La ruée vers la SVOD

Léo Tisseau
MASTER DMC : Digital Médias Cinéma
5 min readJan 6, 2018

Un Français sur cinq déclare aujourd’hui utiliser un service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) selon la dernière enquête Médiamétrie. C’est 40 % de plus qu’en 2016. Peu de services peuvent se targuer d’une telle croissance annuelle. Après le lancement de CanalPlay en 2011, première offre importante de SVOD française, c’est l’arrivée de Netflix qui va lancer le marché en 2014. Peu à peu, la vidéo à la demande par abonnement s’inscrit comme pratique majoritaire de consommation de contenus audiovisuels.

Le déploiement de l’internet haut débit, voire très haut débit avec la fibre, sur l’ensemble du territoire favorise la consommation de contenus audiovisuels over-the-top (OTT). Le développement des télévisions connectées et de la consommation de vidéos sur plus petits écrans (smartphone et tablettes) participe à cette croissance des services de SVOD. Les pratiques de consommation mutent progressivement avec comme nouveau paradigme Any Time, Anywhere, Any Devise (ATAWAD). Alors que l’on pourrait penser que les abonnés Netflix regardent films et séries « au-chaud », c’est-à-dire chez eux, de récentes études montrent que la consommation en mobilité, dans le métro ou encore au travail, se développe à vitesse grand V.

Face au dynamisme du marché, porté essentiellement par le géant étasunien Netflix, nombreux sont ceux à vouloir surfer sur la vague de la SVOD. En France, comme dans le reste du monde, les offres se multiplient : Amazon Prime Vidéo, OCS Go, SFR Play pour ne citer que les plus importants.
En septembre 2017, l’annonce de Disney du retrait de ses œuvres du catalogue Netflix et de la future création de sa propre plateforme constitue un séisme dans le monde de la SVOD. Cette nouvelle intervient simultanément à l’annonce du futur investissement d’Apple dans les contenus en vue vraisemblablement de la constitution de sa propre plateforme, de la hausse des investissements de Netflix (portés dorénavant à 8 Milliards de dollars) et du lancement de Facebook Watch et YouTube Red.

Les grands acteurs qui s’insèrent sur le marché de la SVOD (GAFA et studios notamment) optent pour l’instant pour la stratégie généraliste. Leur force de frappe économique leur permet de constituer un catalogue large et diversifié. Pour autant, se pose dès lors la question de la capacité de distinction de ces services. L’affaire Disney rappelle le risque de la SVOD : la dépendance aux droits. Dès lors, les grandes plateformes de SVOD, en premier lieu Netflix et Amazon, investissent massivement dans la création originale. L’objectif est simple : posséder ses propres œuvres pour ne pas dépendre de celles des autres. Les grandes plateformes américaines, en particulier Netflix et Hulu, produisent leurs propres contenus depuis 2012. Netflix compte valoriser ses propres productions (Narcos, Stranger Things) comme vecteur d’abonnement. A l’opposé des chaines payantes traditionnelles, Netflix publie l’ensemble des épisodes d’une saison à une date et n’échelonne pas la sortie dans le temps. Pour Reed Hastings, CEO de Netflix, tout l’intérêt de la SVOD est de permettre de diminuer l’insatisfaction et l’impatience des spectateurs. La SVOD participe au désabonnement massif au câble (cord-cutting) par les services innovants que la technologie propose.

Néanmoins, cette stratégie de l’investissement dans la production n’est pas à la portée de tous. Seules les grandes plateformes sont en capacité d’investir des milliards. Pour les autres, la dépendance demeure et, de facto, la nécessité de négocier les droits sur les œuvres mises à disposition. En France, les chaines de télévision lançant leur propre plateforme de SVOD font face à une difficulté supplémentaire : l’absence de droits sur les œuvres qu’elles ont pu coproduire. Pour mettre à disposition la série « Dix pour cent » sur son futur service de SVOD, lancé en 2018, France 2 devra repayer les droits au producteur, quand bien même elle a financé une grande partie de la production.

Face à la stratégie généraliste des grands, les plus petits peuvent opter pour la stratégie de la niche. Partant du postulat que les plateformes de SVOD généralistes ne peuvent contenter tout le monde, ces nouvelles offres cherchent à se positionner sur des marchés de niche. En France, Benshi Studio, lancé en novembre 2017, vise par exemple les enfants en proposant une offre de films de qualité adaptée à un public jeune. Néanmoins, ces plateformes SVOD de niches s’exposent à une attrition (churn) plus importante en cas d’usage insuffisant du service par les abonnés.
Le lancement récent de Black Pills et de Studio + montre la volonté de proposer des offres SVOD alternatives. Ces deux plateformes proposent en effet des formats courts, adaptés à une consommation en mobilité, dans les transports en commun notamment. Pour ces services, la création originale est plus aisée du fait du moindre coût des formats audiovisuels courts.

Netflix est également dominant par sa maîtrise du Big Data. Les équipes de la firme américaine travaillent constamment sur le perfectionnement de l’algorithme de recommandation. Il est difficile de rivaliser sur ce terrain pour n’importe quelle nouvelle plateforme de SVOD, hormis pour les GAFA qui maîtrisent déjà le Big Data. Face à la dé-linéarisation de la consommation de contenus audiovisuels, la recommandation algorithmique devrait prendre une place toujours plus importante les années à venir. Pour des plateformes dont le catalogue est composé de centaines d’œuvres, le Big Data permet de personnaliser l’offre en fonction de chaque abonné et dès lors accroître sa dépendance.
Face au règne de la recommandation algorithmique, Mubi, service de SVOD implanté en France depuis 2013, s’affirme comme un « anti-Netflix ». Avec une offre d’un nouveau film chaque jour disponible pendant trente jours, Mubi séduit un public de cinéphiles. Cette volonté d’éditorialisation l’offre est une réussite face au catalogue monstre de Netflix où l’abonné est facilement perdu.
Le lancement de YouTube Red et de Facebook Watch apparaît également comme une nouvelle concurrence, et non des moindres, pour les plateformes de SVOD existantes, en particulier pour Netflix. YouTube comme Facebook maîtrisent le Big Data et surtout, disposent d’une base d’utilisateurs considérable. Les deux géants veulent marcher sur les plates-bandes de Netflix mais également des groupes de communication historiques en achetant des droits sportifs et en investissant dans la création originale.

Si l’ère du paiement à l’acte semble aujourd’hui révolue, l’ère de l’abonnement qui s’annonce doit être relativisée. Se pose en effet la question du consentement à payer un abonnement supplémentaire chez des consommateurs déjà multi-abonnés. Pour l’instant, la pratique du Build your own bundle (BYOB) semble s’imposer, avec des consommateurs s’abonnant à plusieurs services de SVOD en fonction de leurs envies, mais jusqu’à quand ? Les plateformes trop généralistes en feront peut-être en premier les frais, surtout si le prix de l’abonnement est plus important. Si le coût de la consommation d’œuvres audiovisuel a diminué avec la SVOD, ce coût pourrait croître en cas de nécessité de multi-abonnements.

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Léo Tisseau
MASTER DMC : Digital Médias Cinéma

Etudiant au sein du Master 2 Digital, Médias, Cinéma de l’Université Paris 1 — Panthéon Sorbonne.