Le Biologiste Augmenté, avis d’un expert : David Gruson

Lors de l’enquête menée pour constituer le dossier du Biologiste Augmenté, nous avions interviewé David Gruson, membre du comité de direction de la chaire santé de Sciences Po, et qui a fondé Ethik-IA, opérateur qui intervient sur la régulation positive du déploiement de l’intelligence artificielle et de la robotisation en santé. David Gruson a été en particulier entendu à l’Assemblée Nationale par la Mission d’information de la Conférence des présidents préparant la révision de la loi relative à la bioéthique.

Medicus AI
Medicus AI France
6 min readFeb 18, 2020

--

David Gruson

Quels sont selon vous les défis principaux dans la relation entre les patients et les biologistes ?

Le secteur de la santé connaît actuellement une transformation majeure avec le déploiement sur une large échelle de cas d’usage pratique de l’Intelligence Artificielle (IA) dans le domaine de la santé. Ce que l’on vit ne constitue pas une révolution technologique en soit, mais c’est une révolution des cas d’usage. On sait maintenant appliquer dans plusieurs domaines en santé utiliser ces techniques algorithmiques afin d’avoir de meilleurs diagnostics, un meilleur accompagnement, et un pilotage par les données de santé, ce qui fait actuellement défaut dans notre système.

La biologie est une pointe avancée dans ces domaines, ce n’est pas très surprenant dans la mesure où il y a une antériorité dans ce secteur. Ce que l’on vit actuellement c’est un nouveau mouvement liant robotisation et solution d’intelligence artificielle, créant de nouvelles solutions qui vont passer un cran supplémentaire sur l’automatisation du processus.

La question qui se pose est de resituer la place des professionnels et des patients dans cette évolution. Heureusement, la biologie a montré plusieurs fois qu’elle est capable de métaboliser positivement ces vagues d’innovations technologiques. Les biologistes ont déjà su s’adapter à des mouvements de robotisation, qui ont sans doute été plus déstabilisatrices que ce qu’ils vont connaître dans les prochaines années, dans la mesure où il s’agit simplement d’ajouter des strates de validation sur certaines parties du processus de diagnostic biologique à des chaînes de robotisation qui ont déjà été mises en place.

Il va falloir accompagner ces transformations technologiques afin que la relation entre les professionnels et les patients ne soient pas bousculée. On voit que le développement de ces nouvelles solutions est très cohérent avec le mouvement de biologie délocalisée qui va permettre d’accéder facilement à des résultats biologiques envoyés directement au patient de manière automatisée ou accessibles à des points d’accès qui seront sûrement moins mono-concentré, plus proche d’une proximité territoriale, et avec une plus grande intégration du back-office de ces laboratoires. Certains pays, comme le Québec, ont déjà effectué ce mouvement de bascule vers ce que l’on appelle la responsabilité populationnelle en santé. L’idée est simple à formuler, c’est d’essayer d’organiser à l’échelle d’une population cohérente une offre de soins qui permettra de piloter les données de santé de manière pertinente. Aujourd’hui, la France est très en retard par rapport à cela.

Quels sont selon vous les défis principaux dans la relation entre les biologistes et les médecins ?

Un enjeu éthique du déploiement de l’IA en santé est « le tout automatique », avec des programmes informatiques qui tourneraient sans régulation ni supervision par des professionnels. Il faut établir des mécanismes de coordination permettant d’établir des points de contrôle à des points critiques du processus. D’une certaine manière, l’IA ne menace pas le métier du biologiste, mais au contraire le repositionne en lui redonnant de nouvelles missions nécessaires.

Le biologiste a aussi un rôle central au niveau des autres professionnels de santé parce que la donnée biologique a une valeur particulière, elle est centrale. Le compte rendu biologique devient un vecteur et un catalyseur d’informations. Cela donne une responsabilité au biologiste d’interaction professionnelle vis-à-vis des autres acteurs. De plus, le biologiste étant désormais habitué à la robotisation de plus en plus importante de ses tâches, il est aussi la personne la plus apte à pouvoir aider et faire comprendre aux autres acteurs l’évolution dans ce sens de leur profession.

Selon vous, quelle sera la place du biologiste dans 5 ans ?

Le rôle du biologiste doit pouvoir évoluer au niveau territorial du patient, son rayon d’action doit pouvoir se redéployer au niveau de ces territoire afin de l’accompagner au mieux dans son parcours de soin. Cela doit amener plus de transversalité entre les biologistes, la ville et les hôpitaux, cela doit amener une plus grande coordination, des évolutions au niveau des modes de financement pour permettre plus de plasticité en permettant aux biologistes d’avoir les moyens de se repositionner sur ces modes de prise en charge au parcours.

D’ici 5 ans, à quoi ressemblera la biologie médicale ?

L’avenir de la biologie médicale dépend principalement des acteurs de la biologie médicale. De ce point de vu là, je suis plutôt optimiste. Personnellement, je vois un secteur qui prend son avenir en main avec cette nouvelle étape d’automatisation, qu’ils ont déjà réussi à faire une fois avec la robotisation.

Cela veut dire des ajustements profonds, il ne faut pas s’y tromper, sur la formation initiale mais aussi sur la formation continue des professionnels installés sur l’organisation de cette territorialité qui émerge, et sur la maîtrise des enjeux éthiques. Il faut que les biologistes deviennent des experts de la garantie humaine de l’IA appliquée aux examens biologiques, qu’ils soient les référents qui permettront aux patients d’aller réinterroger des résultats d’examens qui leurs seront transmis après intervention d’un algorithme, pour avoir a chaque étape du parcours l’assurance que ces éléments automatiques soient humainement pilotés, et l’assurance qu’un deuxième avis s’il est utile pourra lui être communiqué par un intervenant humain.

Comment la donnée de santé peut être utilisée par un laboratoire, et à quelle fin ?

Déjà il faut commencer par dire qu’en France la donnée de santé est sans doute la matière où le cadre juridique est le plus protecteur, avec des réglementations nationales auxquelles s’est ajoutée depuis 2018 la transposition du règlement général sur la protection des données européens (RGPD).

Ce cadre définit les marges d’actions, et on voit bien qu’il y a un équilibre à trouver entre le besoin de protection et le besoin de partage. Il ne faut pas être dupe, si nous n’arrivons pas à faire émerger des solutions d’IA en biologie et dans d’autres domaines de la médecine dans un contexte français et européen, ces solutions nous seront imposées par un cadre extérieur, difficilement évaluable sur un cadre éthique et dont les patients et professionnels accéderont facilement par la voie du numérique.

Le Health Data Hub constitue en France un cadre de confiance, et je crois beaucoup personnellement à des éléments de complément de ce cadre général par des cadres de confiance construit sous égide des professionnels et de leurs représentants. Ce que nous construisons avec la radiologie et les urgentistes par exemple, nous pouvons le construire avec les biologistes.

Concernant l’utilisation de la donnée de santé, elle peut être divisée en deux grandes catégories, la première étant aider la fabrication de nouveaux outils permettant d’accompagner et d’augmenter la performance du diagnostic biologique, et la deuxième est de piloter territorialement les parcours de prise en charge des patients dans une logique de pilotage par les données, de responsabilité populationnelle. Aujourd’hui, l’IA avance peut-être plus vite sur la première partie de ce sujet que sur la seconde.

Pour vous, quelle est la plus grande menace/défi à résoudre concernant l’utilisation de ces données ?

De mon point de vu, la première menace et erreur à ne pas commettre est de ne pas s’ouvrir à l’innovation, de se laisser imposer l’innovation en médecine algorithmique par des éléments extérieurs à la profession. Si l’on est pas co-acteur de ces solutions, il ne faut pas se faire d’illusions, elles nous seront imposées de l’extérieur, avec des conditions financières peu avantageuses, ce qui pourra mettre en péril l’avenir de notre système de santé, notamment l’équité de l’accès au soin pour tous.

Je crois vraiment en la création de cadre de confiance, sous égide des professionnels du secteur afin de réguler au maximum l’utilisation de ces données, tout en permettant la mise en place d’un écosystème permettant l’innovation en santé. C’est un équilibre dynamique à trouver.

--

--