Quelle est ma responsabilité dans les attentats terroristes?

Le 11 Septembre 2001, je vivais et travaillais aux Etats-Unis. J’ai été horrifiée de l’ampleur de l’horreur, son injustice totale et profonde. Puis, face aux amalgames et simplifications incroyables que j’ai entendu de mes collègues américains (“Le Coran est violent et appelle au djihad”. “On va attaquer l’Irak car Oussama Ben Laden y est” alors qu’il était en Afghanistan… Ou encore “L’Irak est une province de la France, c’est pour ça que les Français ne sont pas d’accord avec une intervention armée?”), j’avais organisé une conférence sur l’Islam dans les semaines qui ont suivi. Des centaines de collègues avaient répondu présents, posant des questions, s’interrogeant, apprenant que le Coran a des passages violents ou machistes mais pas plus que la Bible. Puis voyant la guerre qui se mettait en place, j’ai décidé de quitter le pays, et nous avons décollé vers l’Europe le jour où les premiers avions Américains partaient pour l’Irak. Il m’était impossible de rester dans un pays qui réagissait ainsi, ajoutant une guerre à la violence.

En 2005, lors des attentats à Londres, j’y vivais et travaillais. La réaction anglaise fut posée, réfléchie, courageuse alors que les évènements étaient encore plus insensés: attaquer des civiles en pleine rue et au hasard, pourquoi? Et lors des attentats parisiens de Janvier 2015, j’habite et travaille à Vincennes, tout près.

Toutes ces expériences traumatisantes m’ont révoltées par l’horreur des faits d’abord, mais très rapidement ensuite, m’ont profondément inquiétée par les réactions émotionnelles réductrices et simplistes qui ont prévalu dans la société et la rapidité que nous avons à aller chercher le mal ailleurs pour éviter de nous remettre en cause personnellement. Je souhaite ici proposer une réflexion et des questions à explorer dans le calme et le respect pour cesser de subir ces attaques qui se répètent et construire ensemble un monde où de tels faits ne pourront plus être perpétrés.

Naturellement, comme chaque être humain, je m’identifie avec compassion aux victimes des attentats. Cette compassion est positive, et prouve à quel point nous sommes tous connectés. Osons en même temps nous identifier avec les terroristes, discerner ce qui nous relie malheureusement à eux, prenant conscience des germes même infimes que nous portons à notre insu, afin de pouvoir les éradiquer en nous.

Comme le suggère avec courage et amour le philosophe Abdennour Bidar dans sa Lettre ouverte au monde musulman, chaque religion, chaque communauté, chaque pan de la société, chaque individu se doit de faire le ménage en lui-même, dans son couple, sa famille, ses relations proches. La religion musulmane a du pain sur la planche. La religion juive tout autant. Et les religions chrétiennes (avec l’Inquisition) et bouddhiste (qui ont laissé faire les khmers rouge), ont l’humilité de savoir qu’elles aussi doivent continuer à progresser dans la voie de la remise en cause de leurs propres croyances limitantes.

Les religions n’ont malheureusement pas le monopole du fanatisme et de l’intégrisme, le communisme l’a bien prouvé. Aujourd’hui, les ayatollahs Français les plus virulents sont souvent dans le camps des athées anti-cléricaux. Parmi eux aussi malheureusement existent des extrémistes qui cherchent à désacraliser, à bannir la spiritualité (de l’espace public soit-disant mais en réalité idéalement de la vie de ces personnes qu’ils considèrent ‘manipulées’, ‘bernées’), à incarner un cynisme dénigrant revenu de tout. Par leurs positions trop souvent simplistes et leur refus d’écouter des arguments opposés aux leurs, ces extrémistes suscitent une colère profonde qui m’anime moi, chrétienne pacifique et démocrate, et bien d’autres avec moi. Ils engendrent tout autant, et peut-être même plus que les religions, les atrocités que nous avons vécues encore en ce néfaste Janvier 2015 parce qu’ils se croient auréolés de la gloire de l’ouverture et de la tolérance alors qu’ils sont aussi perversement remplis de préjugés que toutes les autres communautés, avec en moins l’humilité et un cadre qui permet de structurer la pensée.

Il est urgent que nous osions aborder nos vraies peurs en face, notre part de responsabilité dans la dérive terroriste actuelle, et chercher avec respect ce que nous pouvons apprendre de ceux qui pensent et vivent autrement de nous. Chacun de nous est co-responsable des actions qui se répandent dans nos sociétés. Cessons de nous voiler la face. Au delà des débats stériles qui reportent la responsabilité sur les autres, je nous invite au dialogue profond et à l’introspection la plus honnête.

Quelles sont mes responsabilités dans la montée de la violence terroriste?

Que puis-je faire pour contribuer à apporter de la paix, de la tolérance, de l’amour dans notre monde?

A la sortie de l’école élémentaire publique, suite aux attentats, il a été long et fastidieux de récupérer mes enfants. Alors que nous attendions tous amassés devant l’école, un enfant arabe musulman est sorti rejoindre sa mère avec un énorme oeil au beurre noir. Sa mère et une autre femme voilée se sont inquiétées doucement en arabe, tournée et baissées vers lui pour lui montrer leur sollicitude et demander ce qui lui était arrivé. Je me suis moi aussi penchée vers lui avec compassion. Il a répondu dans un français impeccable que ce n’était rien, qu’il avait cogné la tête d’un copain, qu’il avait été soigné par l’infirmière. Mais les deux mamans et moi n’étions pas convaincues. L’enfant était gêné quand sa maman est retournée dans l’enceinte de l’école pour demander des explications à la Directrice. Ayant récupéré mes enfants, je suis partie, triste et gênée des amalgames que cet enfant et bien d’autres pourraient avoir à subir. Triste aussi d’avoir été la seule maman blanche à montrer la moindre compassion pour cet enfant et la moindre marque de soutien aux deux femmes. Aujourd’hui, je suis en peine avec les familles des victimes des attentats. Je suis aussi en peine avec les familles musulmanes de France, avec les familles arabes qui subissent de façon répétée et injuste des préjugés qui les bloquent quand ils cherchent un travail, un logement, à vivre tout simplement. Merci à Fait religieux de relater cette partie là aussi des évènements d’aujourd’hui. Restons vigilants et dans l’accueil quoiqu’il advienne, ou les terroristes auront vraiment gagné. Merci Luc Besson pour votre très inspirante tribune dans le Monde qui incite à une telle réponse.