Mubi, e-cinema, UniversCiné :

Chloé LeColibri
8 min readDec 27, 2018

--

Quelles plateformes pour le cinéma d’auteur ?

Le numérique a complètement bouleversé la vie et l’exploitation des œuvres audiovisuelles. Il fut un temps où après leur sortie en salle, les films étaient vendus en cassette VHS, et passaient un jour ou l’autre à la télévision. Cette époque nous semble désormais bien lointaine.

De nos jours, un film reste à l’affiche en moyenne 3 semaines et les moins performants sont vite écartés. S’ensuivent ensuite la sortie DVD et VOD (vidéo à la demande, via des sites de location ou d’achat de films), le passage du film sur certaines chaînes de télévision payante qui ont permis le financement du film, puis un passage à la télévision en clair, et enfin une éventuelle publication sur une plateforme de films par abonnement (SVOD). Pour résumer, la vie des films se conforme à la chronologie des médias, modifiée le 21 décembre 2018, et conçue pour protéger les différents ayants-droits des films.

Selon un article publié par Challenges en 2017, pas moins de 8000 films sortent chaque année dans le monde. En France, 700 sortent au cinéma, donc environ 7000 films étrangers échappent au marché français. Mais selon Audrey Pulvar interrogée par le journaliste, il y aurait autour de 3 millions de cinéphiles réguliers en France.

Il est bien sûr impossible de tout voir et de plus en plus difficile de choisir face à l’explosion du nombre de contenus et de moyens de diffusion, d’autant plus que le bouche-à-oreille a de moins en moins de temps pour faire effet, même s’il est potentialisé par la rapidité de la formation d’opinions sur les réseaux sociaux.

La multiplication des canaux de diffusion (notamment liée à l’émergence récente des plateformes par abonnement) sert-elle le cinéma d’auteur ?

Rappelons que cette ‘’catégorie’’- le cinéma d’auteur — est extrêmement difficile à définir. Il s’agit d’une notion subjective dont il n’existe pas de définition rigoureuse.

Historiquement, c’est François Truffaut qui a défini le concept de « politique des auteurs». Cela consiste à considérer un film comme la continuation des choix esthétiques d’un cinéaste ayant brisé un certain académisme. La notion de « cinéma d’auteur » apparaît parallèlement à l’émergence de la nouvelle vague, et cette nouvelle approche du cinéma est formulée dans les Cahiers du Cinéma. Sont considérés comme ‘’auteurs’’ les réalisateurs qui ont une entière autorité sur leurs films, ce qui leur permet d’exprimer leur style, leur univers personnel, et d’y laisser leur signature. Cette définition sous-entend qu’un ‘’auteur’’ serait défini comme tel rétrospectivement. Il cumule souvent la fonction de scénariste, de réalisateur et parfois celle de monteur, et peut s’exprimer pleinement sans être contraint par une production ayant l’intention de faire un film commercial.

Aujourd’hui, certains auteurs reconnus bénéficient de budgets conséquents (voire colossaux) pour réaliser leurs films. On peut citer ici l’exemple de Apocalypse Now (de Francis Ford Coppola, qui a coûté 31 millions de dollars), ou les films de Martin Scorsese, de Tim Burton, de Xavier Dolan, de Woody Allen, de Jacques Audiard etc. Il nous est donc possible de percevoir les limites d’un raisonnement basé sur le coût d’un film et de vite nous rendre compte à quel point il est complexe de définir ce que peut être un cinéma d’auteur aujourd’hui.

Pour une grande partie des spectateurs, ce sont les films les moins divertissants qui sont appelés films d’auteur. Il y aurait d’une part, le cinéma hollywoodien ou grand public (synonyme de gros budgets, d’humour ou d’effets spéciaux) et d’autre part le cinéma d’auteur (considéré comme exigeant, intellectuel, élitiste, à petit budget, déroutant, profond, engagé, voire expérimental et se déroulant forcément dans un pays lointain…). Ces types de cinéma sont souvent opposés dans les médias et par le grand public.

Concernant les plateformes, on note qu’il en existe 4 modèles différents : la vidéo à la demande transactionnelle, la SVOD, les plateformes de VOD et de SVOD, et les plateformes gratuites. Les plateformes de SVOD qui rémunèrent les ayant-droits en fonction du nombre de visionnages en ligne sont aussi en train de se développer.

Selon Sebastien Janin, ancien responsable VOD chez iTunes, la tendance est la suivante : on observe la sortie de très grosses productions de plus en plus chères, et en parallèle la sortie d’une profusion de petits films d’auteur audacieux produits avec des budgets toujours plus serrés. Dans les deux cas, le marketing est radicalement différent et les gros films profitent d’une visibilité accrue. Mais derrière tous ces films, il y a des auteurs, plus ou moins connus et reconnus, et plus ou moins mainstream. Une fois tous ces films sortis en salle peut commencer leur vie télévisuelle et numérique.

M. Janin précise que la VOD et la SVOD n’ont rien à voir en termes de modèle économique et de fonctionnement. Alors que les plateformes de VOD se donnent pour objectif de proposer absolument tous les films (en location ou en achat définitif) 3 ou 4 mois après leur sortie en salle, les plateformes fonctionnant par abonnement proposent des catalogues plus réduits. Il leur faudra attendre plusieurs années avant d’acquérir le droit de proposer un film paru en salle (conformément à la chronologie des médias). Il ne leur reste comme alternative pour se différencier de la concurrence que celle de diffuser des exclusivités, des films jamais distribués en France, ou qui sont sortis en salle suffisamment longtemps pour entamer une seconde vie sur une plateforme de SVOD.

Sachant que celles-ci doivent sans cesse renouveler leur offre, acheter des droits sur de nouveaux films, recruter des abonnés, les fidéliser en luttant contre le taux de « churn » (c’est-à-dire de désabonnement), elles se voient obligées de prévoir des budgets très conséquents dédiés au marketing (contrairement aux plateformes de VOD).

Du point de vue des cinéphiles, il est rationnellement plus avantageux de payer un abonnement (autour de 10€ selon les plateformes de SVOD) pour avoir accès à plusieurs films, plutôt que de débourser la même somme pour voir un seul film, en ligne ou en salle (parisienne).

Alors que du point de vue des ayant-droits, il est plus intéressant de vendre son film à l’unité sur une plateforme de VOD, sachant que plus tôt le film sera disponible en VOD, plus celui-ci bénéficiera du plan marketing déployé pour sa sortie en salle. La rémunération de l’ayant-droit varie entre 50 et 80% de ce qui est payé par l’acheteur du film en VOD. Le reste va à la plateforme, qui doit négocier ce taux pour chaque film. En comparaison, la vente du film à une plateforme de SVOD sera moins lucrative. Elle peut cependant être salvatrice si le film n’a pas trouvé de distributeur en salle.

Chacun sait que Netflix produit et diffuse des contenus originaux en exclusivité. Les réalisateurs de certains de ces contenus sont sur-récompensés (comme Alfonso Cuaron ou les frères Cohen par exemple) et leurs films sont considérés comme de grands films d’auteur. La stratégie est la suivante : la plateforme ne prévoit aucune sortie en salle pour mettre son contenu en ligne quand elle le veut, sans dépendre de, ni se soumettre aux dispositifs légaux prévus en cas de sorties en salles. Cela leur permet de recruter de nouveaux abonnés attirés par de tels films. Netflix se sert donc d’un certain type de cinéma pour pouvoir vendre le reste de son catalogue, notamment ses séries addictives, à encore plus de monde.

Les petits films d’auteur semblent donc plus facilement trouvables sur des plateformes de VOD ou spécialisés que sur Netflix, qui cherche plus de produits d’appel et moins de produits risqués.

Comme le temps disponible pour regarder des œuvres singulières n’est pas extensif, de nombreux divertissements entrent en concurrence. Selon Alain Rocca, co-fondateur de UniversCiné, les séries sont de plus en plus attractives et participent aussi du fait que les gens ont moins de temps à consacrer à un cinéma exigeant.

Il existe cependant certaines plateformes qui se consacrent à valoriser ce dernier. Par exemple, E-cinema et Mubi se présentent comme de véritables cinémas en ligne, dotés d’une ligne éditoriale propre et audacieuse. Sur Mubi, on trouve des films distribués en salle pour la moitié. Le site propose à ses abonnés un large choix de films internationaux. Chaque jour un film de leur choix est ajouté et retiré, et les films du catalogue sont décrits comme « des perles oubliées aux nouveautés tout droit sorties des festivals ». L’abonnement coûte 8.99€ par mois. La plateforme offre donc une ‘’vie’’ à des films récompensés en Festival mais non distribués, et négocie les droits de diffusion des films sur un territoire et pour une durée donnée (ce qui revient moins cher que de proposer partout un catalogue non limité dans le temps).

E-cinema est l’un des derniers venus : la plateforme a ouvert en décembre 2017. Son activité est encore plus large: c’est celle d’un distributeur qui détient les droits sur toutes les exploitations d’un film. Cela leur permet donc de vendre le film sur différents supports. À raison d’une sortie par semaine, la plateforme diffuse au minimum 52 films par an, devenant, selon Bruno Barde « le plus grand distributeur de films en France ». Un nouveau film, récent, souvent étranger, et jamais diffusé en France, est mis en ligne chaque vendredi. Il est disponible pendant 12 semaines, et reste accessible 24/24h. Un film à l’unité coûte 3.99€, et l’abonnement mensuel est à 5.99€. Le site cumule donc une offre de VOD et de SVOD.

Ces deux plateformes participent à compenser la non-distribution en salle de certains films d’auteurs pourtant remarqués, pour le bonheur des cinéphiles n’ayant pas pu se déplacer en festivals. Leur bémol : la plupart des films n’ont pas bénéficié de plan marketing, donc le public a peu de chance d’en avoir beaucoup entendu parler auparavant, à moins de connaître les programmations et les récompenses octroyées à l’issue des festivals en question.

Enfin, l’une des références en termes de VOD reste UniversCiné, plateforme dédiée au cinéma indépendant. La plateforme propose les films en VOD et leur propose de petits minimums garantis. La Cinetek est un label de UniversCiné qui propose 10 films du répertoire chaque mois. Tous sont considérés comme des chefs d’oeuvre historiques, et sont recommandés par des cinéastes bien connus, pour des tarifs VOD et SVOD très abordables.

Finalement, il n’est pas évident de s’y retrouver dans cette profusion de plateformes et de possibilités. Comment guider les choix des abonnés tout en les incitant à la curiosité ? Les plateformes ont développé des dispositifs à cet effet : listes de films conseillés par des cinéastes (comme la Cinetek, qui propose les films recommandés par Jacques Audiard, Alain Chabat ou encore Cédric Klapisch), ou bien publication quotidienne, ou encore des forums avec critiques et notes sur les films (pour Mubi), des revues de presse suivies d’émissions (pour e-cinéma). Autant d’outils pour inciter à la découverte et éviter l’algorithme qui n’incite pas le vidéaste à sortir de sa zone de confort.

Sources :

--

--