Le made in Europe de Netflix
A la conquête des marchés étrangers
Aux Etats-Unis, le secteur de la SVOD est marqué par la compétition accrue que se livrent médias traditionnels et plateformes de streaming, celles d’Amazon, d’Hulu et très prochainement celles d’Apple, de Warnermedia et de Disney. Dans ce contexte ultra concurrentiel, Netflix doit mener une véritable guerre pour capter l’attention du public et occuper le temps du divertissement. Reed Hastings le rappelle d’ailleurs dans sa lettre aux actionnaires du 16 octobre dernier, lorsqu’il mentionne une « compétition pour les heures d’écran » et affirme : « parmi ces concurrents énormes des deux côtés, ainsi que les entreprises de médias traditionnelles, notre travail consiste à faire en sorte que Netflix se démarque de manière à ce que les consommateurs, lorsqu’ils ont du temps libre, choisissent de le dépenser avec notre service ».
Outre l’environnement de plus en plus compétitif dû à la prolifération et au succès des plateformes rivales, Reed Hastings souligne, dans son dernier bulletin trimestriel, que le gain d’abonnés sur son territoire est entré dans une relative stagnation. Les chiffres du troisième trimestre 2018 montrent clairement que seule l’extension de la plateforme à l’international lui permet aujourd’hui de booster de façon significative son développement : Netflix a en effet gagné cinq fois plus d’abonnés dans les autres pays que chez l’Oncle Sam (5,87 millions contre 1,09 million). Sur 137,1 millions d’abonnés dans le monde, 78,64 millions se trouvent à l’étranger et on devine que ce chiffre est loin d’avoir atteint son maximum. Conscient que sa marge de progression sur son marché domestique est très limitée, Reed Hastings continue de lorgner vers les marchés prometteurs de l’Asie et du Vieux continent.
Quoique déjà fortement implantée à l’international (Netflix est présente dans 190 pays), Netflix poursuit sa pénétration des marchés étrangers, et souhaite fidéliser, à long terme, de nouveaux abonnés et installer, ainsi, durablement son monopole mondial. Cette stratégie d’internationalisation répond de toute évidence à celle des autres plateformes et, d’une façon générale, à celle des grands groupes audiovisuels américains pour lesquels les pays étrangers représentent l’Eldorado et la condition indispensable à leur croissance. C’est la raison pour laquelle, à titre d’exemple, ComCast et la 21st Century Fox se sont livrés bataille pour le rachat de Sky, le leader européen du divertissement avec 17 millions d’abonnés.
Mais si la croissance de Netflix repose désormais, et de façon inévitable, sur les nouveaux souscripteurs de la zone hors Etats-Unis, elle repose aussi sur l’appétit de ces derniers pour ses films originaux et ses séries. Le patron de Netflix l’a compris puisque la société a investi cette année 8 milliards de dollars dans des contenus originaux, lesquels devraient, selon l’objectif fixé par Reed Hastings, représenter à terme 50% du catalogue de la plateforme.
Si les productions américaines sont encore, pour l’heure, prédominantes au sein de son offre, les productions étrangères se feront à l’avenir de plus en plus nombreuses. Et une place privilégiée sera accordée aux productions européennes. D’autant que la directive SMA, votée par les députés de Strasbourg le 2 octobre impose désormais aux plateformes étrangères un quota de 30% d’oeuvres européennes dans leur catalogue.
La ruée vers l’Europe
La captation et la fidélisation des publics étrangers, notamment européens, passe par une adaptation à leur ADN culturel et donc par une production de contenus à forte identité nationale. La mise en oeuvre de cette nouvelle stratégie de production implique le recrutement de producteurs indépendants, de scénaristes, de réalisateurs, d’acteurs nationaux. Et elle a déjà fait ses preuves.
En témoigne, le succès phénoménal et inattendu de La Casa de Papel. A l’origine, les deux premières saisons de la célèbre série, achetées par Netflix à la chaine espagnole privée Antena 3, n’avaient connu qu’un succès relatif en Espagne, en diffusion linéaire (4,1 millions de téléspectateurs lors du lancement en mai 2017 pour finir à 2 millions en novembre). C’est grâce à sa mise en ligne sur la plateforme (fin décembre 2017) que le programme a rencontré le succès planétaire que l’on connaît (en France, il a été visionné 17 millions de fois en seulement quatre mois, selon une étude du cabinet NPA Conseil.) Cet engouement inattendu et inespéré (Netflix affirme, en avril 2017, qu’il s’agit de la série non anglophone la plus regardée et qu’elle représente à elle seule, 14% de la consommation Netflix) a amené la plateforme à produire elle-même la troisième saison de la série.
Suite à la réussite de La Casa de Papel mais également des trois autres programmes originaux (Las Chicas del cable, Elite et Les Meurtres d’Alcasser), Netflix a signé un accord sans précédent avec le groupe Atresmedia afin de diffuser plusieurs séries ibériques à succès (vingt programmes au total). Dans le cadre de cette stratégie, Netflix a annoncé sa volonté de délocaliser une partie de son activité de production en Espagne, afin d’être au plus près de la poule aux œufs d’or : la société américaine vient en effet de débourser 20 millions d’euros pour acheter au groupe audiovisuel Grupo Secuoya (en juillet 2018) une partie de la Cuidad de la Tele (soit le quart des 22 000 m2 de leurs studios). L’ouverture de ce complexe situé près de Madrid, qui est le premier studio de Netflix en Europe, devrait, selon Erik Barmack, (vice-président de Netflix et directeur des contenus originaux) « créer de nouvelles opportunités pour des talents créatifs et démontre l’attachement de Netflix à la création de contenus originaux en Europe ». Un tel optimisme ne pouvait que ravir le président du groupe Secuoya, Raúl Berdonés, qui s’enorgueillit de l’attrait que son pays exerce sur le géant américain : « Netflix a décidé de s’implanter à Madrid, ce qui témoigne du leadership de l’Espagne dans l’industrie audiovisuelle, ainsi que de l’importance de son bassin de talents ».
Mais le vif intérêt que montre Netflix pour l’Espagne ne la détourne pas pour autant des autres pays européens. En témoignent les très nombreuses séries originales produites à ce jour par la plateforme, au Royaume-Uni (une quarantaine au total), en Allemagne (quatre), en Italie (quatre), en France (trois) et au Danemark (une). Ces programmes rencontrent tous une forte audience, aussi bien dans leur pays d’origine que dans le monde. En 2018, si l’on en juge au classement de l’application TVShowTime, sur les vingt séries les plus regardées en streaming au monde, quinze sont des séries originales Netflix et parmi elles, cinq sont des productions européennes (Black Mirror, The end of the f***ing world, Elite, Dark et Las Chicas del cable). Il convient cependant de souligner que l’effort de Netflix se porte davantage sur les séries que sur les films européens, lesquels occupent encore une place marginale dans le catalogue de la plateforme : mis à part Je ne suis pas un homme facile et Le Goût et les couleurs (France) ainsi que El Autor (Espagne), les unitaires restent peu nombreux.
Et comme l’a précisé Erik Barmark au Financial Times le 28 novembre dernier, la plateforme compte redoubler d’efforts pour produire, à l’avenir, plus massivement encore des programmes européens. Si le géant de la SVOD recense, pour la seule année 2018,141 projets en Europe (dont 81 créations originales), il prévoit, pour 2019, pas moins de 221 projets en Europe (dont 153 productions originales). Le directeur des contenus déclare à ce titre : « Il y a un an, nous avions un ou deux shows en Espagne (…) Nous sommes en train de nous mettre en position de faire dix à douze shows par an dans chaque pays [européen s ndlr] et cela pourrait être plus pour certains marchés ».
En 2017, Netflix déclarait avoir investi 2 milliards de dollars en contenus européens sur les cinq dernières années (productions originales et achat de droits). Un pas considérable a été franchi depuis, puisqu’en avril dernier, la plateforme a annoncé que ses investissements, rien que pour la production originale européenne et rien que pour l’année 2018, s’élèveraient à un milliard de dollars. Pour justifier la progression de ses investissements en Europe, Barmack affirme qu’« il viendra un temps où la moitié des shows du top 10 au niveau mondial ne seront pas en anglais et les programmes en langues et castings venant de divers pays seront la norme. »
La France : une nouvelle pépite ?
La France est la plus grosse consommatrice de SVOD en Europe, après le Royaume-Uni. Elle apparaît donc comme un marché particulièrement prometteur aux yeux de la plateforme américaine, qui est arrivée dans l’hexagone en 2014.
Malheureusement, du fait de sa politique de non divulgation de données chiffrées et de son opacité face à la presse, Netflix refuse de donner des détails quant à son implantation en France. Les seuls chiffres à notre disposition sont ceux livrés par Libération, le 6 avril 2018 : selon une source confidentielle, Netflix y connaitrait une progression fulgurante et gagnerait plus de 100 000 abonnés par mois. Toujours selon cette source, recoupée avec d’autres, Netflix aurait 3,4 millions d’abonnés en France en avril 2018. Ces estimations, qui sont désormais portées au minimum à 4 millions d’abonnés, ont été confirmées par Reed Hastings lui-même, lors de son passage à Paris le 27 septembre dernier, à l’occasion de l’annonce de l’ouverture de ses bureaux à Paris. Le patron de Netflix a d’ailleurs indiqué que, dans le contexte d’ « un marché [français] qui grandit », Netflix souhaitait capter plus de 50% des foyers abonnés et « même au-delà ». Là encore, on comprend mieux sa décision de délocaliser une partie de sa production dans un pays où, comme il l’a dit lui-même à l’antenne de France Info, « il y a plus de films par habitant que partout ailleurs dans le monde » et dans lequel il veut être « un endroit où les créateurs savent qu’ils peuvent produire des oeuvres originales. »
Afin de s’imposer sur ce marché riche en possibilités, Netflix travaille actuellement sur neuf séries originales françaises : Osmosis d’Audrey Fouché, Mortel de Frédéric Garcia, The Eddy de Damien Chazelle, Huge in France de Gad Elmaleh, Family Business d’Igor Gotesman, Marianne de Samuel Bodin et Quoc Dang Tran, Vampires de Benjamin Dupas et Pisani-Ferry, sans oublier une série historique d’Aurélien Molas et un remake d’Arsène Lupin. Elle produira également trois films originaux (Banlieusards de Kery James, La Grande classe de Rémy Four et Julien War et Paris est une fête, un film financé en partie par le crowdfunding) ainsi que deux documentaires français (Solidarité de Stéphane de Freitas et un documentaire sur l’affaire Grégory Villemin).
Afin de produire des contenus à forte identité nationale, Netflix mise sur la collaboration d’auteurs français en vogue : Noémie Saglio (Connasse) et Julien Teissere (Profilage) pour Plan Cœur, Audrey Fouché (Les Revenants, Borgia) pour Osmosis, Quoc Dang Tran (Dix Pour cent, Kaboul Kitchen) pour Marianne, Benjamin Dupas (Dix Pour Cent, Un village français, Vernon Subutex, Kaboul Kitchen) pour Vampires, Rémy Four et Julien War (De l’Autre côté du périph’ et de Gangsterdam) pour La Grande classe. Même chose pour les réalisateurs français qui ont fait leur preuve et que Netflix a épinglés à son tableau de chasse, comme Thomas Vincent (Versailles) pour Osmosis et Igor Gotesman (Five) pour Family Business. Il n’est plus rare non plus de voir des comédiens de renom s ou des personnalités médiatiques en tête d’affiche des productions Netflix, talents parmi lesquels on compte, entre autres, Gérard Depardieu dans Marseille, Sarah Stern (Les Tuches, Borgia) dans Les goûts et les couleurs, l’étoile montante du cinéma français, Zita Hanrot, César du meilleur espoir féminin en 2016 (Fatima) dans Plan Cœur, Gad Elmaleh dans Huge in France (série qu’il co-écrit, produit et interprète), Kery James, le rappeur et comédien français dans Banlieusards (qu’il écrit et réalise) ou encore Omar Sy dans le remake d’Arsène Lupin.
Netflix ne se contente pas de recruter des talents locaux pour concevoir des programmes aux couleurs nationales, il n’hésite pas à les rassembler et à les fédérer via des coproductions européennes qui transcendent les frontières et participent au décloisonnement culturel. Au risque d’effacer les particularités et les sensibilités propres à chaque pays. Sa prochaine série, Criminal, est à ce titre, sans doute l’un de ses projets les plus ambitieux puisqu’il repose sur une collaboration européenne à tous les niveaux. Cette série policière, constituée de douze épisodes, dont trois seront à chaque fois dédiés à un pays en particulier (Royaume-Uni, France, Allemagne et Espagne), impliquera des scénaristes et des réalisateurs locaux qui travailleront dans leur langue natale. A noter que ces professionnels seront aussi chargés de la production des épisodes qu’ils auront écrits ou réalisés.
En effet, la multiplication des contenus originaux européens implique, de la part de Netflix, d’avoir recours à l’écosystème de la production européenne et d’aller puiser dans le vivier des producteurs indépendants. Ce qui nous amène naturellement à nous interroger sur les modalités de la collaboration entre ces derniers et le géant américain.
Netflix : le bon, la brute et le truand ?
Généralement, selon le témoignage de certains producteurs, Netflix repère des projets et des auteurs qui l’inspirent et qui entrent dans sa ligne éditoriale, puis se lance dans le financement du film. Cela a été notamment le cas pour la scénariste/réalisatrice du premier film français Netflix, Je ne suis pas un homme facile, Eléonore Pourriat. Repérée grâce à son court métrage Majorité opprimée, elle a été contactée à la fois par la société de Production Mademoiselle Films (Makever Group) et par Netflix pour développer son récit en format long. Les deux sociétés ont été ainsi mises en contact et ont collaboré sur le projet.
Interrogée lors du Mood 2018, le 17 décembre dernier au Boston Consulting Group, la productrice du film, Aurélie Meimon, a affirmé que l’équipe créative avait joui d’une grande liberté et que Netflix leur avait laissé carte blanche. L’intervention de ce dernier s’est limitée au casting des comédiens. Aurélie Meimon considère que l’arrivée de Netflix est une belle opportunité pour de nombreux producteurs indépendants français, dans la mesure où la collaboration avec la plateforme permet donner la parole à « des voix singulières » qui n’auraient sans doute pas trouvé de partenaires autrement, notamment auprès des diffuseurs traditionnels. On pense en particulier au premier film de Kery James, Banlieusards, annoncé par Netflix en octobre, qui a peiné, en vain, pendant plus de trois ans, à trouver des financements. Ce soutien que Netflix apporte à des projets atypiques est également mentionné par Aurélien Molas, créateur d’une série historico-fantastique au scénario particulièrement insolite (enquêtes et épidémie mystérieuse sur fond de Révolution française). Aurélien Molas, avec son coproducteur François Lardenois, dans un communiqué de presse : « Lorsqu’est venue l’idée de revisiter l’Histoire de France à travers une série épique, sauvage et profondément romanesque, notre première interrogation était de savoir qui pourrait nous soutenir. Réponse : il ne pouvait y avoir que Netflix pour une telle révolution ». Même son de cloche du côté de François Florentini, producteur de la première série Netflix française Plan Coeur, qui s’est exprimé sur sa collaboration avec la firme américaine à l’occasion du showcase de Netflix à Rome, le 13 novembre : « Cela donne l’opportunité à une nouvelle génération de talents de s’exprimer. C’est un projet que nous avons construit en commun, avec Netflix. Ce n’est pas toujours comme ça que ça se passe avec les chaînes de télé classiques et c’est agréable de travailler comme ça. »
Ce ralliement des producteurs à Netflix et l’attractivité que ce dernier opère sur eux n’est pas sans déplaire aux diffuseurs historiques français. Lors du Festival Médias en Seine du 22 novembre, les dirigeants des chaînes françaises se sont largement exprimés sur le sujet.
Après avoir entendu des auteurs et des producteurs s’enthousiasmer à propos de leur expérience avec Netflix, qui pourtant exige de conserver la propriété des droits de leurs séries, Maxime Saada (Canal+) a été jusqu’à évoquer un « festival de l’ingratitude ». Nicolas Tavernost (M6), quant à lui, a souligné la concurrence déloyale de Netflix qui empiète sur leurs plates-bandes sans pour autant être soumis à la même réglementation, en prenant l’exemple des jours interdits : « On assiste à un cambriolage de nos ressources (…) Cambriolage de notre programmation car nous ne pouvons pas diffuser du cinéma à la télévision certains jours de la semaine : ce soir par exemple si Netflix avait les mêmes règles que nous il devrait fermer demain et rouvrir dimanche à 20h30 précises ! ». Il a ajouté que la loi française commettait, quant au contrôle du groupe américain, « un sans-faute dans l’erreur ». Un avis partagé par Gilles Pelisson (TF1) et Takis Candilis (Directeur Général délégué aux programmes de France Télévision) qui dénoncent également la trop faible contribution de Netflix dans la création française.
On comprend aisément l’inquiétude de ces poids lourds de l’audiovisuel français et on est en droit de se demander si une cohabitation avec le leader de la SVOD, qui pratique des prix bien plus compétitifs, est encore possible. Le fait que l’ensemble de ces acteurs se partagent désormais les mêmes ressources (notamment les talents) et produisent les mêmes contenus à identité nationale, voire européenne, ne présage-t-il pas la mort programmée de certains diffuseurs, en particulier des chaînes payantes ?
Des groupes comme Canal + ou OCS ont pour objectif de produire des contenus pour un public majoritairement français et n’ont donc pas vocation première à plaire au monde entier (même si l’exportation de leurs programmes est toujours appréciée). A l’inverse, Netflix produit pour une masse d’abonnés hétéroclite, disséminée à l’échelle planétaire, et sa stratégie est clairement d’inonder l’ensemble des marchés mondiaux. La firme voit d’ailleurs, dans cette production massive, quasi industrielle, de contenus culturellement diversifiés, le moyen de faire émerger du lot quelques grands succès mondiaux. Greg Peters (chief product officier) déclarait à ce titre, au Web Summit, le 7 novembre dernier : « Nous avons vu avec les séries que nous avons réalisées en Europe, que nous étions capables de leur trouver des audiences gigantesques mondiales composées très largement de publics situés hors pays d’origine. »
On peut s’interroger quant à ce constat : comment un contenu à forte spécificité culturelle peut-il prétendre plaire à un public mondial, c’est-à-dire tendre à l’universalité des goûts ?
Il était (encore) une fois l’Amérique
La réponse est peut-être que « la patte » Netflix transparaît malgré tout dans ces Originals européens et que ceux-ci sont clairement empreints des codes américains.
Le visionnage des deux dernières séries originales européennes Netflix, Plan cœur et Baby, vient confirmer, nous semble-t-il, cette allégation.
La première est conceptualisée par un auteur anglo-saxon (Chris Lang) et développée par deux scénaristes français connus (Noémie Saglio et Julien Teisseire). Il s’agit d’une comédie romantique, servie par des acteurs français charismatiques (Zita Hanrot, Sabrina Ouazani, Joséphine Drai et Marc Ruchman), plantée dans un décor authentiquement parisien et accompagnée d’une bande originale composée quasi intégralement de musiques électroniques françaises. Cependant, derrière cette identité parisienne affichée, la série nous évoque, par son genre, son sujet, son arc narratif et ses personnages ultra-stéréotypés, une rom-com anglosaxonne des plus ordinaires. On ne peut s’empêcher d’y voir, comme le fait remarquer le critique Pierre Langlais (Télérama), l’influence de films américains tels que Coup de foudre à Nothing Hill, Quand Harry rencontre Sally ou encore Pretty Woman. Si Plan cœur ne se démarque par franchement des classiques américains du genre, ses influences outre-atlantique prêtent néanmoins à sourire.
Ce qui n’est pas le cas pour la seconde, Baby. Cette série italienne Netflix, inspirée d’une affaire de prostitution juvénile ayant défrayé la chronique (l’affaire Baby Squillo), prend ici l’allure un teen drama édulcoré qui compile toutes les thématiques et les clichés du genre. La Ville éternelle, avec ses sites touristiques, ses quartiers chics, ses faubourgs populaires, est ostentatoirement visible à l’écran mais ne sert que de décorum à une histoire plate et convenue, et fait seulement office d’argument marketing. Outre ce décor de carte postale et saupoudré de folklore romain, l’américanisation se traduit par l’incapacité à traiter véritablement et en profondeur le sujet sordide du film : on sent bien ici que tout repose sur un système de valeur purement américain. Selon Constance Vilanova (Première), le propos essentiel du récit n’est, à ce titre, que « survolé et glamourisé ». La journaliste compare la série à une « sorte de The Bling Ring de Sofia Coppola en plus trash » et ironise : « Netflix nous ressert sa recette écoeurante du teen soap mais attention cette fois : dans Baby l’ingrédient secret est italien ».
Maxime Saada dénonçait, il y a deux mois, dans sa tribune publiée dans Le Monde, un risque évident d’uniformisation des contenus culturels via la puissance de frappe exceptionnelle de Netflix. En effet, peu importe le contenant, si le contenu reste toujours le même. Netflix et ses consoeurs, en habits européens, ne seront-elles pas, dans les années à venir, l’arme la plus efficace du soft power américain ?