Qui suis-je ?

Johanna Bondoux
5 min readJan 4, 2019

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Je suis devenu vital pour vous ! Grâce à moi, vous envoyez des signaux forts au reste du monde : vous possédez les attributs de ceux qui vivent en osmose avec l’industrie du luxe.
En me montrant, que dis-je, en m’exhibant, vous soulignez ostensiblement que vous avez les moyens de m’acheter 1200 euros (alors que, soit dit en passant, je coûte grand maximum 300 euros à produire). Je suis le médium par lequel vous êtes en capacité d’indiquer à vos congénères que vous avez de l’argent. Et, bien évidemment, je ne manque surtout pas de satisfaire votre ego en vous donnant le sentiment d’être ô combien plus attractif que la moyenne de ces mêmes congénères. Lesquels, ne me possédant pas, se révèlent finalement très dissemblables de vous !
Je suis l’innovation et la jeunesse à moi tout seul. J’incarne l’apogée de la technologie toujours en mouvement pour être à la pointe du marché. Je suis le dernier né, l’instrument qui sait exploiter ce qu’il y a de plus irrationnel dans votre cerveau… ou votre cœur si vous préférez. J’entre en communication avec vos instincts grégaires et vos besoins les plus intimes, y compris existentiels.

Votre cerveau est assez puissant pour se poser une multitude de questions très complexes, mais comme vous n’avez pas forcément la capacité d’y répondre vous avez recours à qui ? À moi bien sûr !
Avant, vous leviez la tête pour poser vos questions au ciel et celles-ci restaient sans réponse (sauf pour quelques individus qui prétendaient entendre des voix). Maintenant, il vous suffit de la baisser, de me regarder et vous obtenez satisfaction comme par enchantement, ou, pour rester dans une continuité d’une histoire de la foi, comme par miracle ! Et oui, n’ayons pas peur des mots à ce stade : je vous permets d’interroger directement le dieu unique de l’ère moderne : Google ! Le monothéisme est sauf !
Je vois bien, moi, que vous faites confiance à ce nouveau Dieu plus qu’à n’importe qui d’autre. Il connaît toutes vos intentions, sait lire dans votre cœur. Il sait quand vous êtes malade, connaît vos fantasmes de toutes natures y compris sexuels. Ce dernier crée du lien entre tous les fondements de votre personnalité et guide vos actes en décidant des informations que vous allez recevoir. Je suis quelque chose entre son prophète et son instrument.
Continuez de me suivre et dites-vous simplement que dès que vous manquez de confiance en vous, il vous suffit de prendre le temps de m’interroger. Je vous apporterai la révélation. Pardon, je voulais dire, la solution. Avec moi, vous ne proférerez plus jamais d’idioties et de bêtises. Il nous suffit de rester inséparable ! Comme le couple d’inséparables dans le film d’Alfred Hitchcock ! Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Interrogez-moi et vous comprendrez. Vous aurez ce sentiment d’être quelqu’un qui sait !

En plus, vous pouvez me faire pleinement confiance pour assurer toutes vos interactions sociales, vos relations aux autres quoi.
Reposez-vous sur moi et je saurai vous mettre sous les yeux et dans la tête, les dernières informations et biens qu’il vous faut impérativement partager avec vos communautés. Peu importe d’ailleurs que ces informations soient vraies ou fantaisistes et que ces biens existent ou pas. Croyez-moi, sur parole, l’essentiel est de les partager !
Je sais votre confiance en moi totale, « ai confiance, crois en moi ». Pourquoi ? Mais parce que je connais votre besoin d’être aimé des autres mais aussi de les aimer à votre tour. J’agis sur votre cœur. Si je flatte votre narcissisme (vous en aurez fait des selfies avec moi !) je vous permets également de passer des heures à regarder et fantasmer la vie des autres. Petites vies, grands destins, célébrités d’un jour. Tout y passe. Comment ? Vous le savez bien. Avec ce que j’ai lové au plus profond de moi, votre Facebook et votre Instagram. À force de voir et surtout de croire que la vie des autres est plus jolie (surtout en photos) que la vôtre, vous avez envie de démontrer et de montrer que votre existence tient la comparaison (oublions qu’elle n’ait pas raison, ces choses-là n’ont plus cours).
Prendre le temps de prendre une photo qui enchantera littéralement votre communauté ne sera jamais une perte de temps. Bien au contraire, puisque le plus important n’est-il pas que votre communauté vous aime ?

J’agis ainsi toujours dans votre intérêt premier. N’allez surtout pas imaginer (ce serait vraiment une drôle d’idée !) que je cherche à créer chez vous une forme de dépendance aliénante en me basant sur l’animal qui est en vous, sur vos besoins primaires. Et que derrière moi, il puisse y avoir des gens qui auraient en tête de vous exploiter. Alors là, franchement, ce n’est pas du tout mon genre.
Je n’ignore pas que parfois vous pouvez, avec les habitudes que nous avons prises ensemble, ressentir certaines frustrations (le mot douleurs serait trop fort, n’exagérons rien), des petits manques, mais je sais vite comment les dissiper. Car, n’oubliez jamais que, si vous vous sentez seul(e), mes applis et moi : nous sommes là !

Vous ne faites plus l’amour avec votre partenaire mais vous vous couchez à mes côtés tous les soirs ? Je passe mes nuits auprès de vous et je suis la dernière chose que vous touchez avant de dormir et la première que vous saisissez au réveil ? C’est assez normal non ? Ne suis-je pas finalement la bien le plus important de votre vie quand vous y réfléchissez (pas trop quand même) ? Et puis la foi lorsqu’on l’a en soi c’est pour toute la vie et même pour l’éternité !
La preuve, n’avez-vous pas le sentiment que vous pouvez tout me dire, tout partager avec moi. Si par malheur je vous suis volé ou si je viens à être cassé vous avez la sensation d’être amputé, n’est-ce pas ?

Bon, vous avez trouvé depuis longtemps mon nom j’en suis certain.
C’est bien moi, le seul, l’unique, votre indispensable iPhone !

Sources :

GALLOWAY Scott, 2018. The four, le règne des quatre: la face cachée d’Amazon, Apple, Facebook et Google. Lausanne: Quanto, p. 382

EYAL Nir, 2018. Hooked : comment créer un produit ou un service qui ancre des habitudes. Paris: Eyrolles, p. 221.

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