l’Intelligence Artificielle dans l’évolution de la biologie médicale en France

Pour préparer l’événement du Biologiste Augmenté, MEDICUS AI a recueilli le témoignage de Serge Payeur, ingénieur de formation (EPITA) et Master of science aux USA. Après avoir débuté dans le jeu vidéo puis 11 ans de conseil chez Accenture, il a travaillé 6 ans au ministère des finances puis a été recruté par le laboratoire CERBA en tant que DSI. Après avoir quitté CERBA il crée sa propre société, SIL-LAB Expert et SIL-LAB Innovations, toujours dans le milieu de la biologie. Il nous décrit sa vision de l’apport du digital et de l’Intelligence Artificielle dans l’évolution de la biologie médicale en France.

Medicus AI
Medicus AI France
8 min readJan 22, 2020

--

Photo by Clément H on Unsplash

Quel est selon vous le défi principal dans la relation patient-biologiste ?

Cette relation est extrêmement complexe puisque le patient ne comprend pas le métier du biologiste, son rôle majeur dans la médecine de précision. Ce qu’il retient c’est qu’il fait la queue pour faire son prélèvement, et qu’il reçoit quelques jours plus tard ses résultats, qui sont hélas peu compréhensibles. Le principal défi de cette relation, c’est qu’avec le temps le digital a éloigné le patient du biologiste. Dès que le serveur de résultats est apparu, les patients se sont dit qu’ils n’avaient plus besoin de passer au laboratoire le soir pour chercher ses analyses. Et en fin de compte, moins il doit se déplacer, mieux il se porte. Il faut que les laboratoires trouvent une solution afin de s’intégrer dans le parcours de soin du patient, sans qu’il soit vraiment une étape supplémentaire et pénible, et en réussissant à exercer leur rôle de préleveur, mais aussi de conseiller. Etrangement, le digital et les technologies ont éloigné le patient du laboratoire car nous avons uniquement répondu à leur problématique personnelle de recevoir facilement leur résultat mais c’est sans doute aussi la solution pour les rapprocher.

Serge Payeur, ingénieur de formation (EPITA) et cofondateur SIL-LAB Expert et SIL-LAB Innovations

Quel est selon vous le défi principal dans la relation biologiste et professionnels de santé ?

Pour moi, deux professionnels de santé travaillent essentiellement avec les biologistes : ce sont les médecins et les infirmières.

Pour les médecins c’est assez simple : la biologie avance tellement vite et devient tellement compliquée qu’il ne peut pas concevoir qu’il va devenir le pilier de la biologie médicale en France. Je donne souvent cet exemple : quand un biologiste d’un site périphérique appelle un biologiste spécialisé d’un laboratoire, on voit que ce dernier qui a son expertise dans un domaine particulier apprend à l’autre. La biologie est maintenant tellement spécialisée qu’il est impossible pour une seule personne d’être “pointue” sur tous les domaines. Il faut que le médecin arrive à déléguer cette partie. Le biologiste doit selon moi, étant donné qu’il est et devient de plus en plus expert de son domaine, devenir prescripteur. Evidemment, il faut que ce nouveau rôle soit encadré légalement par des institutions, comme la sécurité sociale ou autre, mais j’estime que le biologiste a une réelle expertise à apporter dans ce domaine.

Concernant les infirmiers, la relation change. Elle se digitalise aussi, avec de très bons résultats aujourd’hui. Grâce à cela, on voit des infirmiers qui estiment qu’ils font beaucoup moins d’erreurs qu’avant, et que ça va plus vite. On a un réel gain en efficience et efficacité dans ces secteurs.

Quelle sera selon vous la place du biologiste dans le diagnostic ?

Il y a deux options :

  • soit le biologiste s’empare du rôle diagnostique et se bat pour aller plus loin encore et devenir le véritable data scientist du parcours de soin du patient. Dans ce cas, le rôle des laboratoires de biologie médicale va complètement changer, notamment par la récupération des données du patient du DMP afin de les agréger. Personnellement je pense que c’est la meilleure solution. On pourra observer alors un essor de la médecine et du diagnostic de précision, notamment grâce à des outils comme l’intelligence artificielle. Malheureusement cette vision n’est pas partagée par tout le monde, notamment la population générale : pour la majorité le biologiste n’est que celui qui prélève. Ils ont du mal à le voir accéder à un rôle aussi intéressant et important dans les prochaines années. Il faut réellement revenir sur cela et faire comprendre que le biologiste est avant tout un spécialiste de la santé.
  • la deuxième option est l’essor des data scientists, profession qui commence déjà à émerger très sérieusement. Ils auront bien évidemment une formation de biologiste, mais cette-fois-ci spécialisée dans l’analyse et la récupération des données biologiques. Ce seront au final des « biologistes ++ », qui pourront même réaliser leur activité en dehors des laboratoires de biologie médicale.

Personnellement, je ne vois en tout cas pas de modèle où ce serait une structure publique qui se légitimerait à récupérer la donnée de santé des patients et à l’analyser. Je ne vois pas non plus les hôpitaux prendre ce rôle, ils ont déjà d’autres problématiques plus urgentes à résoudre. Evidemment, on peut penser aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui pourraient se positionner sur le secteur du traitement de la donnée de santé afin de fournir des diagnostics aux patients, mais je pense personnellement que ce modèle à très peu de chance d’aboutir. Cependant, si c’est cette solution qui est choisie, alors on aura tout perdu.

Selon vous, comment va évoluer la biologie médicale dans les 5 prochaines années ?

Pour moi, le facteur majeur de la transformation, c’est l’intelligence artificielle (IA). Dans le pire des cas, on va faire du Point of Care à la pharmacie, et alors là on aura vraiment tout perdu. On sortira complètement de la médecine personnalisée, et on rentrera dans le commerce, dans l’industrie de masse. Dans le meilleur des cas, le biologiste reprend sa place et gagne de nouveaux rôles.

Selon vous, quels sont les points bloquants à l’arrivée d’une nouvelle technologie ?

Aujourd’hui on a un vrai problème de compétence du biologiste quand il sort de la Faculté sur le fait que la donnée, l’analyse des données, et ce qu’on peut en faire, sont des choses qui lui sont étrangers et qu’il ne sait pas maîtriser. A partir de là, les biologistes médicaux ont une masse monstrueuse de données dont ils ne suspectent même pas l’importance. Lorsque je leur montre et qu’ils commencent à regarder la base de données de tous les les résultats biologiques de leurs patients, il sont un peu désemparé et ne savent pas quoi en faire. Il y a des biologistes en Allemagne qui se sont amusés à analyser des données afin de calculer l’âge de la mort des individus. J’ai trouvé cette étude extrêmement intéressante, car elle montre qu’avec des données et des algorithmes, ces biologistes sont effectivement capables de prévoir l’âge de la mort d’un individu à 5 ans près avec une précision de 77%. Récemment, ils ont refait la même expérience en prenant plus de paramètres, et ont réussi à améliorer la précision à 83%. Cela montre plusieurs choses : en premier lieu l’éthique est extrêmement importante dans cette histoire, et enfin, on sous-estime très grandement la puissance des données biologiques aujourd’hui.

Le principal frein aujourd’hui de l’appropriation des technologies digitales, comme l’IA par exemple, c’est que les biologistes n’abordent pas cela dans leur cursus de formation. Cela commence à changer, notamment avec le Big Data qui vient d’être intégré dans le cursus de pharmacie. Mais je ne suis pas inquiet de ce point de vue là, car lorsque la robotique s’est réellement démocratisée dans tous les milieux, les premiers à avoir acheté des spectromètres de masse ou autres outils ont été les biologistes. Ils sont dotés d’une adaptabilité assez remarquable.

Voyez-vous de nouveaux modèles économiques émerger autres que ceux financés par la sécurité sociale ?

L’analyse de donnée et son interprétation pourrait devenir un relai de croissance pour les laboratoires de biologie médicale. Je pense aussi que, pendant beaucoup trop longtemps, la biologie médicale s’est elle-même considérée comme uniquement tributaire de l’acte remboursé par la sécurité sociale. Les biologistes se sont eux-mêmes convaincus que les patients ne voudraient jamais payer quelque chose de plus. Or ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que les tests anti-vieillissement, sur le microbiote, sur la trisomie 21 se développent. On voit que les patients comprennent actuellement qu’il y a la biologie basique et remboursée, mais aussi de la biologie “haut de gamme”, qui est peut-être plus chère, peut-être non remboursée pour l’instant, mais qui va permettre de donner des renseignements plus importants aux patient. J’espère que les mutuelles vont prendre conscience petit à petit de la puissance et du rôle de la biologie médicale afin d’améliorer le financement de notre système de santé.

Selon vous, la biologie a-t-elle une place dans l’expérimentation des organisations innovantes financée par l’article 51 de la loi de finance de la sécurité sociale ?

La biologie a clairement son rôle à jouer dans l’article 51. L’article 51, cible des expérimentations organisationnelles sur l’organisation du parcours de soins. La biologie intervenant dans 70% des diagnostics et aussi pour le suivi d’une grande partie des patients chroniques, alors je dirais que oui, la biologie a effectivement son rôle à jouer dans cette réorganisation du parcours de soins.

De plus, si la biologie médicale que l’on connaît actuellement ne réorganise pas son parcours de soins ce sont les autres qui vont l’organiser en essayant de se passer des laboratoires de biologie. Évidemment, de mon point de vu c’est un vrai risque. Il faut donc que la biologie arrive à s’immiscer au bon endroit dans le parcours de soins et tout en finesse sans contraintes apparentes. Dans le cas contraire, ce qu’il va se passer c’est qu’on va déporter de la biologie médicale à d’autres endroit via des « recueil de signaux biologiques » pour simplifier le parcours, au détriment des soins du patient.

Les professionnels de santé sont appelés à se coordonner au sein des territoires de santé. Que pensez vous du rôle des laboratoires d’analyses médicales vis à vis de ces communautés professionnelles ?

En 2010, la réforme de la biologie médicale avait évalué deux méthodes de réorganisation de cette dernière. L’une des méthodes était une industrialisation complète de la biologie médicale, le laboratoire devenant alors une simple plateforme technique où l’on effectuait ses analyses. L’autre option c’était effectivement de lui donner un réel rôle médical. Aujourd’hui, nous sommes dans la situation où nous tendons à nous diriger vers la deuxième proposition, donc forcément la biologie va avoir un rôle majeur dans ce parcours de soins et dans la coordination des différents acteurs médicaux.

Le laboratoire de biologie médicale intervient à plusieurs niveaux. Tout d’abord, les patients sont connectés plus que jamais à ces derniers. Le laboratoire a directement accès à certains dispositifs de patients et il intervient sur les données qui sont générées par les patients. Effectivement, si l’on continue dans cette voie là, tout porte à croire que le biologiste va avoir un rôle beaucoup plus important dans la coordination mais aussi dans le parcours de soin du patient.

Maintenant il y a autre chose qui est très important dans cette mutation de coordination c’est que tout le monde veut aussi que le patient devienne de plus en plus acteur de son parcours de soins. Pour cela, il doit arriver à comprendre les informations qui lui sont fournies. Malheureusement, encore aujourd’hui, la plupart des laboratoires de biologie médicale donne le résultat de biologie tel quel au patient. Evidemment, il ne le comprend pas forcément des données assez brutes, et il faut donc réussir à lui faire comprendre son résultat pour qu’il arrive à intervenir dans son parcours de soins et cela sans qu’il ait forcément à se déplacer au laboratoire ou à appeler.

--

--