Design & recherche utilisateur : les 5 fondamentaux de la posture du chercheur

Antoine Martinez
Meaningful Stories
Published in
7 min readFeb 7, 2018

Quitter le costume du designer pour celui du chercheur peut s’avérer compliqué au cours d’un processus de design. Et pourtant, rencontrer ses utilisateurs reste fondamental pour réellement comprendre leurs besoins. Voici quelques conseils vécus.

Source : flickr.com

Rencontrer ses utilisateurs est pour moi la partie la plus excitante de mon métier de designer. Pour autant, je ne suis ni anthropologue ni sociologue. Passer de la posture du designer à celle de chercheur me demande un réel effort pour sortir du modèle mental habituel de résolution de problèmes. Quand je vais sur le terrain pour me confronter au quotidien d’utilisateurs finaux et que je cherche à comprendre leurs besoins, je dois me préparer pour enfiler le costume du chercheur.

Car changer de posture, ce n’est pas juste changer de mission. C’est aussi changer ses réflexes, sa manière de poser les questions, de capter une information, de regarder un environnement, de déceler le déclaratif du vécu. Et surtout, sa manière d’interagir avec les humains. J’aimerais aujourd’hui partager avec vous les 5 bonnes pratiques qui m’aident dans mon travail de recherche.

Au fait, rappelez-vous que vous n’êtes pas là pour trouver à tout prix des réponses à vos questions. Vous êtes là parce que vous avez envie de découvrir concrètement la vie de la personne en face de vous.

1. Créer un rapport de confiance

Vous l’avez compris, vous vous apprêtez à rencontrer des humains, des vrais. Des humains comme vous, comme moi, avec deux bras, deux jambes, des émotions et des craintes. Moi-même lors d’une première rencontre, j’éprouve parfois une légère appréhension, juste le temps de me sentir à l’aise, d’apprendre à mieux connaître mon interlocuteur et de savoir où je mets les pieds. C’est exactement ce dont vos utilisateurs ont besoin : se sentir à l’aise !

Tout d’abord, rassurez votre interlocuteur sur la nature de votre présence (normalement vous ne travaillez pas pour la CIA ;-). Dites-lui d’entrée de jeu que vous n’êtes pas là pour espionner ses comportements ni contrôler qu’il paye bien ses impôts. Commencez ensuite votre entretien en le laissant parler un peu de lui. Sans trop entrer dans son intimité, intéressez-vous à des choses simples : son métier, ses goûts, sa situation familiale, la série qu’il regarde en ce moment...

N’hésitez pas à rebondir et à partager des choses personnelles, cela permettra d‘engager une vraie conversation et d’éviter de donner l’impression d’un interrogatoire.

Un exemple :

  • “ Pouvez-vous me parler un petit peu de vous (votre âge, votre métier, votre parcours) ? ”
  • “ Pouvez-vous me décrire votre journée type ? ”
  • “ Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ? ”

Vous trouvez cela futile et sans intérêt pour votre projet ? Détrompez-vous, une personne qui passe un bon moment d’entrée de jeu sera d’autant plus généreuse au cours de l’entretien. D’ailleurs, 2 à 3 minutes suffisent habituellement pour installer un climat de confiance. Juste le temps pour vous de vous réchauffer et de finir votre café :)

2. Laisser votre interlocuteur parler

Rencontrer ses utilisateurs implique forcément de la préparation. En effet, si vous êtes dans une telle démarche, c’est que vous avez des questions très précises à poser. Vous pouvez donc préparer en amont un guide d’entretien qui vous suivra lors de cette rencontre. Ce document reprend ainsi les questions que vous souhaitez poser à vos utilisateurs, les sujets sur lesquels vous souhaitez les faire réfléchir. Il vous aidera à ressortir de l’entretien avec des réponses. Un guide d’entretien est donc construit à partir d’un objectif de recherche, de questions auxquelles on ne trouve pas de réponse ou d’intuitions que l’on souhaiterait pouvoir confirmer ou infirmer. Mais restons dans la posture du chercheur : ce guide n’est pas un questionnaire à suivre à la lettre.

Laissez donc votre interlocuteur parler de ce qui est important pour lui, et non ce qui l’est pour vous. Essayez le plus possible de rendre cet entretien naturel pour votre interlocuteur. Suivez le cours de la conversation. Encore une fois, ce n’est pas un interrogatoire.

Même si vous avez des questions très précises, évitez d’orienter artificiellement la conversation vers des choses que vous pensez capitales mais prêtez plutôt attention à ce que la personne vous raconte d’elle même. C’est à elle de vous dire ce qui compte le plus à ses yeux. Captez donc ce qui ressort naturellement car c’est sûrement là que vous en apprendrez le plus sur lui, ses problèmes et ses besoins.

Une dernière petite chose, un moment de “blanc” peut souvent apparaître à la suite d’une de vos questions… Pas de panique ! Ce n’est pas un moment de malaise mais juste le temps pour votre interlocuteur de réfléchir à sa réponse. Ne l’interrompez pas en essayant de trouver ce qu’il veut dire, vous risquez d’induire sa réponse. Be Patient and Trust the Process :)

Source : unionnydc.com

3. Rester bienveillant

Un utilisateur ne doit pas se sentir évalué ou jugé par le chercheur. Ne lui donnez jamais l’impression qu’il a répondu de manière étrange, incohérente ou fausse. Si par mégarde votre interlocuteur à l’impression que ses réponses n’ont aucun sens à vos yeux, il risque d’être beaucoup moins naturel et sincère pour la suite de l’entretien. Essayez de conserver ce rapport de confiance que vous avez réussi à instaurer et faites lui ressentir que, quoi qu’il puisse déclarer durant cet entretien, cela ne sera jamais mal perçu de votre part. Restez donc bienveillant envers la personne en face de vous, oubliez toute notion de jugement et évitez de pointer du doigt ses incohérences… Vous n’êtes pas là pour ça !

D’ailleurs, rappelez-lui qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse mais simplement son point de vue et son expérience vécue.

Toujours dans l’optique de rester bienveillant et le plus neutre possible, adaptez-vous au vocabulaire utilisé par votre interlocuteur et faite en sorte de parler le même langage. Vous remarquez que vous avez besoin d’expliquer les mots “Devices” ou “Smartphone” ? Évitez tout langage technologique et jargonneux : faites plus simple !

4. Poser des questions ouvertes

Rester ouvert sera sans doute la règle la plus difficile à suivre lors de cette rencontre. Cela demande à la fois du recul, un brin de naturel mais surtout beaucoup de rigueur. Commençons par la manière de poser une question. Rester ouvert lorsque l’on demande quelque chose à quelqu’un sous-entend que l’on cherche à savoir ce qu’il pense réellement plutôt que valider nos a priori. L’objectif est en effet d’avoir le véritable point de vue de l’utilisateur, évitez donc d’induire la réponse de la personne quand vous posez votre question.

Alors concrètement qu’est-ce qu’une question ouverte ? Une question est dite ouverte lorsqu‘on ne peut y répondre ni par oui, ni par non. Et tout est dans la formulation.

Un exemple de la vie de tous les jours :

  • “ Vous allez bien ?”

Ici, la réponse de mon interlocuteur est rapidement orientée vers quelque chose de positif ou de négatif tout en ne laissant que peu de place à son ressenti. De plus, la réponse de mon interlocuteur est partiellement induite en lui suggérant qu’il va “bien”.

La version “ouverte” donnerait plutôt :

  • “ Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?”

Plus long j’en conviens mais la personne a réellement l’occasion ici de réfléchir à sa réponse et d’explorer toutes les nuances possibles que vous n’auriez pu envisager.

Quelques exemples de questions fermées vs questions ouvertes :

  • “Êtes-vous satisfait de l’ambiance de ce lieu ?”
  • “Que pensez-vous de l’ambiance de ce lieu ?”
  • “ Auriez-vous besoin d’un ordinateur plus puissant ?”
  • “Comment votre entreprise pourrait-elle vous faciliter la vie ?”
  • “ Trouvez-vous cela compliqué à utiliser ?”
  • “Que pourriez-vous reprocher à ce logiciel ?”

En plus d’éviter de proposer une solution toute faite à votre interlocuteur (ce qui risquerait de lui suggérer une réponse qui n’est pas forcément de l’ordre de son ressenti), poser une question ouverte l’oblige à formuler une réponse pour préciser sa pensée. Vous en apprendrez plus sur la personne en face de vous en allant plus loin que les simples : “oui” / “non” ou “j’aime” / “j’aime pas”.

5. Demander toujours “Pourquoi ?”

Que votre interlocuteur puisse exprimer précisément ce dont il a besoin et explorer dans le détail ce qui lui manque au quotidien est justement ce que nous recherchons lors de cette rencontre. Voilà pourquoi nous allons lui demander le plus possible de préciser sa pensée. Lorsque votre interlocuteur déclare quelque chose à la suite d’une de vos questions, demandez lui toujours d’approfondir sa réponse.

  • “Pourquoi ?”
  • “Pourquoi dites-vous cela ?”
  • “Pourquoi ?”
  • “Que voulez-vous dire ?”
  • “Qu’entendez-vous par là ?”
  • “Pourquoi ?”
  • “C’est-à-dire ?”
  • “Pourquoi ?”
  • “Pour quelle raison ?”
  • “Pourquoi ?”

N’assumez jamais avoir compris si la réponse n’est pas très claire pour vous ou si vous sentez que la personne ne va pas au bout de son propos. D’ailleurs, même si vous pensez deviner ce que la personne sous-entend, jouez le jeu en faisant mine de ne pas avoir compris et demandez-lui de préciser sa réponse pour aller encore plus en profondeur. “Un designer se doit d’être curieux ?” C’est le moment ! Plus vous creuserez et plus vous connaîtrez la vraie vie de la personne en face de vous.

Vous l’aurez compris, adopter une posture de chercheur vous demandera de l’ouverture, de l’empathie, une bonne dose de curiosité. Mais surtout… de la pratique !

Et au fait, n’oubliez pas …

Citation de Manik Rathee, Designer chez Google

Thanks to Eric Villemin & Marie-Anne Haour.

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