Le ciblage émotionnel : la nouvelle façon pour les chaînes de télévision d’adapter la publicité aux téléspectateurs.

Pour la première fois en 2016, en France, la part d’investissement dans la publicité sur le digital est plus élevée qu’à la télévision. On constate, grâce au graphique (1) ci dessous que la publicité digitale représente un tiers de la publicité totale.

Est-ce pour cette raison que les régies publicitaires vont désormais pouvoir proposer à leurs annonceurs une offre de ciblage émotionnel ? Nous allons voir dans cet article comment les régies publicitaires de grandes chaînes procèdent et dans quel but elles souhaitent utiliser nos émotions pour des fins marketing et publicitaires.

Aujourd’hui, les régies publicitaires intègrent de plus en plus les innovations technologiques pour continuer à intéresser les annonceurs et à capter des revenus publicitaires, dont nous savons l’importance en terme de financement. En effet, le prix d’une campagne publicitaire à la télévision prend en compte le coût de diffusion, qui se détermine en fonction de l’audience ciblée ainsi que de la chaîne choisie. Par exemple, selon les tarifs de la grille de la régie publicitaire de TF1 (2), du samedi 4 au vendredi 10 novembre 2017, le coût d’une publicité de trente secondes (Tarif 1 Standard, hors taxes et en Euros), sur un access prime time de 20h à 23h, le coût varie entre 17 000 € et 106 000 €. Chez M6 (3), pour la même période et la même amplitude horaire, le coût varie entre 8 000 et 72 000€.

Il semblerait que, depuis quelques temps, comme le rappelle Marina Alcaraz dans son article dans Les Échos du Mercredi 25 octobre 2017, la télévision cherche à céder aux annonceurs l’hémisphère droit du cerveau, et non plus du « temps de cerveau disponible » comme le disait en 2004, Patrick Le Lay ex-PDG du groupe TF1. Effectivement, l’hémisphère gauche est celui de la raison alors que l’hémisphère droit, quant à lui, est associé à l’intuition, la créativité, l’imagination, aux pensées mais également aux émotions. C’est donc vers ce côté-ci du cerveau que les chaînes de télévision, telle que M6, souhaitent se diriger.

Dans leur livre Le neuro-consommateur, Michel Badoc et Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou déclarent que le cerveau du « neuro-consommateur est sous l’influence de ses émotions » (et de ses désirs — comme le souligne un de leurs sous-titres). Ils citent également Alain Berthoz, un professeur au Collège de France qui a, lui aussi, écrit des ouvrages concernant le rôle des émotions, disant que « Le fait d’acheter ou de ne pas acheter un produit, le choix d’une marque… ne sont que la résultante de la mise en route des moteurs de l’émotion ou des émotions de notre cerveau » (4). Les émotions renforcent donc la mémorisation et l’engagement d’une publicité et permet de l’optimiser.

Dans une interview pour CB News du 18 octobre dernier, David Larramendy, le Directeur Général de M6 Publicité (régie publicitaire du groupe), développe, entre-autres, la nouvelle tendance pour le groupe : la mise au point d’une offre de ciblage émotionnel.

Selon lui, même si M6 est en phase de test, le ciblage en télévision est en train de se développer avec l’arrivée de nouveaux outils qui permettent une publicité adressée et donc une « opportunité de finesse et de pertinence dans le ciblage » (5). Développer une publicité ciblée s’insère dans un contexte où, comme il le rappelle, huit français sur dix regardent encore la télévision chaque jour (que ce soit en live ou à travers le replay et donc sur une multitude d’écrans) avec une moyenne de 3h30 par jour. Quant au groupe lui-même, chaque mois en 2017 c’est 54 millions de téléspectateurs devant la chaîne M6, ce qui représente environ neuf français sur dix. Ces chiffres permettent donc de faire comprendre aux annonceurs l’efficacité de la télévision et de la chaîne comme vecteurs de diffusions de leurs messages. Pour le PDG de M6 Publicité, l’utilisation des émotions est « une valeur chère » de leurs antennes, c’est donc dans cette optique que l’utilisation du ciblage émotionnel est une valeur à défendre.

David Larramendy annonce alors que le groupe est « en effet la 1ère régie audiovisuelle à lancer une offre de ciblage émotionnel sur la TV live et en replay. Avec cette innovation, un annonceur pourra délivrer son message de marque au bon moment : celui où l’audience est la plus réceptive à son spot, en fonction d’une émotion recherchée. En s’appuyant sur des algorithmes d’analyse sémantique, nous avons pu développer une solution exclusive faisant appel à l’intelligence artificielle. » Tout en appuyant sur le fait que « le souvenir publicitaire est multiplié par 2 lorsque l’émotion du téléspectateur est plus intense. »

L’objectif du groupe est clair, à travers ce ciblage émotionnel, leur volonté est de permettre aux spectateurs en linéaire et/ou en rattrapage d’enregistrer davantage la publicité. Afin de cibler au mieux l’audience grâce aux émotions, il faut tout d’abord pouvoir mesurer et comprendre les réactions émotionnelles. La différence avec d’autres chaînes de télévision quant à l’avènement du ciblage émotionnel, c’est que chez M6 « Au lieu de mesurer une émotion sur chaque utilisateur, on est parti de nos contenus » (6), précise Guillaume Charles, Directeur Général adjoint en charge du marketing, des études et du digital de M6 Publicité.

La régie publicitaire du groupe s’est donc associée avec l’agence Semantiweb, spécialisée dans l’expérience marketing. Leur technologie d’intelligence artificielle est basée sur la compréhension des usages ainsi que des attentes du consommateur. L’agence utilise un algorithme d’analyse sémantique et à travers les sous-titres des programmes de la chaîne, scanne l’intégralité des propos, seconde par seconde, afin d’y déceler six émotions positives à savoir le rire, la joie, la surprise, l’émotion, le frisson et la nostalgie. Ces données sont par la suite croisées avec les coupures publicitaires. In fine, cela permettra donc au groupe de proposer aux annonceurs le placement de leurs messages publicitaires à un instant T en fonction de l’état émotionnel du spectateur. David Larramendy dans Stratégie affirme qu’ils pourront « diffuser un spot dans le contexte émotionnel du programme : une pub comique au moment de la pause sur un moment drôle, par exemple, pour renforcer l’émotion sachant que plus celle-ci est grande plus la mémorisation est forte » (7). Ce ciblage émotionnel va permettre aux annonceurs d’améliorer l’efficacité de leurs campagnes afin de répondre au mieux aux émotions ressenties chez les téléspectateurs.

Marina Alcaraz, dans l’article article cité précédemment, évoque les propos du Directeur Général de M6 Publicité « On constate un réel intérêt des annonceurs ». Elle précise également qu’en « termes de prix, ce type d’offre est environ 10% plus cher qu’une campagne classique ». Les annonceurs semblent alors en bonne phase pour utiliser cette nouvelle façon de marquer les téléspectateurs. En effet, le groupe M6 a déjà son premier contrat de ciblage émotionnel avec la marque Coca-Cola, nous n’avons pas plus d’informations quant au genre de marketing émotionnel qui sera utilisé, mais la campagne devrait être lancée début 2018 sur les écrans.

D’autres groupes comme TF1 ou France Télévision se penchent également sur le sujet en utilisant des techniques différentes que M6. TF1 Publicité s’est tourné vers Datakalib, un laboratoire conseil en neuromarketing et Iligo, une agence d’études dédiée à la compréhension des comportements de consommation et à la mesure des leviers marketing, afin de réaliser une étude directement sur les téléspectateurs. Pour mesurer les émotions, Datakalib a utilisé le facial coding via des programmes du groupe. Le facial coding est une technique qui permet d’analyser les six émotions primaires et facilement reconnaissables du visage qui sont : le dégoût, le contentement, la tristesse, la peur, la colère et la surprise, qui seront par la suite traitées par un algorithme. Et Iligo a mis en place un questionnaire en ligne consacré à l’analyse de « 120 émissions » (8).

Ces nouvelles techniques de marketing, par l’immiscions dans le cerveau et les émotions de l’audience, ne tendent-elles pas vers une nouvelle forme d’imputation d’un produit plutôt que de la conception des campagnes publicitaires au service du consommateur ?

(1) Graphique provenant de l’étude de l’Observatoire de l’e-pub au premier semestre 2017.

(2) Disponible sur le site TF1 Publicité : https://www.tf1pub.fr/offres/documents/grilles-generiques/tous/tous

(3) Disponible sur le site M6 Publicité : http://m6pub.fr/document-category/grille-pub-hebdomadaires/?v=424

(4) Propos recueillit à la page 137 du livre cité.

(5) Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’interview à cette adresse : http://pub4.activemailer.pro/nohtml/608/28072/10495479/523-xsLcTdfCYDDkcIr

(6) Selon un article de BFM : http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/m6-met-au-point-une-nouvelle-arme-pour-rendre-la-pub-plus-efficace-1253994.html

(7) Propos recueillis par Marie-Juliette Levin et Amaury de Rochegonde. L’interview est disponible à cette adresse : http://www.strategies.fr/actualites/medias/1069635W/-m6-vend-de-la-credibilite-.html

(8) Selon un article de Mégane Gensous : http://www.e-marketing.fr/Thematique/etudes-1092/Breves/emotion-vecteur-efficacite-publicitaire-322997.htm?recherche=L%27%C3%A9motion%2c+vecteur+de+l%27efficacit%C3%A9publicitaire#jyGD389I2mHUZzuk.97

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