Santé et immobilier, où se trouve la valeur ?

Thomas Meyer
Pathfinder
Published in
6 min readOct 12, 2020

Dans le cadre de notre think tank Inventons le Futur dédié à l’innovation corporate au croisement de chaînes de valeur, nous publions les analyses issues de nos groupes de travail. Aujourd’hui, nous explorons le croisement entre les chaînes de la Santé et de l’Immobilier. Si vous souhaitez rejoindre ce groupe de travail, écrivez-nous.

Traditionnellement l’intersection entre santé et immobilier s’incarne dans les structures de soins plus ou moins spécialisées selon les pathologies et besoins spécifiques, allant des hôpitaux aux EPHAD. Si ce segment reste essentiel dans le parcours des patients, les besoins de santé s’expriment dans des lieux et des infrastructures de plus en plus variées, rendant compte d’un parcours plus holistique qui fait venir l’offre de soins aux patients et non l’inverse.

Deux axes se dégagent lorsque l’on examine les nouveaux modèles d’affaires. En premier lieu le domicile qui devient une véritable plateforme de soins, avec un focus très fort sur l’Internet des Objets et les technologies de monitoring à distance, cette vision est portée par des innovation autour du prédictif et de l’empowerment des patients. En parallèle, un axe se développe autour des tiers lieux au delà du domicile et des établissements de santé, en prenant en compte l’importance du bien-être dans une acception plus large que celle de la santé, ainsi les bureaux, espaces de coworking, transports publics deviennent également des plateformes de soins. Quels nouveaux modèles d’affaires s’inventent à ces intersections ? Comment les technologies de rupture permettent de répondre à ces attentes?

Pour cette session, nous avons reçu l’éclairage de Yoann Demont CEO & co-founder de PopnRest et de Bruno Quemener ex CDO de Delta Dore.

Le domicile devient l’établissement de santé de référence

En 2020 le nombre de consultations en télémédecine a été multiplié par 100, porté par le confinement, cela reste un mouvement de fond depuis plusieurs années que cet événement exogène n’a fait qu’accélérer. Concrètement dans le futur proche, l’expérience de conseil et de diagnostic se fera en majorité depuis le domicile. Pour cela le domicile devra se transformer en véritable boîte à outils intelligente permettant tant aux patients qu’aux professionnels de santé de se partager des données de manière fluide pour suivi basé sur la prévention plus que sur l’intervention. Depuis quelques années la domotique devient un point d’entrée clé dans la santé qui attire les géants du numérique. Dans ce domaine Google avec sa division Nest ou Apple avec sa montre connectée couplée à des capteurs veulent devenir l’Operating System de référence de l’habitat. Au-delà de la domotique et du smart building, les patients sont rendus de plus en plus autonomes dans des actes de diagnostic simples. Par exemple, la startup israélienne TyToCare propose une solution de télémédecine intégrée à des outils de diagnostics. Les patients disposent d’un kit complet de diagnostic à domicile comprenant une caméra, un otoscope ou encore un stéthoscope pour permettre ainsi au médecin d’établir un diagnostic plus sûr à distance. La startup a notamment été utilisée par les passagers du Diamond Princess placés en quarantaine pendant plus d’un mois. Commercialisé par la chaîne de pharmacies Walgreens et Best Buy aux Etats-Unis, TytoCare a levé plus de 105 millions de dollars pour devenir une plateforme de santé intégrée.

Réinventer l’expérience utilisateur au sein des structures de soin

Au-delà du domicile, la santé et surtout le bien-être se déploient dans tous les lieux fréquentés par les utilisateurs finaux. Pour la grande majorité des actes de soins, les patients doivent encore se rendre dans un établissement de santé (cabinet de médecin, clinique, hôpital etc.). Ce qui change c’est l’importance pour les patients de l’expérience utilisateur, habitués à un niveau de service de plus en plus fluide dans d’autres industries (hôtellerie, restauration, mobilité etc.). Cela constitue constitue un changement radical pour l’industrie de la santé. Comment ce nouveau type de comportement se traduit-il d’un point de vue business ? Aux Etats-Unis où la culture de l’expérience client est reine, de nombreuses startups s’emparent de cette problématique du lieu de soin en se concentrant pour commencer sur une communauté ou une verticale spécifique. Par exemple le champ de la santé des femmes est en pleine ébullition, avec des acteurs de l’écosystème femtech comme Hers ou Rory mais également dans le champ médical. Tia Clinic a débuté comme application de suivi du cycle menstruel et a rapidement ouvert sa propre clinique à NYC pensée pour et par les femmes. Concrètement les fondatrices sont parties du constat que les femmes étaient souvent mal écoutées et guidées par le corps médical, encore majoritairement constitué d’hommes. Globalement les maux des femmes sont moins reconnus que ceux des hommes, en partie parce que les praticiens ne disposent pas des bons outils et savoirs pour diagnostiquer correctement. Tia propose donc à la fois un espace rassurant, un safe space, mais également une expérience de diagnostic et de suivi plus personnalisée. Les médecins ont accès en continu aux données de vie réelle renseignée explicitement par les patients via l’application et récoltée implicitement par leurs objets connectés (montres, téléphone etc.). Fort de son succès, Tia a levé 24 millions de dollars en mai 2020 pour développer son réseau de cliniques et enrichir sa plateforme de télémedecine. D’autres startups ont développé une stratégie similaire comme Tend qui a levé 36 millions de dollars pour réinventer l’expérience du dentiste en réduisant l’aspect anxiogène de l’expérience. Google s’intéresse également à ce segment, l’entreprise via sa holding Alphabet soutient le réseau de cliniques OneMedical récemment valorisée à 1 milliard de dollars.

L’importance des tiers lieux pour un parcours holistique de bien-être

Après le domicile et les établissements de santé, le bien-être se déploie dans des lieux tiers. Yoann Demont est le fondateur de la startup londonienne PopnRest qui propose des capsules sur les lieux de travail pour permettre aux employés de se reposer sans contrainte. Pour les voyageurs ou les professions de nuit, cette solution fait du bâtiment un lieu de répit et de bien-être essentiel, ayant un impact important sur la santé à long terme lorsque l’on connaît le rôle clé du sommeil. Des acteurs du coworking s’emparent également de cette problématique, comme WeWork qui a lancé son offre Rise By We, un one stop shop du bien-être avec salle de sport, sauna mais également coach nutritionnel et psychique, directement intégré au pied de ses bureaux en centre-ville. Pour Bruno Quemener, ancien de Delta Dore l’un des leaders de la domotique dans le monde, il y a un véritable changement culturel à mettre en place du côté des promoteurs d’espaces de bureaux. Il est nécessaire de passer d’une gestion des bâtiments à une gestion de l’occupant, en faisant mieux communiquer à l’échelle de la filière les concepteurs et les opérateurs de ces espaces, par exemple impliquer Sodexo et Bouygues Immobilier dès le design des bâtiments. Concrètement, dans un monde où le mix télétravail et bureau sera de plus en plus équilibré, le bureau doit apporter le même confort que le domicile en termes de température, de luminosité etc, également dans un souci de bien-être…et également de productivité. Si les GAFA ont déjà imposé leurs standards pour la maison connectée, les jeux ne sont pas encore faits pour les autres types de bâtiments. Pour faire advenir de nouveaux standards, l’interopérabilité est essentielle entre les différents acteurs de la filière, avec l’exemple du programme d’IoT Eliot lancé par Legrand visant à développer de nouveaux use-case en associant différents acteurs tierces. Enfin l’avènement du bâtiment comme nouvelle plateforme de centralisation des données de santé, devra passer par la Smart City en se connectant à d’autres infrastructures et lieux publics (écoles, transports en commun etc.)

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