Les plateformes coopératives

Les mutations effrénées du travail numérique

James Corchuelo
MASTER DMC : Digital Médias Cinéma
5 min readJan 6, 2018

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A une époque où les emplois deviennent précaires, les plateformes coopératives se sont frayées un chemin entre les méandres d’internet, créant ce que l’on a baptisé la « Gig economy ». Lueur d’espoir ou bouche-trous dans une période où le modèle social et le marché du travail ont été touchés au coeur par un monde numérique effréné ?

Uber n’est pas prêt de s’arrêter, loin de là ; et ce sont les chiffres qui l’annoncent : « D’après le BID, l’économie collaborative à niveau mondiale accroîtra de US$14 mille millions en 2014 à US$335 mille millions en 2025 ». Une croissance qui s’explique, d’une part, par un changement d’habitudes des usagers d’internet, mais aussi par la prolifération des nouvelles plateformes d’économie collaborative telles qu’Uber, lui-même, Deliveroo ou encore Airbnb. Ces nouvelles pratiques ont donné naissance à, ce que l’on nomme en d’autres termes, la « Gig » economie.

Qu’est-ce que la « Gig Économie »?

La « Gig Economy », c’est un modèle économique fondé sur la logique de la réalisation des tâches précises contre rémunération, ce qui donne aux travailleurs une certaine liberté et un certain contrôle de leur temps. L’appellation « Gig » (brièveté en anglais), trouve ses origines dans le domaine de la musique. C’est un terme que l’on retrouve, notamment lors des courtes présentations de musique de Jazz, où chaque membre du groupe est rémunéré à la fin de chaque présentation. Cependant, le mode de fonctionnement de artistes n’est pas celui de l’ensemble des travailleurs du monde digitale.

Un cadre légal flou

Transposée au monde du travail traditionnel, la Gig Economy a fait bien de dégâts. Fini les contrats : le salarié étant son « propre patron » n’a pas droit à une retraite. Il n’y a plus de cotisations sociales, et donc, plus de congés maladie. Pour les salariés soumis à cette nouvelle pratique, la précarité est palpable et celle-ci constitue le principal reproche de ses détracteurs. Preuve en est des plateformes telles que Uber, créées en 2009. L’on commence à y retrouver le même concept de rémunérations « brèves » sans aucune contrepartie sociale de la part de l’employeur qui est, grosso modo, dématérialisée. Des rémunérations brèves qui deviennent aussi insuffisantes, car elles sont calculées sur la base du travail effectué et non pas sur les heures travaillées.

Faute d’un cadre légal claire, ces pratiquent suscitent, souvent, la colère des différents gouvernements à travers le monde. Le dernier exemple en date dans l’Hexagone, remonte au printemps dernier. Le gouvernement français a mis fin au flou juridique de AirBnB, neuf ans après l’apparition de cette plateforme de sous-location d’appartements en ligne.

Des coopératives pour supporter le choc

Pourtant, malgré leurs écueils et critiques, ces plateformes pullulent grâce aux changements économiques du monde du travail digital. Plusieurs plateformes sont devenues de véritables acteurs économiques et sociaux de nos jours : après Uber, cité précédemment, AirBnb fait irruption en 2008, puis Deliveroo en 2013, bouleversant ainsi les pratiques du marché du travail numérique et les modes de consommation des services. Et pour cause, les solutions, ou du moins les propositions pour résister au choc produit par ces plateformes, ne se pas fait attendre.

Des chercheurs, des activistes et des décideurs politiques intéressés par le travail digital ont trouvé des idées : organiser des travailleurs digitaux autour d’associations. Réguler ces plateformes au niveau national et international. Ou encore créer une « fairwork fondation » (inspirée du Fairtrade Movement). Pourtant, la solution la plus vraisemblable semble être celle des coopératives, au sein desquelles les travailleurs pourraient eux-mêmes gérer ces plateformes digitales.

Des coopératives de ce genre ont vu le jour au début du XIXe siècle et ont constitué une alternative pour améliorer le travail précaire et les conditions de travail durant la révolution industrielle. Au moment de la révolution numérique telle qu’on la vit aujourd’hui, elles pourraient à nouveau constituer un garde-fou contre les dérives du travail digital. Et ce grâce au recul et à leur dimension, de fait, économique. Une dimension d’autant plus légitime que ces dernières tiennent compte des éléments inhérents aux marchés, tels que la compétitivité ou les logiques d’influence. Et d’autant plus réaliste qu’elles prennent en compte, également, des environnements sociaux et des dimensions politiques.

WEMCO (We Make Color)

Le cas Wemco

Difficile à appliquer, rétorquent certains, notamment compte tenue de la difficulté de trouver un premier financement. Puis, une fois dépassé cet écueil-la, il faudrait affronter les poids lourds du monde du travail, déjà fortement établis et très compétitifs. À cela s’ajoute une certaine passivité des membres de la coopérative. Les utopistes l’ont rêvé et les détracteurs critiqué. Wemco l’a fait.

Wemco (We Make Color) est une plateforme d’étalonnage à distance fondée au Mexique qui fonctionne sous le modèle de l’économie participative. Certes, elle emprunte le modèle de cette Gig Economy, mais elle respecte le travail de ses salariés et leur assure, a son échelle, certains avantages sociaux. Les rémunérations respectent la grille tarifaire standard de l’audiovisuelle, telle qu’on peut la trouver dans une entreprise. Le dialogue régulier via internet entre les membres de la coopérative fait qu’un travail peut passer de mains en mains, du salarié au fondateur, pour une validation ou même pour une retouche finale.

Ce dialogue rend ces rapports « dématérialisés » plus humains, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres plateformes telles que Uber ou Deliveroo. Des formations sont proposées régulièrement pour mettre à jour les compétences des membres de la communauté. Elles peuvent aller des nouvelles techniques d’étalonnage, en passant par la formation aux nouveaux logiciels, jusqu’à la gestion des compétences en management des membres de la coopérative.

Les besoins des consommateurs et des entreprises créatives ont changé et les nouvelles générations ont un rôle clé pour les confronter. Aujourd’hui le marché du divertissement peine à trouver des idées créatives qui créent de la valeur pour leur entreprises. Le mouvement coopérativiste, il est vrai, exist depuis le XIX siècle, néanmoins il fait écho dans l’environnement numérique de notre ère, notamment à travers ces plateformes qui misent sur des nouvelles stratégies de création de contenu en se servant de la liberté et la confiance.

Dans des milieux déjà précaires de nos jours, tels que le milieu de l’audiovisuel, cette économie participative, utilisée à bon escient, pousse les débutants, les autodidactes et les curieux à apprendre un métier à distance. Là où une entreprise établie dans leur lieu de résidence le refuse.

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