 % des recettes totales des films français à l’étranger », ainsi on ne peut pas vraiment parler d’une contribution à la diversité culturelle. En outre, il peut y avoir un manque d’intérêt (du marché concerné) quand un film a déjà été finalisé, notamment quand celui-ci a été financé par une chaîne de télévision.

En effet, étant donné que les diffuseurs n’ont pas les droits de distribution dans le cas d’achat de droits d’exhibition, ils n’ont pas forcément l’intérêt à financer des projets à vocation internationale, mais plutôt ceux qui correspondent le mieux à leur grilles de programmation. Il est également possible pour les chaînes de s’engager en coproduction avec les producteurs, en complément de la diffusion en antenne. Effectivement, celle-ci est la solution la plus stratégique en termes de rentabilité face aux transformations du secteur, puisqu’elle leur permet de garder des droits patrimoniaux des oeuvres pour les exploiter plus tard et sur d’autres supports. Sachant que les chaînes sont le premier guichet du cinéma français, il est important d’avoir moins de contraintes autour des nouvelles formes de diffusion de films. Avec assez d’audience, cela pourrait leur donner plus de liberté pour investir dans des idées innovantes et des nouveaux talents pour reconquérir un public plus jeune.

La SVOD : connaissant le principal concurrent

Rendant les films accessibles dans le monde entier, l’arrivée de plateformes étrangères de streaming, notamment celle de Netflix en 2014, a basculé le secteur du cinéma et de l’audiovisuel en France. Cet environnement devient plus compétitif, tantôt sur le plan international que national, car des nouvelles plateformes, à l’instar de Amazon Prime Video, Apple TV, Disney+, WarnerMedia, Hulu etc., commenceront à investir dans la production locale a partir de 2019. Selon le CSA, le marché de la SVOD est estimé à 249 M€, avec une hausse de +89,5 % en valeur par rapport à l’année précédente, les services disposant ensemble de 2 790 oeuvres cinématographiques. Grâce à son ADN international, Netflix devient la première plateforme de SVOD dans le pays en nombre d’abonnés (15% des Français utilisent un service SVOD, dont 30% ont choisi Netflix), raison pour laquelle on va l’utiliser comme exemple pour illustrer le potentiel des plateformes numériques.

Disposant jusque là de plus de liberté éditoriale et d’ouverture à des créateurs inconnus que les chaînes, Netflix est présent dans plus de 190 pays, faisant sauter les frontières de langue et d’origine par la possibilité de l’investissement massif en sous-titrage et doublage. Pour leur part, les petits et moyens producteurs sont contents d’avoir une fenêtre aussi puissante en plus pour leurs productions, qui avaient du mal à se faire financer par les diffuseurs historiques. Comme les chaînes ou les vendeurs internationaux, la plateforme achète un projet en développement ou un produit finalisé. La vente de droits d’exhibition de la série de France 2 10% (2015) à Netflix est un exemple de ce dernier type de transaction. En revanche, l’achat du film Je ne suis pas un homme facile (2018), produit par FrenchKiss Pictures, conclu dans la phase de développement, a entraîné la perte de droits patrimoniaux par le développeur initial, ce qui n’est pas un fait isolé. En effet, dans le cas du cinéma, en tant que producteur délégué, Netflix fonctionne comme les anciens studios américains à l’âge d’or de Hollywood : il contacte directement les talents, investit des sommes stratosphériques dans les productions, dans le développement de son système de recommandation et encore davantage dans les campagnes de marketing, et en arrive jusqu’à acheter une société d’affichage pour faire plaisir aux talents.

Ni Netflix ni les autres streamers n’ont pas a priori intérêt à s’engager dans la coproduction, car cela impliquerait un partage des droits. En revanche, il pourrait offrir des avantages locaux : par exemple, en investissant dans la production française, les plateformes pourraient profiter d’une baisse dans le délai de diffusion après la première exhibition en salles (de 36 à 15 ou 17 mois), selon la nouvelle chronologie des médias. De même, les producteurs confirmés et les chaînes de télévision n’ont plus intérêt à vendre des contenus, préférant conserver l’exclusivité de leurs films et programmes. Certes les SVOD américaines facilitent la tâche, mais comment faire le tour du monde sans perdre son IP, valorisant les sociétés locales ? Dans le but d’assurer leur présence numérique et multiterritoriale, quelques chaînes sont en train de repenser leurs stratégies de diffusion, lançant un service SVOD et de contenu, investissant dans la production de séries. Par exemple, France Télévisions considère arrêter la vente de séries à Netflix et investir dans la plateforme Salto (avec M6 et TF1) ; Canal+, dont l’offre, CanalPlay, occupe la deuxième place dans la préférence des Français, oriente ses productions vers les marchés d’Afrique et d’Asie ; Arte lance un service de streaming multilingue sur Arte.tv en 6 langues, entre autres. Des exemples commes ceux-ci sont en train de dessiner un système de silos, le diffuseur produisant également son propre contenu.

La coproduction internationale : l’union fait la force

Les relations entre les producteurs et diffuseurs passent par une transformation, la révolution numérique poussant les acteurs du secteur à revoir leurs stratégies pour conquérir leur part d’audience. Si certains d’entre eux parviennent à reconquérir les audiences nationales, d’autres n’arrivent pas à trouver de financement pour des projets plus audacieux. Cela réduit la diversité et la richesse des productions françaises et européennes. Par ailleurs, les productions qui pourraient intéresser le public étranger ont une difficulté à circuler d’un pays à l’autre. Sans échange culturel et sous l’emprise d’acteurs américains de plus en plus puissants, l’expression culturelle européenne s’asphyxie, ainsi que son Soft power. Non seulement ces acteurs essaient de conquérir les talents locaux, mais ils signent également des partenariats avec des majors et des producteurs confirmés, et ce afin d’augmenter leurs territoires d’influence et d’atteindre également un public de cinéma. Une fois sortis en salles et en festivals, les films bénéficient de plus d’opportunités sur le marché.

Face à une concurrence capable de mobiliser des ressources financières, artistiques et légales autour du monde, la coproduction internationale s’impose comme une question-clé dans la construction de cet environnement fécond pour la création française et européenne. Les accords bilatéraux et les programmes de développement d’industrie commun à plusieurs pays, comme le programme MEDIA (de l’Union européenne), sont une réponse à la quête des productions locales pour plus de visibilité et pour le soutien de nouvelles cinématographies. En 2017, 41 % des films agréés étaient des coproductions internationales, avec 48 partenaires étrangers et 432,2 M€ investis. Cela représente cependant un recul de 20,2 % par rapport à 2016, avec une baisse des devis moyens et des apports francais, montrant un désengagement dans le pays. Une oeuvre bi ou multinationale peut pourtant ambitionner plus de sources de financement, faire travailler ensemble des talents étrangers pour la première fois et signer plus de contrats de diffusion, éventuellement entrant dans les quotas de diffusion locaux et parcourant les différents médias des diffuseurs concernés. Si les poids des acteurs historiques ne leur assurent pas à eux seuls une fidélité d’audience, ces derniers peuvent se servir des accords avec les autres pays pour adapter leurs identités à l’ère numérique globalisée.

Finalement, la SVOD est incontournable pour le succès des ventes multi-territoriales. En nourrissant leurs plateformes digitales avec un contenu qui est international depuis sa fabrication, les diffuseurs des pays concernés auront plus d’atouts pour reconquérir le jeune public. Du point de vue financier, ils doivent avoir pour objectif cette intégration européenne dans un premier temps, et chercher ensuite à construire de nouvelles alliances intercontinentales. Au-delà de contribuer à la valorisation des ressources artistiques des chaînes de télévision en leur offrant un public diversifié, ils se verront intégrés dans une logique moderne de média multisupport. La construction d’une plateforme attractive passe par le développement d’un système algorithmique pour proposer un service personnalisé avec un efficace moteur de recommandation, sensible aux habitudes de consommation de l’utilisateur. Une offre pas cher, comme une plateforme subventionnée par la redevance, pourrait être encore un outil dans la lutte contre la piraterie en Europe.

La valorisation de la french touch

Pour rendre leurs offres de contenu plus attractives et répondre aux demandes spectatorielles soulevées par la révolution numérique, le cinéma et de l’audiovisuel français doivent se réinventer. L’exportation des oeuvres étant l’une des étapes le plus importantes en termes d’expansion culturelle, ainsi que de recettes de ventes, le financement de projets à vocation internationale est essentiel pour la survivance du système français. Celui-ci l’est d’autant plus que les plateformes SVOD arrivent nombreuses sur le marché européen, en produisant également du contenu local. Les chaînes, comme premier guichet du cinéma national, sont obligées d’adapter leurs modèles économiques, mais ce avec le but de valoriser la production locale et la création d’un patrimoine culturel.

Depuis 2014 notamment, les plateformes SVOD font une démonstration de force économique et stratégique qui les a récompensé avec une croissance rapide. Pour rappel, Netflix a construit une audience fidèle en lui proposant des prix très bas et un catalogue assez pauvre, pour ensuite lui offrir des oeuvres de meilleure qualité et recommandées aux internautes de manière pertinente. Ainsi, l’industrie française et européenne seraient-elles capables de donner une réponse à la hauteur ? Les coproductions internationales peuvent être une voie pour concilier des ressources financières et artistiques compétitives avec une création expressive des identités culturelles des pays européens et d’ailleurs.

Ces échanges internationaux, non seulement au niveau des salles de cinéma et de télévision mais aussi sur des plateformes en ligne par abonnement, peuvent contribuer pour que les oeuvres locales soient capables de traverser les frontières françaises. Pour ce faire, les acteurs historiques devront investir dans le développement de moteurs de recommandation efficaces pour leurs plateformes, ainsi que dans une expérience d’utilisateur (user experience, en anglais) confortable et intuitive, afin de faire connaître la french touch à de nouveaux publics.

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Paula Castro

Estudante do @master2dmc Digital, Médias, Cinéma na @SorbonneParis1 // Filhote da Escola de Comunicação da @UFRJ (Rio de Janeiro, Brasil)