City Labs : l’avenir du diagnostic et du suivi de pathologies chroniques

Medicus AI a interviewé Damien Gruson, pharmacien biologiste, chef de service de biochimie médicale aux cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles, impliqué dans différentes sociétés scientifiques, que ce soit en biologie au travers de la Fédération internationale (IFCC) dans la division des technologies émergentes ou comme membre du groupe Marqueurs cardiaques de la Fédération européenne et membre Fellow de la société européenne de cardiologie. Il nous parle d’un projet innovant le City Labs, un projet financé par le Fonds européen de développement régional (FEDER) centré sur l’expérimentation d’outils qui permettraient de faciliter le diagnostic et le suivi de maladies chroniques.

Medicus AI
Medicus AI France
8 min readJan 22, 2020

--

Photo by Alex Kondratiev on Unsplash

Pourriez-vous nous parler du projet City Labs ?

C’est un projet financé par le Fonds européen de développement régional (FEDER). Le projet est centré sur l’expérimentation d’outils qui permettraient de faciliter le diagnostic et le suivi de maladies chroniques. Cela se traduit par des structures de proximité qui incluent le laboratoire comme structure de prélèvement dites « City Labs » et reprenant la biologie délocalisée ou « point-of-care testing », mais aussi de l’éducation des patients.

Il y a un autre axe sur lequel on travaille beaucoup : les outils digitaux pour le pilotage de ces City Labs, pour le suivi de la biologie délocalisée et pour l’empowerment des patients. C’est un projet centré sur les nouvelles technologies, le rapport à la proximité et à l’ouverture sur la ville et à la relation hôpital-pratique ambulatoire ou vice-versa.

Comment est-ce que ça se concrétise ?

Le laboratoire pilote sur ses propres sites ou dans des structures partenaires le prélèvement, la biologie délocalisée, et l’éducation sur les nouveaux outils technologiques pour le patient, mais aussi pour les professionnels de santé car il y a aussi un rôle formateur.

Damien Gruson, pharmacien biologiste, chef de service de biochimie médicale aux cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles

L’idée, c’est donc de délocaliser le matériel pour le rendre plus accessible pour la population, mais tout en faisant en sorte que le biologiste garde la main ?

Oui, il y a un rôle primordial pour le biologiste dans cet écosystème : un rôle de validation des technologies déployées en ambulatoire, et un rôle de validation des résultats. Il a aussi un rôle clé dans la formation des acteurs de première ligne. Parce que ceux qui sont concernés par ce projet, ce sont les infirmiers, les médecins généralistes… Il y a donc un rôle d’éducation, d’entraînement pour l’utilisation et la bonne pratique de ces outils délocalisés et digitaux. Le biologiste est donc consultant des nouvelles technologies utilisables en ambulatoire, et a un rôle de conseil et de bonne utilisation.

Quels bénéfices est-ce que ça peut apporter au système de santé belge ?

Le bénéfice premier est de participer à un suivi ambulatoire plus dynamique et plus intégré, avec les hôpitaux ou les laboratoires de référence. Cela passe par une relation de proximité, en particulier retisser le lien avec des structures satellites de l’hôpital et partenaires des acteurs ambulatoires.

C’est aussi essayer d’être plus précoce avec ces nouveaux outils, biologie délocalisée ou outils digitaux, dans le dépistage et la prévention de maladies chroniques, que ce soit pour les épisodes aigus ou les récurrences. Enfin c’est associer des éléments cliniques pour un meilleur suivi. On peut gagner du temps avec les outils point-of-care ou digitaux et c’est là-dessus qu’on doit miser pour améliorer le service aux prescripteurs et aux patients.

Quelle est l’histoire de ce projet ?

C’est un constat simple : les technologies évoluent, se miniaturisent. Il y a une transformation en marche digitale et technologique. On est dans un environnement « smart » : nos environnements urbains et ruraux sont de plus en plus connectés. On peut transférer des résultats de systèmes délocalisés. La biologie délocalisée, les outils digitaux sont là. Essayer d’intégrer ceux-ci dans une approche innovante, concrète, est un challenge. Il s’agit de les utiliser pour plus de transversalité, plus d’interaction et une prise en charge optimisée. Il faut donc travailler sur un écosystème dynamique Ville-hôpital ou environnement-hôpital, pour qu’on ait vraiment un maillage.

On est à un stade expérimental. Il faut tester sur des sites physiques que ce qu’on a imaginé comme apport de ces outils va fonctionner : c’est la phase test.

Le projet a été porté par l’hôpital, ou c’était un appel à projets du gouvernement belge ?

On a répondu à un appel Européen. On a constitué un consortium. Les cliniques Saint-Luc sont un des partenaires, L’Université Catholique de Louvain aussi. Il y a d’autres partenaires sur le projet comme Health First Europe, European Medical Association… On a aussi des partenaires non financés comme Médecins du Monde. On a réfléchi au niveau du contenu. On a eu la chance d’avoir ce financement pour expérimenter. Derrière, on verra s’il y a une vie après le projet, et comment ça se passe.

Pourquoi pensez-vous que la biologie décentralisée doit être gérée par le biologiste ?

Parce que ça reste de la biologie, c’est notre métier. Nous sommes des experts pour ces tests, il faut donc qu’on l’encadre. Elle progresse mais il doit encore y avoir des points de vigilance. La biologie délocalisée peut être aussi son meilleur ennemi si elle est mal utilisée. C’est pour cela qu’il faut un expert pour le cadrage et l’encadrement : le biologiste. C’est un expert qui s’ouvre dans l’environnement multidisciplinaire ambulatoire. On est donc partie prenante avec d’autres. C’est un écosystème dans lequel on retrouve les médecins généralistes, les soignants ambulatoires, les infirmiers, les pharmaciens, le biologiste, et au centre, le patient. Il y a donc un rôle fondamental pour le biologiste dans cet écosystème et dans les innovations. Les capteurs arrivent aussi, il ne faut pas qu’on perde la main sur la récupération des données et leur intégration, l’aide à la décision clinique et la validation des systèmes.

C’est un projet très innovant, on en parle beaucoup…

Il y a plusieurs pilotes qui tournent en Europe. La Scandinavie était pionnière, il y a aussi des projets qui utilisent la biologie délocalisée en Angleterre. Il y a d’autres formes de modèles. On peut aussi citer l’Italie et l’Espagne : des projets de délocalisation en pharmacie, c’est le cas des États-Unis aussi. Tout cela amène à réfléchir.

Avez-vous rencontré des problèmes pour mettre en place ce projet ?

Énormément ! Le premier est le financement, mais ça reste un défi administratif… Il y a énormément d’appels à projet, de documents administratifs, c’est chronophage… Heureusement, nous avons une très bonne équipe. C’est donc un défi purement lié à la lourdeur des procédures.

Comment avez-vous résolu ce problème-là ?

La gestion de projet est en grande partie absorbée par les tâches administratives de reporting, de gestion des horaires de l’équipe. C’est lourd d’un point de vue administratif. On essaye d’impliquer les autres parties prenantes de médecine générale, des soignants… C’est un enjeu pluridisciplinaire, il faut répondre à un besoin. Nous n’avons pas la vérité, nous sommes là pour répondre à une attente, c’est ce qu’on essaye de confirmer à travers le projet. On a eu des enquêtes, qu’on a pu mener avec ces participants pour sonder et confirmer les besoins.

Il y a aussi des défis de connectique, de transfert de données, qui sont évidents. On a de nouveaux outils qui arrivent et qui vont faciliter ces transferts, dont Medicus d’ailleurs.

Maintenant des questions plus générales sur la biologie en Belgique. Quel est selon vous le challenge principal sur les prochaines années dans la relation entre le laboratoire et le patient ?

Le premier, c’est rester à l’écoute et au service du patient. Ensuite, c’est faire face à l’évolution du patient comme consommateur de santé. Comment va-t-on se positionner par rapport à une demande en termes de service de santé qui évolue. Il y a la relation humaine qui est au cœur de ce défi, dans une mouvance de consommation qui touche aussi les soins de santé.

Le rôle du biologiste en Belgique est-il similaire à celui de la France ?

Oui, on est là pour accompagner nos prescripteurs dans l’interprétation, le choix des analyses. Il y a aussi un rôle de conseil auprès du patient, avec les modèles de centres de prélèvements, il y a une relation de proximité qui se fait actuellement. Comment continuer à rester humain dans une société qui se digitalise et qui pousse à la consommation.

Même question avec la relation du biologiste avec le médecin prescripteur…

Conseil, consultant, guide dans la réponse aux besoins… On a tellement d’outils technologiques à disposition. Il faut qu’ils en soient informés. Il faut aussi qu’on puisse répondre à un besoin clinique. Il y a une relation continue et des échanges à avoir, c’est notre mission.

Cette relation est en danger en ce moment ?

Pas du tout, elle est renforcée. Dans ces équipes multidisciplinaires, qu’elles soient hospitalières ou ambulatoires, le biologiste a un rôle prépondérant à jouer.

À propos de l’avenir de la biologie en Belgique : d’ici cinq ans, comment est-ce que vous pensez que l’industrie va évoluer ? Comment le rôle du biologiste va-t-il évoluer ?

Le cadrage risque de continuer à être omniprésent : le cadrage réglementaire, ISO etc. Le cadrage va venir avec l’évolution des normes IVDR et MDR. Dès cette année pour le MDR et dans deux ans pour l’IVDR. Comment peut on jouer un rôle d’accompagnement dans cette certification. La gestion des données : le biologiste sera aussi présenté comme “Specialist in laboratory data medicine”, on va avoir un rôle dans cette transition des outils d’intelligence artificielle et de machine learning. Ça devrait faire évoluer notre métier. Ce qui impacte clairement la manière dont on va travailler, et Saint-Luc est bien placée : on déploie le 20 juin un nouveau dossier médical et électronique. Tout cela va influencer notre pratique, notamment dans l’intégration des donnée, les actions en temps réel. Il y a aussi la délocalisation : la délocalisation des data c’est un nouveau métier, de nouvelles compétences. Ça pose aussi la question du cursus et de la formation. Les universitaires vont devoir s’adapter en proposant des nouvelles thématiques de formation pour les étudiants ou même pour la formation continue.

Je vous renvoie au papier de la division emerging technologies de l’IFCC qui voit pas mal de défis pour les prochaines années. Aussi dans les transports d’échantillons, les drones, le blockchain… Ce sont des défis soit déjà présents, soit qui vont s’amplifier dans les cinq prochaines années.

Est-ce que vous voyez aujourd’hui de nouveaux business models qui pourraient tourner autour du laboratoire, qui feraient résonance à ces évolutions ?

Oui, je pense : dans la prestation de services, la prestation de conseils à distance, la télé-biologie, le télé-conseil. Il y a des exemples en France… Il y a plusieurs exemples en Europe de rôles de conseil, de data scientists. Les services changent. On va certainement être poussés dans ce sens-là par les GAFA. C’est ce qui est en train de se mettre en place en termes de solutions digitalisées.

--

--