Agile et ITIL 4 : l’avènement de l’IT Service Management Agile

Romain Levan
Meetech - We Love Tech
10 min readMay 17, 2019

L’agilité a su au fil du temps convaincre les DSI et imposer ses principes et ses méthodes afin de transformer en profondeur les façons de travailler. Les entreprises ont ainsi pu délivrer de façon plus rapide leurs projets tout en évitant l’effet tunnel que confèrent les méthodes plus traditionnelles et en restant focalisé au maximum sur les besoins et attentes des clients.

Une question persiste au sein de certaines entités des DSI : “comment s’agiliser en respectant les bonnes pratiques d’ITIL ?”

En effet, les activités de production restent également très ancrées au standard de l’ITSM (IT Service Management), regroupant les bonnes pratiques du management des systèmes d’information et devenu ouvrage de référence des DSI depuis plusieurs décennies.

Les principes agiles et ITIL semblent en premier lieu entrer en contradiction de par les valeurs qu’ils promeuvent. Pourtant, ces deux standards partagent des valeurs communes qu’il convient de mettre en synergie afin de tirer au mieux toute la valeur de ces deux standards. La version 4 d’ITIL, publiée en février 2019, va d’ailleurs dans ce sens en adaptant les bonnes pratiques de l’ITSM aux modes de fonctionnement agiles.

Quelles convergences entre ITIL et l’Agilité ? Quelles sont les grandes nouveautés d’ITIL 4 et comment s’adapte-t-il aux nouvelles pratiques agiles ? Eclairage dans cet article.

Quelques notions de rappel sur l’ITSM et l’agilité

ITIL® (Information Technology Infrastructure Library) est un ensemble d’ouvrages recensant les bonnes pratiques de management des systèmes d’information. Ce référentiel, né dans les années 1980, a su s’imposer au sein des DSI comme la référence concernant la gestion des services informatiques (ITSM, ou IT Service Management) en permettant, grâce à une approche par processus clairement définie et contrôlée, d’améliorer la qualité des SI et de l’assistance aux utilisateurs.

En parallèle, les méthodes agiles ont su transformer la façon de mener les projets informatiques, afin de permettre une plus grande réactivité et une réduction du time-to-market. Agile représente souvent la promesse d’une entreprise plus fluide et propose une profonde transformation des façons de travailler en responsabilisant au maximum toutes les parties prenantes d’un projet. Les entreprises espèrent pouvoir délivrer de façon plus rapide leurs projets tout en évitant l’effet tunnel que confèrent les méthodes plus traditionnelles et en restant focalisé au maximum sur les besoins et attentes des clients.

Chronologie des grandes étapes d’Agile et d’ITIL

Des principes que tout semblent opposer…

De façon historique, ITIL et les méthodes agiles ne sont rien d’autres que des bonnes pratiques appliquées respectivement à la production IT et au développement IT. En effet, ITIL donne un cadre de référence au travers des processus définis et fortement documentés, mais n’impose pas une manière particulière d’exécuter les tâches. L’agilité est, elle, avant tout un ensemble de pratiques et de méthodes de travail dont les principes aident à la réactivité et à la flexibilité. Elle est drivée par 4 grands principes :

  • Les Individus et leurs interactions plus que les processus et les outils
  • Des logiciels opérationnels plus qu’une documentation exhaustive
  • La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle
  • L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan

De prime abord, ces 4 principes semblent entrer en contradiction avec ITIL, dont les fondements sont basés sur des processus détaillés et une documentation très lourde (plusieurs centaines de pages) :

  • ITIL décrit avec détails les processus permettant une qualité de service robuste.
  • La documentation est très fournie. Les ouvrages ITIL sont composés de plusieurs centaines de pages.
  • Passer des accords contractuels et respecter les accords de services (SLA, pour Service Level Management) est un des fondements d’ITIL.
  • Certains processus peuvent se montrer inflexibles vis-à-vis du plan initialement prévu, comme le processus de gestion des changements nécessitant encore très souvent un passage en CAB (Change Advisory Board, comité de validation des changements).

Les méthodes agiles et ITIL ont ainsi longtemps été considérées de façon silotées, l’une assurant le développement de projets informatiques et l’autre les activités de production et d’opérations IT. Pourtant, cette dualité n’a plus lieu d’être aujourd’hui, tant les deux activités ont su se rapprocher ces dernières années, notamment par DevOps. Le passage à l’échelle de l’agilité ( “Agile@Scale” ) a également renforcé cette proximité en mettant en place une organisation agile, dans toutes les entités des DSI voire même dans les autres fonctions de l’entreprise.

L’agilité : un état d’esprit avant tout

Quatre grands principes définissent l’agilité comme une philosophie, et non une norme à respecter pour traiter des tâches spécifiques. L’instauration des modes de fonctionnement agiles tend à rapprocher les équipes, à les outiller de façon à promouvoir la collaboration, à replacer la satisfaction client au cœur des réflexions, et à constater la réalisation concrète et fonctionnelle de ces travaux en travaillant par incréments. Dans un environnement complexe et en constante transformation, une entreprise qui se veut agile doit pouvoir répondre efficacement aux besoins et aux attentes des clients, et doit être apte à s’adapter aux évolutions. L’ITSM ne fait pas exception à la règle, et il est tout à fait possible de conserver ce mindset et ses principes lors de la conception et de l’amélioration continue des services IT. C’est même un des messages qu’ITIL a toujours prôné auprès de ses utilisateurs : adapter les bonnes pratiques de sorte à ce qu’elle convienne le mieux à l’organisation. Et dans une organisation s’inspirant d’ITIL, les bonnes pratiques agiles arrivent à coexister et à s’adapter aux nouveaux modèles opérationnels.

Ainsi, diverses pratiques ont émergé au sein des activités de production informatique, telles que :

  • L’adaptation de processus ITIL aux nouveaux modèles opérationnels agiles, dans lesquels les pratiques et processus ont été modifiés. La collaboration et les échanges sont fluidifiés, et les équipes disposent de plus d’autonomie sur leurs périmètres. Par exemple, lors d’un incident majeur, différentes parties prenantes sont mobilisées au sein d’une task force et collaborent ensemble, jusqu’à ce que l’entité la plus à même de résoudre l’incident soit identifiée. Pendant que les autres peuvent retourner à leurs tâches habituelles, celle-ci est autonome et dispose de tous les moyens nécessaires pour résoudre l’incident majeur. Elle possède également toute la légitimité de mobiliser différents acteurs de l’organisation au besoin. Ce mode de fonctionnement évite ainsi tout effet dit “ping-pong” entre les différentes équipes de la DSI (voici d’ailleurs un article très intéressant sur le swarming, une pratique en rupture par rapport au support technique classique).
Processus basé sur l’escalade vs processus collaboratif dans la résolution des incidents majeurs
  • La mise en place de rituels agiles, tels que les rétrospectives qui permettent de tirer un bilan récurrent sur les activités, d’identifier les axes d’amélioration de façon collaborative et d’échanger sur les actions à entreprendre. Les activités d’amélioration continue sont d’ailleurs un bon moyen de pratiquer l’agilité au sein de l’ITSM.
  • Le pilotage de la fonction Service Desk où la satisfaction client est recentrée comme principal indicateur de la performance du service (ex : lorsqu’un ticket concernant la résolution d’un incident ou une demande de service est clôs, une brève enquête de satisfaction est envoyée au demandeur. Les scores de satisfaction obtenus sont consolidés et les tendances permettent d’identifier les axes d’amélioration et les actions à entreprendre pour l’amélioration continue du service).

ITIL 4 : La dernière version d’ITIL qui s’adapte aux enjeux de l’agilité, du Lean et du DevOps

Axelos, l’organisme propriétaire d’ITIL, a publié en 2019 la nouvelle version du référentiel ITIL, nommée ITIL 4 Edition. Cette nouvelle édition a redessiné les principes déjà bien établis de l’ITSM en prenant compte les nouveaux enjeux technologiques et les nouveaux modes de fonctionnements, tels que l’agilité, le Lean ou encore DevOps. Cette nouvelle version encourage les organisations à casser les silos, à favoriser la collaboration et la communication au sein-même des organisations, et à s’adapter aux nouvelles tendances IT. ITIL incite également ses pratiquants à conserver des pratiques simples et pragmatiques, ce qui peut se traduire par une reconnaissance du fait que trop d’organisations ont tenté par le passé de mettre en œuvre ITIL au pied de la lettre, rendant l’ITSM complexe et peu flexible.

Des nouveaux concepts ont émergé de ce nouvel opus, comme celui de Service Value System. En parallèle, des notions déjà bien connues des pratiquants de l’ITSM se sont transformées pour s’adapter aux nouveaux enjeux. Exit les notions de processus, ITIL définit désormais des practices comme des ensembles de ressources organisées construits pour accomplir un objectif. Ces notions tendent vers un même but : penser de façon holistique, c’est-à-dire considérer l’organisation et ses activités comme un tout et non plus comme des tâches silotées. Ces activités requièrent une visibilité de bout-en-bout, concentrées sur la valeur délivrée.

Outre l’émergence de nouveaux concepts ou l’adaptation de notions déjà existantes, la documentation a complètement été revisitée afin de la rendre plus synthétique et aisée à la lecture. Elle est notamment accompagné de nombreux exemples pratiques. L’ouvrage ITIL Foundation illustre même en fil rouge les péripéties d’une entreprise fictive vis-à-vis de ses pratiques ITIL.

Le Service Value System (SVS) : un système de cocréation de valeur adapté aux concepts de l’agilité, du DevOps et du Lean

L’élément cœur d’ITIL 4 est le concept de Service Value System (SVS). Celui-ci décrit comment les composants et les activités d’une organisation s’articulent dans le but de créer de la valeur. Ce système s’interface avec les autres organisations, formant tout un écosystème pouvant également délivrer de la valeur à ces organisations et aux parties prenantes.

Le Service Value System et ses différents composants

ITIL 4 Edition a réinventé la notion de cycle de vie des services introduite dans la version précédente (ITIL v3) en introduisant celle de Service Value Chain (SVC). Cette dernière est définie comme “un modèle opérationnel qui esquisse les activités clés nécessaires pour répondre aux demandes et faciliter la création de valeur à travers la gestion des produits et des services”. Les activités de cette chaîne de valeur (planification, amélioration, engagement, design et transition, acquisition/construction, livraison et support) rappellent les différentes étapes du cycle de vie des service. Chacune de ces activités transforme des inputs en outputs, qui peuvent provenir de l’extérieur de la chaîne ou des autres activités de la chaîne. A la différence du cycle de vie de services, ces activités sont interconnectées : aucun ordre n’est prédéfini et il convient d’adapter le modèle au besoin de l’organisation. Cette flexibilité autorise l’organisation à réagir efficacement aux changements d’orientation entrepris au fil du temps.

La Service Value Chain

Pour supporter les activités de la Service Value Chain, des capacités appelées practices ont été définies comme des collections de ressources de différentes natures (appelées les 4 dimensions du service management), affectées par de multiples facteurs externes (politiques, technologiques, environnementaux etc…).

Les 4 dimensions du Service Management

Ces practices rappellent les célèbres processus définis dans les précédentes versions d’ITIL :

  • Certains ont conservé un nom similaire aux notions d’ITIL V3, comme par exemple la gestion des incidents, mais la vision n’est plus seulement orientée processus.
  • D’autres présentent des similitudes mais ont remaniés et adaptés aux nouveaux enjeux, comme la gestion des mises en production (ITIL v3), devenue gestion des déploiements (ITIL 4).
  • Quelques notions sont nouvelles pour ITIL mais existaient dans d’autres frameworks tels que Cobit, comme la gestion des risques.

ITIL 4 propose un modèle d’amélioration continue pouvant s’appliquer à l’ensemble des éléments du Service Value System (practices, SVC…). Ce modèle se veut représenter un guide à haut niveau pour accompagner les initiatives d’amélioration, en mettant un gros point d’attention sur la valeur client, et en assurant la cohérence avec la vision de l’organisation. Le modèle, s’inscrivant dans les principes de l’agilité, introduit une approche itérative et divise les tâches en objectifs pouvant être atteints de façon incrémentale.

Le modèle d’amélioration continue

Pour guider toutes ces activités, ITIL 4 pose des principes directeurs (guiding principles), définis comme des recommandations qui guident une organisation en toute circonstance, indépendamment de ses objectifs, de sa stratégie ou de sa structure. Les principes directeurs d’ITIL 4 sont :

  1. Se concentrer sur la valeur, englobant notamment la prise en compte de l’expérience client et utilisateur
  2. Commencer à partir de l’existant, sans forcément faire table rase de l’existant.
  3. Avancer de façon itérative, avec des feedbacks à chaque fin de cycle
  4. Promouvoir la collaboration et la visibilité du travail accompli
  5. Penser de façon holistique, afin de pouvoir coordonner les activités globalement
  6. Délivrer des choses simples et pratiques
  7. Optimiser et automatiser, et concentrer les interventions des ressources humaines là où elles délivrent réellement de la valeur

Ces principes directeurs peuvent s’appliquer à tous les éléments du système, incluant la gouvernance du Service Value System.

En conclusion : l’ITSM Agile, ou la combinaison du meilleur des deux mondes

Appliquer la philosophie et les modes de fonctionnement agiles au sein des productions informatiques est compatible avec les pratiques éprouvées de l’IT Service Management. Les deux pratiques ont su montrer au fil du temps les gains qu’ils pouvaient apporter aux organisations, et leur synergie permet d’optimiser l’efficacité au sein des DSI. ITIL 4 vient asseoir cette proximité en offrant un cadre adapté aux récentes tendances que sont l’agilité, le Lean IT, DevOps ou encore le Cloud Computing. Il convient ainsi de s’appuyer sur la philosophie initiale d’ITIL : s’inspirer des bonnes pratiques et les appliquer afin qu’elles conviennent le mieux aux organisations.

Source : AXELOS, “ITIL Foundation, ITIL 4 Edition” (2019)

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Romain Levan
Meetech - We Love Tech

Digital & IT Strategy Consultant at Wavestone, I support digital transformation and agile new operating models. — Télécom SudParis alumni.