Esport : Pourquoi je pense qu’il faut entreprendre

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MATRICE Journal
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8 min readJun 25, 2019

Théophile, développeur issu de 42, participe à la matrice Education, en partenariat avec le choix de l’école. Aujourd’hui, il raconte comment il tâche chaque jour à Matrice de mêler sa passion de l’esport à l’entrepreneuriat. Témoignage.

Au micro de Torlk et Kheun, sur la plateforme de streaming Twitch, pour les Esport Students Series

Sur mon écran comme dans la grande halle du Paris Event Center, dans le 19ème arrondissement, la tension est palpable. Surtout pour moi : quelques semaines plus tôt, je me suis qualifié pour les phases finales des Esport Student Series, sur Hearthstone, mon jeu fétiche du moment. Me voilà donc ce samedi 30 mars au Stepstone Digital Challenge, la plus grande compétition esport/sport entre étudiants et entreprises.

Entre les stands de grandes boîtes comme Airbus, les corners dédiés aux tournois de Fifa, les spectacles de pompom girls et de marionnettes, moi, Théophile “AbeyCultivé” Vitoux, tente coûte que coûte de l’emporter sur LooGiiQQ, une figure bien connue des amateurs d’Hearthstone dans l’Hexagone. Et pour la première fois, c’est ma partie que l’on peut voir sur la plateforme de streaming(1) Twitch, commentée en direct par les indéboulonnables Torlk et Kheun, deux commentateurs en vogue sur la scène esport amateur. “C’est beau, un joueur Hearthstone qui se concentre”, s’exclament-ils, enthousiastes comme des Laurent Paganelli et Stéphane Guy devant un match OL-OM. L’adrénaline fait bourdonner leurs rires dans mon casque alors que je m’apprête à lâcher sur le plateau un combo décisif… J’ai gagné !

Les plaines de Mongolie ©Théophile Vitoux

Six mois plus tôt, j’étais bien loin de cette halle et de l’univers fantastique du jeu en ligne. Je crapahutais à l’autre bout du globe, sur les plaines infinies de Mongolie, vaste décor labouré par les sabots des chevaux. Souvent, on pouvait apercevoir les dresseurs locaux en train de débourrer ces bêtes sauvages, pour tenter de les dompter. A leurs côtés broutaient aussi toutes sortes d’animaux, en totale liberté. Même des yacks ! Ils ont des airs de vaches mystiques avec leur long pelage… Je n’avais jamais vu ça.

Les yacks de Mongolie ©Théophile Vitoux

Là, pas l’ombre d’une connexion wifi, encore moins d’un LAN (ces tournois en réseau local où les joueurs se retrouvent sur place pour s’affronter). Avec ce voyage, j’espérais pouvoir réfléchir, et clarifier mes projets futurs. A Matrice depuis un an, j’avais déjà roulé ma bosse dans plusieurs projets entrepreneuriaux sans vraiment trouver chaussure à mon pied. Mais le processus matrice m’avait déjà au moins convaincu d’une chose : mon envie d’entreprendre. Seulement pour réussir, je devais trouver mon sujet — celui qui m’animerait nuit et jour — et ainsi me lancer enfin dans un projet de grande envergure. Et au détour d’un chemin, loin de toute connexion, plateau de jeux, et clavier d’ordinateur, je pris conscience d’une chose essentielle : je voulais entreprendre dans l’esport.

L’esport, une passion

Pourquoi l’esport ? Déjà, parce que cette discipline, qui se définit comme la pratique compétitive des jeux video, m’a accompagné depuis des années. Pour moi, tout a commencé à l’âge de dix ans avec World of Warcraft. A cette époque, je me rendais régulièrement au cybercafé, où je découvrais avec émerveillement un nouvel univers.

Entre ces murs recouverts de tags et de street art, et au milieu des unités centrales exhalant leur souffle chaud, il me semblait plus facile de nouer des liens avec d’autres personnes. Les jeux étaient certes virtuels mais les gens bien réels, et l’on pouvait discuter, sans aucune barrière d’âge, de catégorie sociale, et j’aimerais dire, de genre — bien que, je dois l’admettre, je ne me souviens pas avoir vu beaucoup de filles à l’époque.

Appliquer le concept du “Try hard”

En plus de ces nouvelles interactions sociales, l’esport et certains jeux m’ont permis d’améliorer mes capacités cognitives, d’attention, de concentration. Mais plus encore, j’ai pris conscience de certains principes que j’applique toujours aujourd’hui dans ma vie. Je pense par exemple au concept de “Try hard” — se donner un ou des objectifs et tout mettre en œuvre pour les réaliser -, une force caractérielle très proche des profils d’entrepreneurs que je côtoie aujourd’hui à Matrice.

Vous l’aurez compris, l’esport est pour moi une passion. Mais ce n’est pas là la seule raison qui me pousse à entreprendre dans le domaine. En effet, l’esport, c’est aussi un univers foisonnant dans lequel une communauté solide, toujours disposée à aider, à prodiguer ses conseils, et à se soutenir mutuellement, s’est constituée. C’est donc, je pense, un milieu très propice pour se lancer dans l’entrepreneuriat, une aventure humaine difficile faite de nombreux défis et rebondissements.

Le “blue ocean”

Dans ce secteur ultra compétitif, semé d’embûches, toute startup solide qui se développera autour de l’esport aura plus de chances de sortir du lot, par rapport à un autre secteur d’activité. En marketing, on appelle cela le “blue ocean”, un nouveau marché émergent, dans lequel les premiers arrivés peuvent facilement gagner des parts du gâteau. Et ne pas se contenter des miettes !

De plus, ce secteur est encore trop méconnu, ce dont je me suis particulièrement rendu compte ces derniers mois. Entre le développement de l’esport amateur, l’encadrement des joueurs professionnels, la diffusion et la médiation des compétitions et les technologies de pointe qui peuvent être mises au service de cette discipline… Les possibilités d’entreprises sont presque aussi vastes que les plaines mongoles !

“T’as vu le match Roland Garros, Roger Federer/Rafael Nadal à la télé ?”

Cela passera notamment par une plus grande popularité. Je m’explique. Ces temps-ci, vous risquez peut-être d’entendre quelque chose comme : “T’as vu le match Roland Garros, Roger Federer/Rafael Nadal à la télé ?”. Aujourd’hui, cette phrase vous semble mainstream. Demain, un “Mais non ! Invictus Gaming qui perd contre Team Liquid !”(3), fera sens pour vous aussi, c’est promis. Vous en doutez ? La récente émulation des derniers mois me donne pourtant raison.

En novembre 2018, Paris & Co, le célèbre incubateur parisien, lançait par exemple Level 256, la première plateforme d’innovation mondiale dédiée à l’esport(2). Depuis, les événements qui couvrent le sujet ne manquent pas. J’y ai personnellement assisté et le discours continue d’aller dans le sens d’une plus grande place accordée à l’esport en France et dans le monde. Le 31 janvier dernier, je suivais ainsi la conférence “Starting a business in Esport” à The Family avec le CEO de Vitality, une structure d’équipe de joueurs professionnels française, et celui de Pandascore, un outil de collecte de data. Les deux experts racontaient leurs histoires d’entrepreneurs, particulièrement inspirantes.

Conforté ainsi dans mes convictions, j’ai poursuivi mes recherches en me rendant aux premières Assises de l’esport, le 20 février. Lors de ce temps fort pour l’esport français, Jean-François Martin, adjoint à la mairie de Paris, a insisté quant à lui sur la nécessité pour Paris de devenir la capitale européenne de l’esport. Un discours qui découle naturellement des résultats impressionnants réalisés par le secteur. La France figure dans le top 3 des pays européens qui génèrent les plus gros chiffres d’affaires sur le marché, avec près de 25 millions de dollars en 2018 ! Elle attire aujourd’hui pas moins de 5 millions de consommateurs d’esport dont 1 million de joueurs amateurs.

Comment en est-on arrivé là ? J’identifie plusieurs étapes clés dans l’historique de l’esport. Dans les années 2000, l’arrivée des jeux free-to-play, c’est-à-dire d’utilisation gratuite, a rendu le gaming plus accessible, séduisant toujours plus de joueurs et de marques dans le monde entier.

Puis le développement des réseaux sociaux, avec notamment la plateforme de streaming Twitch(4) créée en 2011, a aussi contribué à accroître sa visibilité auprès d’un public néophyte. Ce site de gamers-euses a d’ailleurs connu une médiatisation nationale avec la participation du premier ministre Edouard Philippe, en février 2019, au Grand Débathon, une déclinaison du débat national.

Le Premier ministre Edouard Philippe participe au Grand Débathon sur Twitch, en février 2019

Aujourd’hui, les audiences des mastodontes League of Legends et Fortnite explosent. Fortnite — auquel même Antoine Griezmann, le célèbre joueur de foot, a fait référence lors de la coupe du monde 2018 — a prévu d’allouer 100 millions de dollars de cashprize, ces récompenses monétisées destinées aux gagnants d’un tournoi, pour toutes ses compétitions officielles sur l’année 2019 !

Ces signaux sont positifs. Mais à mon sens, cette nouvelle prospérité économique cache certains travers actuels de la discipline. Bien sûr, la première chose à laquelle nous pensons, c’est l’addiction aux jeux vidéo. Si elle est bien réelle, elle ne concerne qu’une part infime des joueurs. Ce préjugé de départ, signe d’une mauvaise médiation de la discipline, montre d’ailleurs que beaucoup reste à faire dans la diffusion de l’information relative à l’esport. Une démarche entrepreneuriale pourrait ainsi faire émerger des solutions pour une meilleure médiation de l’esport.

Faire émerger des solutions nouvelles, responsables et adéquates

Mais ce n’est pas tout. Outre la manne économique sur laquelle des startups peuvent se baser pour tirer leur épingle du jeu, l’esport englobe aussi de vrais enjeux d’éthique, et d’encadrement. Sur ces sujets, non seulement les entrepreneurs peuvent, mais doivent se positionner pour faire émerger des solutions nouvelles, responsables et adéquates. Je pense notamment au développement des structures pour joueurs amateurs par exemple, une branche encore sous-exploitée. A mon époque, chaque passage au cybercafé me coûtait 3,50 euros l’heure de connexion, un prix cher à payer pour un jeune joueur !

Je pense aussi aux questions d’inclusion et de mixité. D’après une étude PWC, seules 22% des femmes sont impliquées dans l’esport. Cela s’explique par une construction sociale genrée qui va bien plus loin que la discipline, et qui repose sur un marketing des jeux orienté pour les hommes depuis les années 90.

Seules 22% des femmes sont impliquées dans l’esport.

Cette inclusion doit concerner aussi les personnes handicapées, qui manquent encore aujourd’hui de solutions pour exprimer tout leur potentiel. Quelques associations existent bien pour accompagner ces populations. Et Rebird est devenue la première équipe d’handi-Esport au monde. Mais il faut aller plus loin encore !

Enfin, la triche en ligne ou en LAN pose problème. Sur les jeux vidéo, la triche peut prendre la forme d’un aimbot : un logiciel qui permet une visée automatique dans les jeux de tir par exemple. Et comme dans le sport traditionnel, certains joueurs ont aussi recours au dopage. Dans l’esport, cela concerne toutes les substances qui vont accroître de façon notable la concentration, la mémorisation, le raisonnement. Je pense par exemple à la Ritaline ou l’Adderall, très à la mode aux Etats-Unis pour les étudiants qui préparent leurs examens.

Esport et société numérique

Pour faire face à tous ces enjeux, l’esport peut profiter du numérique et des nouvelles technologies. Les regards se tournent par exemple vers la blockchain(5), qui pourrait sécuriser les cashprize(6), faciliter le crowdfunding(7) — le financement participatif -, les abonnements… L’analyse des données aussi constitue un débouché important : des entreprises comme Gamoloco ou PandaScore qui collectent les données des spectateurs ou des joueurs, se développent.

Les opportunités sont donc multiples. Et c’est là que l’entrepreneuriat et les startups innovantes peuvent intervenir. Les entrepreneurs pourront profiter de cette manne économique, mais aussi permettre de rendre l’esport plus accessible, inclusif, et éthique. Et cette ambition-là, je compte bien l’incarner aujourd’hui à Matrice !

C’est pourquoi je monte, avec deux associés, la startup Walkyr, un club esportif amateur qui propose un lieu physique permettant à tous de s’améliorer sur leurs jeux vidéo favoris à l’aide de coachs experts à travers des sessions régulières en groupe. La pédagogie de Walkyr souhaite mettre en place une pratique éthique de l’esport (alimentation, sommeil, limitation du surentraînement…) pour performer… et faire de vous les Team Liquid de demain !

Théophile Co founder de Walkyr

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