LE BANQUET [ou : De l’arrivée de Disney sur la plateforme SVOD]

Cynthia Jean
8 min readJan 3, 2019

--

PHEDRE

Mes amis, j’estime qu’il serait de bon ton, de commencer ce repas avec la nouvelle la plus excitante de ces quelques semaines : Disney arrive sur nos ordinateurs en format SVOD. N’était-il pas temps ? J’avoue que ma passion pour ses productions s’en trouve satisfaite. Imaginez : un après-midi entier à naviguer d’un contenu à l’autre sans aucune restriction. Je me prépare déjà à de longs marathons.

PAUSANIAS

Je m’étonnais que tu n’abordes pas encore le sujet mon cher Phèdre. Connaissant ta passion dévorante pour leurs productions, tu ne peux être que satisfait, et cela d’autant plus qu’ils ont annoncé un prix défiant toutes concurrences. Prêt de 3 euros de moins de ce cher Netflix, quelle chance !

PHEDRE

Ah ! Pausanias ! Comment oses-tu comparer l’incomparable ! Netflix est dirigé par des rapaces, qui récupères des productions déjà en perdition, et leur font de la publicité. Ils ont dépensé pour plus de 2 milliards de dollars en marketing cette année !

SOCRATE

Je te trouve bien injuste mon ami, Netflix a déjà produit de nombreux contenus originaux.

PHEDRE

Uniquement des contenus avec des scénarios basiques et sans prises de risques. Il n’y a aucune logique dans leur ligne éditoriale.

ARISTOPHANE

Eh là ! En voilà une mauvaise fois ! Tu trouves que Disney a une logique éditoriale ? Quand ils se sont approprié les droits de Star Wars, personne n’a réellement compris leurs intentions. On a tous eu très peur. Et nous avons toujours peur aujourd’hui…

PHEDRE

Qui a peur ? Celui qui affirme que Disney aurait dû laisser mourir la franchise Star Wars se dénonce ! Disney fait la promotion de l’imaginaire avant tout. Star Wars est un imaginaire, et je suis bien heureux de pouvoir retrouver cela sur la plateforme.

PAUSANIAS

Mais, ne trouves-tu pas que Disney se compromet en s’insérant sur le marché SVOD mon ami ? Disney est un contenu familial et collectif avec des valeurs fortes de partage et d’amour. Ne penses-tu pas que le format de la plateforme SVOD ne contreviendra pas car il s’adresse avant tout à un public jeune, à une consommation égoïste. Netflix fonctionne grâce à la publication de contenus peu qualitatifs, à base de séries sans filtres comme Orange is The NewBlack, ou effrayants comme dernièrement The house on haunted hill, qui se prêtent d’avantage à des consommations solitaires. Qu’est-ce que compte mettre Disney sur sa plateforme ? C’est seulement cela qui déterminera son succès futur.

ARISTOPHANE

C’est en effet une bonne question que tu poses là mon ami. Je pense qu’il ne faudrait pas oublier les origines de Disney et analyser sa réelle capacité à s’adapter à un nouveau public, à une nouvelle forme de consommation des images.

SOCRATE

Je vois que la conversation est déjà bien engagée. Mettons-nous à table et entamons l’entrée. Je vous propose de boire légèrement afin de passer en discours cette soirée.

PHEDRE

Mes chers amis, je ne vois même pas où se situe le débat dans la mesure où Disney est le mastodonte du divertissement. Il détient plus de 27% du cinéma américain. Il a toujours su s’adapter aux évolutions de son secteur. Il s’est inscrit dans le digital, au moment de son avènement, en créant des partenariats solides avec des influenceurs. Il s’est même adapté aux chocs technologiques dans le secteur des dessins animés, quand il a fallu se mettre de l’image de synthèse 3D. Il ne faut certainement pas sous-estimer la plasticité de cette entreprise !

SOCRATE

Ô, loin de nous cette idée ! Tous ici nous estimons cette entreprise. Il faudrait être de mauvaise composition pour ne pas reconnaitre ses qualités exemplaires. La véritable question qu’il se pose est sa capacité à rentrer sur le marché SVOD. N’oublions pas que celui-ci est déjà bien occupé par Amazon ou bien Netflix…

PHEDRE

Netflix, Netflix ! Vous me faites bien rire. Une partie du contenu Netflix appartient à Disney. Croyez bien que ceux-ci serrent les dents face à l’arrivée de ce concurrent de poids. Une enquête du New York Times publiée le 5 aout 2018 affirme qu’il n’y aura plus de films Marvel diffusés sur la plateforme après Ant-Man et la Guêpe. Alors ils ont beau temporiser en donnant des conférences de presses et affirmant que cela n’affectera pas leur croissance, il n’empêche que Reed Hasting a tout intérêt à consolider sa base et à muscler sa politique de contenus originaux s’il veut rivaliser avec Disney.

PAUSANIAS

Mais, mon cher Phèdre, tu oublies que dans de nombreux pays, Netflix n’a presque pas de programmes Disney et chacun peut constater qu’il s’en sort très bien à l’international. En réalité, moi je pense que la question est mal posée. Je ne pense même pas que Netflix et Disney soient des concurrents directs. Ils ne font pas du tout le même genre de contenus, ils ne s’adressent pas du tout au même public.

SOCRATE

Il me semble que vous avez terminé votre entrée, je m’en vais vous servir le plat de résistance.

PAUSANIAS

Merci mon ami. Or, donc, il me semble qu’il serait aussi pertinent de comparer Disney et Netflix que de comparer Maneki Films et Mandarin Films. Ils n’attirent pas du tout le même public et n’ont pas du tout les mêmes contenus.

PHEDRE

Quelle idiotie mon cher Pausanias. Comme si Netflix avait une ligne éditoriale et privilégiait un contenu plutôt qu’un autre. Comme je le disais plus tôt dans la soirée, c’est un rapace qui produit tout ce qui peut se mettre devant une caméra.

PAUSANIAS

Ton amour pour Disney t’aveugle mon ami. Certes pour l’instant Netflix produit à tour de bras des contenus divers et variés. Mais il est clair que certains contenus sortent du lot. Ce qui marche très bien sur Netflix ce sont les séries et films qui s’adressent à un public jeune d’environ 15/28 ans. Stranger Things, 13 Reasons Why, Casa de papel, ou encore des films adolescents comme The Kissing Booth ou To all the boys i loved before. Ce sont des histoires simples, manichéennes, mais qui, à l’inverse Disney, parlent de problématiques plus crues : la criminalité, la sexualité, le désir amoureux, le suicide… De son côté Disney fait la promotion -et a toujours fait la promotion- d’un catalogue familial. Ils comptent mettre Les Gardiens de la Galaxie volume 3, Doctor Strange 2 pour les Marvel ; mais aussi les Star Wars actuels et futurs, Toy Story 4, Frozen 2…

PHEDRE

Je ne puis être de ton avis Pausanias. Tu oublies que dans les contenus de 21st Century Fox, Disney exposera aussi des séries « crues » -pour reprendre ton expression- comme les Simpson ou Futurama.

PAUSANIAS

Je te l’accorde. Ces deux séries auraient aussi bien pu se retrouver sur Netflix. Mais elles restent en marges de son catalogue. Cela prouve surtout que Disney cherche avant tout à s’installer doucement dans le paysage de la SVOD, et ne cherche pas à attaquer de front Netflix, ce qui serait une perte de temps et d’argent selon moi. Le lancement du service est ainsi prévu pour l’automne 2019, dans un premier temps aux États-Unis seulement. Disney ne compte pas se précipiter et préfère attendre un peu que le service s’installe, avant de songer à une sortie internationale. Bob Iger sait que créer un catalogue de contenus épais prend du temps, et qu’il n’arrivera pas à la hauteur de Netflix rapidement. C’est pour cela qu’il a précisé ce 8 août 2018, que le tarif du service de SVOD de Disney sera inférieur aux abonnements Netflix.

ARISTOPHANE

Qu’importe ! Disney ne compte pas que sur cette plateforme pour attaquer ses concurrents !

PAUSANIAS

Te voilà bien enthousiaste Aristophane. Quel est ton avis sur le sujet ?

ARISTOPHANE

Je pense que tu as tort, mon cher Pausanias quand tu affirmes que Disney cherche à arriver doucement sur le marché de la SVOD, avec peu de contenus. S’il n’attaque pas son ennemie de front, c’est parce qu’il compte l’attaquer sur plusieurs fronts.

SOCRATE

Cette métaphore guerrière nous tient tous en haleine cher Aristophane. Finissez votre plat tandis que je m’en vais chercher le dessert.

ARISTOPHANE

Vous souvenez-vous d’Hulu ? Il s’agit d’un site web américain de vidéo à la demande par abonnement, qui propose des films, des séries télévisées et des clips musicaux. Ce site est une entreprise qui appartient en partie à Disney. Bob Iger, le directeur de Walt Disney Company, ne compte pas fusionner Hulu avec le futur service de SVOD de Disney. Disney serait plus une offre familiale, tandis que Hulu serait destiné à un marché plus adulte. Ce sera le même destin pour ESPN+, un service de diffusion de sport lancé en avril 2018. Au lieu d’avoir un énorme service d’agrégation comme le fait Netflix, Bob Iger attire différentes parts de marché, différents segments, goûts et démographies. Il n’exclut pas, en revanche, d’offrir des réductions aux utilisateurs qui souhaiteraient s’abonner à deux ou trois de ces services : Disney, ESPN+, ou Hulu, Disney, ou Hulu, Disney, ESPN+… Vous avez compris le principe.

PAUSANIAS

Voilà qui est malin de leur part. Ils ne comptent pas faire concurrence par le contenu mais bien par la forme que va prendre leurs services…

ARISTOPHANE

Tu parlais d’un contenu trop édulcoré sur la plateforme Disney ? Celle-ci compte utiliser Hulu pour distribuer sa fiction interdite au moins de 17 ans.

PAUSANIAS

Disney est le spécialiste dans le développement de film, mais en ce qui concerne les series, ne risque-t-il pas d’être doublé par Netflix?

ARISTOPHANE

Eh bien détrompe toi mon ami. J’ai lu que Disney compte investir entre 25 et 35 millions de dollars pour des saisons de 10 épisodes la première année, puis augmenter le budget si le succès est au rendez-vous. Pour ce qui est de la qualité, je ne peux rien garantir. Mais il ne faut pas oublier que Disney est rompu à l’exercice des séries depuis les années ’50. La question sera de savoir s’ils peuvent nous étonner sur ce point sans ressortir les ingrédients classiques qu’ils nous ont déjà servie des milliers de fois : la girl-next-door qui vit des aventures incroyables … On n’en peut plus !

SOCRATE

Ainsi, si je comprends bien, le positionnement de Disney est cohérent avec la réalité du marché actuel de la vidéo en ligne. S’il s’impose ainsi, il semble pouvoir il y avoir de la place pour tout le monde.

PAUSANIAS

Tu as bien résumé. Selon moi, Disney ne va que se juxtaposer aux autres services sans jamais réellement trouver sa place car, pour cela, il faudrait apporter quelque chose de différent aux consommateurs. Il n’est pas anodin que Netflix produise de plus en plus de contenus originaux : à terme, le service de Reed Hastings se différenciera principalement grâce à ses films, séries et documentaires originaux.

ARISTOPHANE

Je suis bien d’accord. À l’inverse, le « Disneyflix » -s’il devait s’appeler ainsi- pourra s’imposer comme une alternative de contenus froids, loin de la course aux talents dans laquelle se sont lancés de nombreux autres acteurs de la vidéo en ligne.

PHEDRE

Mais Disney compte mettre en place des contenus originaux ! Il y aura plusieurs nouvelles séries Star Wars, dont une qui vient d’obtenir un budget de 10 millions de dollars par épisode. Plusieurs projets ont déjà été évoqués, comme une série animée Monstres et Compagnie, une série Marvel ainsi qu’une série High School Musical… Ce n’est pas rien !

SOCRATE

Il me semble, finalement, que seul le public pourra déterminer le succès de cette plateforme. Dans cette explosion du marché SVOD, il faut conquérir le cœur du spectateur et on ne peut pas retirer à Disney le fait qu’il a déjà une grande partie de la sympathie du public et je dirais même, quand je te vois t’exprimer mon cher Phèdre, tout leur amour. Reste à voir s’il en sera digne. Je vous remercie mes chers amis pour cette soirée très agréable, j’espère que celle-ci vous aura divertie.

--

--