Vers de nouveaux modes de financement de la biologie médicale ?
Le modèle de financement du système de santé français reposait ces dernières années sur la quantité de soins produits en ville et à l’hôpital. Cette tarification à l’activité et à l’acte était censée assurer la productivité de chacun des acteurs et leur réactivité par rapport aux besoins immédiats des patients. Toutefois, ce modèle a montré ses limites.
Il ne permet pas de de discriminer la qualité offerte, en particulier les actes inutiles ou redondants, il ne favorise pas une coordination efficace entre les acteurs, il ne prend pas en compte la prévention.
Or, face aux défis de l’augmentation continue du nombre de patients porteurs de pathologies chroniques et du vieillissement de la population, ce modèle n’assure plus la productivité globale du système de santé. Le choix politique est alors de transformer ce système de financement en mettant en place des modalités de paiements combinés c’est à dire ne reposant pas seulement sur l’acte.
Cette méthode, jusque là balbutiante mais déjà engagée comme en témoignent les Rémunérations sur Objectifs de Santé Publique (ROSP) des médecins généralistes et quelques spécialistes et certaines enveloppes budgétaires pour l’hôpital public ou privé, a été étudiée et théorisée par la remise du rapport Aubert en janvier 2019. Il prévoit une généralisation du paiement combiné sur l’ensemble des secteurs de soins ville / hôpital en mobilisant 2 méthodes complémentaires :
- le droit commun : c’est à dire la modification des règles en vigueur pour tous les acteurs,
- l’expérimentation : via le dispositif de financement des expérimentations innovantes avec les acteurs volontaires (Article 51).
La figure suivante montre le glissement vers le nouveau système selon le rapport Aubert.
Deux questions se posent : la biologie médicale va-t-elle échapper à ce mouvement ? doit-elle y trouver des opportunités de financement de certaines de ses activités ?
Regardons la nature de ces transformations.
Les modifications envisagées des règles dans le droit commun
Le paiement à la qualité/à la pertinence (objectif 2% de l’ensemble des dépenses d’ici 2022)
En ville, le modèle est celui de la ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique), qui concerne pour l’instant le médecin traitant et certains spécialistes. Ce système est destiné à s’étendre à d’autres spécialités et à certains paramédicaux, comme les infirmiers. Dans ce modèle c’est la « juste prescription » à un profil défini de patientèle qui est rémunérée.
A l’hôpital, c’est le modèle IFAQ qui prévaut (Incitation Financière à l’Amélioration de la Qualité) qui verse actuellement un bonus, mais qui appliquera prochainement des malus aux établissements ne remplissant pas certains niveaux de qualité.
La problématique dans ce domaine est le recueil d’indicateurs pertinents pour juger de l’efficacité du dispositif. Actuellement, il s’agit plutôt d’autodéclaration mais d’autres indicateurs subjectifs (l’expérience patient) ou objectifs (cliniques ou biologiques) pourraient être proposés.
Prenons l’exemple d’un ROSP existant : « Part des patients du médecin traitant traités par antidiabétiques ayant bénéficié d’au moins 2 dosages d’HbA1c dans l’année ». Pour l’instant, le médecin déclare seul l’atteinte de son objectif (intermédiaire 71% des patients, cible ≥ 89%). Le biologiste pourrait être partenaire de son prescripteur en l’aidant à la décision, en effectuant des rappels, en participant à l’éducation du patient sur l’intérêt de ce dosage. Il pourrait aider à améliorer la réalisation de l’objectif et à le valider objectivement.
D’autres ROSP comme la « réalisation du SCORE de risque cardiovasculaire en amont de la prescription de statine » nécessite l’agrégation de critères cliniques et biologiques dont le cholestérol total et le LDL calculé. Des outils pourraient être mis en place par les biologistes pour aider les médecins traitants à atteindre leurs objectifs : un POC de dosage capillaire du bilan lipidique en maison de santé permettant la réalisation du SCORE en une unité de temps, de lieu, les bilans anormaux pouvant faire la preuve d’un contrôle au laboratoire, ou bien l’agrégation des données issues du laboratoire avec les critères cliniques sur une application calculant le SCORE et effectuant des recommandations.
Le paiement à l’acte et au séjour (objectif 50% des dépenses)
En ville, le paiement à l’acte reste le mode de financement le plus pertinent… mais il faut sans doute prévoir une refonte de la nomenclature des actes pour rentrer dans les objectifs économiques.
A l’hôpital, Les paiement sont effectués sur la base des 2600 Groupements Homogènes de séjour (GHS), et sur la Classification Commune des 8500 Actes Médicaux (CCAM). L’ensemble devrait donc être révisé et simplifié pour atteindre l’objectif de 50% des dépenses d’établissements en 2022.
La biologie sera sans doute dans le mouvement. Cela signifie qu’il lui faut sans doute entrer dans la logique des paiements combinés pour ne pas dépendre de la seule rémunération par les actes réalisés.
Le paiement à la séquence de soins (objectif 4% de l’ensemble des dépenses)
Il s’agit de rémunérer une séquence de soins de façon conjointe à des acteurs qui aujourd’hui sont financés séparément. Ce paiement est déterminé en fonction du coût moyen de la prise en charge médicale la plus adaptée selon les recommandations ou avis d’experts. Ils pourraient être à terme assortis d’un système bonus / malus en fonction des résultats.
L’exemple type est une chirurgie orthopédique dont le forfait rémunérerait la phase de préparation à l’hospitalisation, l’intervention, le séjour en SSR et/ou les séances de masseur-kinésithérapeute et les éventuelles complications et ré-hospitalisations dans un délai de 90 jours à 1 an.
Compte tenu de la complexité des parcours et du cloisonnement des soins en France, ce mode de paiement devrait être exploré via l’article 51 pour être versé dans un second temps au droit commun après expérimentation. Les biologistes pourraient y participer pour apporter leur expertise et forfaitiser les bilans préopératoires (biologie sanguine et bactériologie), ainsi que les bilans de suivis, en améliorant sans doute l’observance au parcours et son efficience par une vigilance accrue au dépistage des complications.
Le paiement au suivi (objectif 6% de l’ensemble des dépenses)
Il s’agit d‘un mode de financement adapté à la prise en charge des maladies chroniques, qui représentent 35% des patients pour 60% des dépenses d’assurance maladie. L’objectif est « d’inciter les professionnels à se focaliser sur la prévention et sur les résultats de santé obtenus bien plus que sur le nombre d’actes ou de séjours réalisés en leur donnant plus de souplesse dans le choix des modalités de prise en charge ». Dans ce modèle, le médecin traitant est repositionné « dans sa fonction pivot, sans crainte de l’impact sur ses revenus d’une diminution du nombre d’actes associés à un patient particulier ».
Il s’agit donc de mettre en place, sur la place d’un cahier de charge adapté à l’état clinique et l’historique d’un patient, un forfait global rémunérant médecins, infirmières et autres participants à la prise en charge d’une pathologie et l’ensemble de son suivi.
La problématique est la mise en place d’indicateurs de qualité qui pourraient être cliniques, biologiques, mais aussi d’expérience patient. L’atteinte ou non des objectifs pourrait alors moduler la rémunération.
Les biologistes ont d’évidence un rôle à jouer dans la définition du cahier de charge du parcours biologique, dans la mise en place d’outil d’amélioration de l’observance à celui-ci, dans le suivi des traitements, complications ou adaptation de doses. À ce titre ils pourraient prétendre à la forfaitisation.
Le paiement à la structuration (objectif de 21% des dépenses (+10% d’enveloppe dite MIGAC pour les établissements de santé))
Ce type de rémunération doit permettre d’organiser l’offre de soins dans un territoire et de répondre aux besoins particuliers de ses habitants.
En ville, la structuration passe par les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Il s’agit d’aider les professionnels de santé à se coordonner à l’échelle du territoire. Le financement porte sur l’équipement en outils numériques (échanges d’informations, télémédecine…), sont dédiés aux actions en faveur de la qualité des pratiques (groupes qualité, revues de morbi-mortalité…), ou rémunèrent les services rendus à la population (plages de soins non programmés par exemple).
À l’hôpital, il s’agit de financer les projets numériques, l’intelligence artificielle et les plateaux techniques. Par exemple, dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé (STSS) « Ma santé 2022 » et de son volet numérique, la DGOS a lancé le programme HOP’EN, plan d’action national des systèmes d’information hospitaliers à 5 ans qui prend en compte un levier financier.
La participation des biologistes aux CPTS paraît évidente en raison de leur implantation territoriale. Ils pourraient financer les outils de coordination, d’aide à la prescription, d’échanges d’informations dans le cadre de la biologie délocalisée ou rémunérer des plages de prise en charge des examens en urgence en lien avec les soins primaires ambulatoires à fin de décharger les secteurs d’urgences hospitalières.
L’article 51
Ce dispositif (article 51 de la LFSS pour 2018) vise à expérimenter des organisations innovantes faisant appel à des modes de financements et d’organisation inédits permettant de décloisonner le système de santé français et d’inciter à la coopération entre les acteurs. Ces expérimentations ont également un objectif d’efficience et de meilleure prise en compte de la prévention et de la qualité des soins.
Il encadre des dérogations aux règles de facturation et de tarification pour tous les offreurs de soins, ainsi que des dérogations au panier de soins remboursables. D’autres dérogations concernent la participation financière des patients ou encore le partage d’honoraires entre professionnels de santé.
Compte tenu de son ambition qui vise des projets innovants, efficients et reproductibles, la gouvernance du dispositif est nationale avec un Conseil Stratégique qui fixe les grandes orientations et un Comité Technique qui examine les demandes, valide leur financement et leur champ d’application territoriale. Régionalement, les Agences Régionales de Santé (ARS) pilotent le dispositif en lien avec le réseau de l’assurance maladie.
Les associations d’usagers, les établissements de santé (publics ou privés), les fédérations et syndicats, les professionnels de santé, d’entreprises, les professionnels de l’aide à domicile, les organismes complémentaires ou les collectivités territoriales peuvent être porteurs de projets. Mais le comité technique et les agences régionales de santé peuvent être amenés à lancer un appel à manifestation d’intérêt.
Chacun des projets fait l’objet d’une lettre d’intention qui décrit la nature et les objectifs de l’expérimentation, l’impact attendu sur les organisations, les principes du modèle économique escompté et les modalités de conduite d’expérimentation envisagées. Sur cette base est rédigé le de cahier de charge de l’expérimentation.
Concrètement, voici la description de deux projets concernant la biologie et financés au titre de l’article 51 :
Di@pason — Parcours de soins intégrant la biologie délocalisée pour des patients chroniques sous AVK (Arrêté 04/10/2019 et JO du 12/10/2019)
Mise en place d’un parcours de soins intégrant la biologie délocalisée pour des patients chroniques sous AVK. L’objectif poursuivi est de mesurer l’INR par un prélèvement capillaire avec l’utilisation d’un laboratoire de poche connecté et d’un logiciel permettant au laboratoire de se projeter hors les murs (biologie délocalisée) et de fournir les résultats d’analyse immédiatement.
Le projet permet de tester un financement par un forfait annuel par patient pour les biologistes et pour les IDE sur la base de la réalisation d’une moyenne observée de 25 mesures d’INR par an et par patient. Ce financement est substitutif au paiement actuel à l’acte. Le laboratoire est le récepteur du forfait. Le montant du forfait s’élève à 200€ le premier trimestre de l’inclusion du patient, et sera ramené ensuite à 150€ les trimestres suivants.
Dépistage précoce et amélioration du suivi de l’insuffisance rénale par les biologistes médicaux en Centre Val de Loire (Arrêté 20/09/2019 et RAA 24/09/2019)
Mise en place d’un dépistage précoce de l’insuffisance rénale par des biologistes médicaux visant, dans une région où la démographie médicale et l’accessibilité potentielle aux médecins généralistes sont problématiques, à améliorer le suivi des patients diagnostiqués et repérés grâce à l’analyse des données biologiques et via des entretiens entre le biologiste et le patient.
Le financement de l’expérimentation repose sur une rémunération forfaitaire de 30€ / patient pour la réalisation d’entretiens en vue d’améliorer le dépistage précoce et le suivi des patients à 3 et 6 mois.
Conclusion
La transformation du modèle de financement du système de santé français est lancée. Elle est impérative pour s’adapter aux défis de l’augmentation continue du nombre de patients porteurs de pathologies chroniques et du vieillissement de la population. Elle est tiré en avant par la nécessaire refonte du mode de financement des établissements de santé dont on connaît la situation précaire. La biologie est d’évidence concernée par ce mouvement.
L’article 51 est sans aucun doute l’occasion d’expérimenter de nouvelles prises en charge et la forfaitisation afférente, permettant d’ancrer la dimension clinique de la biologie. Syndicats, unions professionnelles, groupements de laboratoires pourraient en être préférentiellement les éléments moteurs.
Les différentes modifications du droit commun constituent des opportunités pour les biologistes, par le biais d’une participation aux indicateurs de suivis des ROSP, ou par la mise en place dans les cahiers de charge des séquences de soins ou des suivis des pathologies chroniques des bonnes pratiques biologiques. Ils pourraient être un renfort pour l’aide à la prescription, le soutien de l’observance et l’éducation des patients.
Enfin, l’intégration à des CPTS pourrait aider à la structuration en finançant des équipements, la biologie délocalisée, les actes d’urgence et ancrer les laboratoires dans leurs territoires.