Révolution numérique et industrie de l’intime

Emma Dominguez
MASTER DMC : Digital Médias Cinéma
7 min readJan 6, 2018

Alors que l’industrie pornographique a gagné en légitimité dans le domaine de l’entertainment et semble toujours en recherche d’expansion (notamment par l’arrivée incessante de nouvelles technologies de pointe sur le marché), le terme de Sextech est de plus en plus présent dans le vocabulaire startupien. Mais que représente ce secteur qui fait tant parler de lui ?

Chapitre 1

Diffusion et normalisation de la pornographie

Notre histoire commence par la révolution que les générations adolescentes et plus des années 80 ont bien connu : celle des NTIC, et l’explosion du contenu pornographique qui s’en est suivi. Du minitel rose à la production de masse de contenu à caractère sexuel, l’industrie s’est peu à peu imposée, rendant d’abord accessible à tous le contenu illicite et banalisant ainsi — à peu près — le visionnage privé de pornographie, avant de sortir au grand jour.

Ces dernières décennies en effet, la multiplication d’évènements publics faisant la promotion (ou l’étude) du secteur — les différents festivals et conventions porn, les documentaires et recherches sociologiques, les dédicaces de livres à caractère sexuel, et le véritable star-système qui s’est développé autour de l’industrie du porno — laisse à penser que nos sociétés occidentales ont bel et bien franchi la barrière de l’illicite, de l’abject, du caché. Selon une étude réalisée en 2012 par ExtremeTech, presque 1 tiers du trafic internet concernerait le contenu pour adultes. Une branche lucrative donc, qui ne cesse de voir ses perspectives évoluer avec l’arrivée sur le marché de nouvelles technologies (réalité virtuelle, motion capture) — et donc de nouvelles demandes à satisfaire.

Cette ultra-visibilité du sexe n’a pourtant pas seulement permis une certaine libération des mœurs : elle a également dévoilé des problèmes plus profonds dans notre rapport à la sexualité. Représentation dévalorisante de la femme, à qui le contenu n’était initialement par destiné, méconnaissance du fonctionnement du corps, problèmes de santé et de prévention, ont rapidement pointé le bout de leur nez. Ce qui était perçu par beaucoup comme une véritable révolution sexuelle, digne des fantasmes les plus fous des soixante-huitards, a finalement permis l’apparition de nouvelles questions, et la nécessité de diffuser les bonnes réponses, un besoin que les cours d’éducation sexuelle ne sauraient combler.

Aujourd’hui, de nombreuses start-ups font un pas en avant, et témoignent publiquement de leur volonté d’apporter des solutions adaptées à ceux et celles qui les cherchent. Que cela soit dans le domaine de la santé, de l’éducation sexuelle, de l’information mais également du plaisir, la Sextech s’impose comme une véritable nécessité pour nos sexualités. Quels sont les éléments clés cette nouvelle tendance ?

Chapitre 2017

L’appel de la France

Le marché de la Sextech représenterait dans le monde plus de 30 milliards de dollars, dont la moitié proviendrait des sex-toys, et comme pour appuyer cette valeur cachée de l’industrie de l’intime, on a vu ces dernières années fleurir les applications de rencontres au succès tout aussi impressionnant. Cet univers aux mille opportunités n’a pourtant pas vu de gros acteurs truster son marché, de sorte que le leader de la sextech aujourd’hui n’est autre qu’Amazon : livraison rapide et discrète, base de clients gargantuesque et choix de produits infini sont les ingrédients d’une recette décidément bien fructueuse.

Face au manque de poids lourds de la SexTech, Nicolas Colin (The Family) et Laetitia Vitaud avaient mis par écrit en mars 2016 leur désir de voir le secteur se développer. Un an plus tard seulement, Marc Dorcel, leader incontesté de la production pornographique, annonçait l’ouverture du Dorcel Lab, premier incubateur de la SexTech française. Une nouvelle excitante pour le milieu donc, qui a rapidement été suivie par le premier Hackaton SexTechLab de l’association ADN Startup Paris. Du 19 au 21 mai derniers, 100 participants se sont regroupés autour de 30 idées sur les thèmes de la rencontre, de la sexualité et de la santé, et cela durant 50 heures de travail, mettant en réseau des compétences professionnelles et humaines aussi diverses que complémentaires. Le hackathon a d’ailleurs récompensé des projets comme Ali(x), chatbot d’éducation sexuelle à destination des adolescents.

Ces initiatives de plus en plus présentes trahissent un engouement pour ce nouveau secteur de l’entrepreneuriat, qui est encore trop souvent apparenté à l’industrie pornographique seule. Et s’il se détache de cette dernière, c’est notamment pour les acteurs qu’il met sur le devant de la scène entrepreneuriale…

Chapitre 3

Les acteurs de la SexTech

L’autre aspect de cet écosystème qui fait couler beaucoup d’encre concerne la place qu’il a à offrir aux femmes dans son expansion. En effet si elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à bénéficier d’une grande reconnaissance dans le milieu (Cindy Gallop pour les États-Unis, Christel Le Coq pour la France), il n’est pas fou de s’interroger sur la difficulté de s’imposer dans un secteur aussi connoté, surtout quand les femmes vivent déjà au quotidien de grandes inégalités professionnelles dans des secteurs plus « classiques » de l’économie. Face à ces injustices, de nombreuses associations se sont d’ailleurs organisées, et tentent par des actions positives et des rassemblements professionnels de représenter la diversité de l’univers de la tech : le collectif Lesbians Who Tech par exemple, officiel depuis 2014, organise des évènements inspirés du modèle des TED Talks destinés aux professionnelles de la tech homosexuelles et supporters de la cause. Ces modèles promouvant l’entrepreneuriat au féminin mettent au premier plan la grande quantité de savantes tech qui se dédient au secteur, et permettent un focus sur leurs diverses participations aux enjeux Sextech.

Pour ce qui est de la production de contenu pornographique par exemple, les tentatives de réaliser un « porno-féministe » semblent s’être amoindries au cours du temps, à cause surtout de l’implacabilité de la distribution massive de contenu des géants de l’industrie porno, pour qui ces questions de représentation et d’identité sexuelle ne sont pas exactement des priorités. Face à une industrie qui depuis ses débuts objectifie et minimise la complexité du plaisir féminin, il me semble pourtant que les femmes ont tout à gagner à se placer sur le marché : Fanny Prudhomme, jeune diplômée de l’école nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) l’a bien compris. Pour son projet de fin d’études en 2017, elle a imaginé un kit de construction de l’organe génital féminin, mêlant couture (dans un esprit Do it yourself), éducation sexuelle et pédagogie, et cela à destination des écoles, des ONG, des hôpitaux, centres de planning familial, etc. Liant la consistance et le matériau d’un organe particulier à sa fonction, Fanny Prudhomme cherche à rendre l’éducation sexuelle ludique, et plus facilement assimilable. L’énorme plus du projet, et la notion qui introduira notre dernier chapitre, c’est l’emprunt direct à une innovation de la révolution numérique. Le kit « Les Parleuses » est en effet disponible à la fois en physique et en document open-source, le rendant possible à dupliquer par n’importe qui, partout dans le monde.

Projet « Les Parleuses » de Fanny Prudhomme

Chapitre 4.0

La SexTech, industrie clé de l’économie mondiale

Si la révolution numérique a déjà profondément transformé notre rapport au travail, à la production du savoir et au management, elle n’est pas en passe de s’arrêter là : on entend aujourd’hui beaucoup parler d’une notion bien mystérieuse, celle de l’industrie 4.0. L’émergence de nouvelles start-ups et autres petites entreprises dans l’économie mondiale s’est traduite par une fragilisation brutale des monopoles si certainement établis des grandes entreprises, les obligeant à se transformer. Mais comment ? Dans une interview donnée au magazine en ligne Cockpit, Bruno Bonnell (président de Robopolis) se réfère à cette nouvelle transformation de l’industrie sous le nom du modèle « windsurf ». Son constat est le suivant : la révolution numérique a entraîné la suppression des intermédiaires présents dans la chaîne de production capitaliste traditionnelle. La nouvelle organisation industrielle qui la remplace, selon M. Bonnell, se caractérise par la division du processus de production en 4 étapes clés : la conception du produit, la levée de fonds, la fabrication et la vente. Ces étapes, inspirées par l’agilité des startups, supposent de profonds changements pour les grandes entreprises, qui ont besoin d’une aide à la transformation. C’est ce que leur proposent de nombreux acteurs, comme l’accélérateur de startups parisien Numa, qui a déjà compris la nécessité de connecter ces mondes différents (et celui de la ville) au nom de l’innovation collective.

Mais l’industrie 4.0 c’est avant tout l’intégration totale de la révolution numérique au processus de production : Big Data, intelligence artificielle, cyber sécurité ou réalité virtuelle, telles sont les innovations qui dynamiseront les secteurs de l’économie de demain. Et si l’un d’entre eux peut se vanter de bien exploiter ces ressources, c’est bien l’industrie de l’intime : du côté de la production de contenu pornographique, les sociétés rivalisent d’ingéniosité par la réalité virtuelle, le motion capture, et même l’utilisation de jouets connectés.
Comme nous l’avons vu plus haut, la Sextech n’est pourtant pas seulement Porntech puisqu’elle recouvre un territoire bien plus vaste, et les nouvelles activités qui la composent pourraient largement profiter de ces outils. Ces entreprises reposant en effet sur la libération de la parole et le partage entre les utilisateurs, les innovations de la révolution numérique, qui ont déjà permis de lier l’intime à la communication (téléphone, internet, télévision), pourraient de la même manière améliorer son processus de production.

Pour terminer, nous dirons que l’industrie 4.0 c’est aussi l’émergence de nouvelles thématiques propres à notre époque : la nécessité d’une production respectueuse de l’environnement, créatrice de lien social et œuvrant pour cette grande notion qu’est le bien commun. La SexTech, qui répond déjà à plusieurs de ces critères, se retrouve donc face à des possibilités qui semblent infinies, et peut-être bien à l’aube d’une nouvelle révolution sexuelle, cette fois-ci autant industrielle et sociale que numérique.

Emma DOMINGUEZ

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