Chicago, une métropole on ne peut plus américaine.

Sous beaucoup d’aspects, la capitale du Midwest reflète la métropole et la culture typiquement américaines.

Luc Landrot
A European lost in the Midwest
10 min readJan 28, 2017

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Skyline de Chicago un matin de janvier.

Une population diverse à l’image du pays

Par son dynamisme depuis plus de 150 ans, Chicago a attiré par vagues successives les populations de toutes origines qu’on retrouve aux USA. Au 19ème siècle, cela a commencé par les Irlandais et les Allemands, puis par des Italiens, Polonais, Ukrainiens, Autrichiens, Russes etc.

En 1910, les habitants de Chicago nés à l’étranger représentaient 900 000 personnes soit un tiers de la population totale !

Pendant la première guerre mondiale, la vague de la Grande Migration des Noirs américains des anciens états esclavagistes tripla leur population en l’espace de seulement 5 ans. Attirés par le développement de l’industrie, probablement dopée par l’effort de guerre, et fuyant la ségrégation et les lynchages du KKK faisant rage dans le sud du pays, ils débarquèrent par dizaines de milliers. C’est l’époque de Louis Armstrong et du blues qui s’installa dans la culture de la Windy City.

Pixabay.com

La dernière vague massive d’immigration vient du sud du continent. Presque un tiers aujourd’hui des Chicagoans sont hispaniques. Il n’est pas rare de voir des panneaux traduits en espagnols dans certains quartiers même si il n’y en a pas autant qu’à New York et surtout qu’à Los Angeles. Pour une ville se situant pourtant bien loin du Mexique, cela traduit bien son dynamisme économique aspirant des populations éloignées.

Une grande richesse et de grandes inégalités

Je n’ai pas dû attendre longtemps pour voir une Jaguar flambant neuve passer.

Chicago est à l’image du rêve américain. La ville doit sa prospérité (globale) à son adaptation perpétuelle à la conjoncture et au contexte économique et culturel. C’est une métropole qui bouge vite, très vite, on l’a vu précédemment, mais non par dirigisme mais pas les initiatives de ses entrepreneurs. C’est leur réactivité et leur inventivité qui permettent à la Windy City de se réinventer sans cesse pour préserver son rang et le niveau de vie de ses habitants. Si quelque chose ne marche plus, on l’abandonne ou on le détruit pour reconstruire du neufà la place. Voilà bien une philosophie américaine.

Symbole de cette réussite flamboyante à l’américaine, Ray Kroc, le fondateur de la multinationale McDonald’s (mais pas du concept) est originaire et a fondé son premier McDonald’s en banlieue de Chicago. Symbole de l’efficacité économique (fast) et de la culture américaine naissante (food), le groupe McDonald’s est à l’image de sa ville d’origine.

La brique est caractéristique de l’architecture de Chicago. Encore aujourd’hui certaines constructions neuves y ont recours.

Façonnée par deux siècles de commerce et de forte croissance, Chicago transpire la ville bourgeoise. Jusqu’au coeur du centre-ville, les hôtels de luxe côtoient les combos d’appartements huppés dans des tours de plusieurs dizaines d’étages. La journée, des promeneurs de chiens (dog-walkers), sortent les animaux des heureux propriétaires du quartier “Gold Coast” (ça ne s’invente pas).

Un dogwalker

Sans être bling bling, cet étalement de luxe se repère à tous les niveaux : gardiens et portiers d’immeubles, berlines ou SUV luxueux, promeneurs de chiens, écoles élitistes, boutiques de luxe, valets de parkings. Mais contrairement à New York, Los Angeles ou Miami, pas de limousines ou de voitures de sport. Non, de simples Jaguars, Cadillac, Buick, Maserati. A Chicago on ne s’affiche pas riche, on cherche simplement le beau et le confort. En témoigne l‘architecture de bon nombres de constructions récentes dans la lignée de la tradition de la ville. Combo moderne de 40 étages ou distinguée maison en pierre, chacun fait son choix.

Tous les immeubles récents ne sont pas aussi simples et moches que la Trump Tower
Vers le quartier de Lincoln Park, on trouve ce genre de bijou, Maserati parfois garée devant.

Dans le centre ville, comme dans toute mégapole, de nombreux sans-abris habitent les rues. L’immense bibliothèque publique de la ville leur offre cependant un lieu chaud où se réchauffer, faire une sieste, lire des livres ou consulter internet gratuitement.

The average black person in Chicago makes 45 cents for every dollar a white person makes. (chiffres 2011)

Mais dès que l’on passe l’Interstate 90 vers l’ouest ou la Stevenson Expressway au sud, la réalité du modèle américain rattrape le passé de Chicago, la capitale des gangs. La “Black Belt” née de l’arrivée des Noirs américains il y a un siècle est toujours prégnante. Et cette carte, comme dans toutes les villes américaines, coincide avec une grande pauvreté. La crise de 2007 a particulièrement affecté ces populations qui ne s’en sont pas encore remises.

La ségrégation spatiale et économique existe donc toujours. Chicago possède l’une des plus grandes populations noires de toutes les métropoles américaines. Une grande partie de cette population apparaît écartée du dynamisme économique de la ville. Mais elle n’est pas probablement pas la plus mal marginalisée du pays. En témoignent des réussites comme celles de Harold Washington, premier maire noire de la ville en 1983 ou encore Michelle Obama, qui a étudié à Princeton.

Mais la pauvreté bien réelle d’une grande partie de ces quartiers n’est pas sans conséquences bien visibles. La criminalité, les fusillades, sont en forte hausse depuis 2015. Les décès par balle ont augmenté de 57% en un an en 2016 ! Et 2017 ne s’annonce pas meilleur ! Sur les 3 premières semaines, le nombre est déjà en hausse par rapport à 2016, année la plus meurtrière depuis 20 ans.

Cette hausse soudaine des fusillades est telle qu’elle fait réagir au plus haut niveau de l’Etat fédéral. Pas plus tard que cette semaine, Trump a déjà menacé d’envoyer la police fédérale… (dans un tweet, on ne se refait pas)

Nul doute que si Donald Trump envoyait la garde nationale, c’est surtout l’embrasement en émeutes qui risquerait de survenir, un siècle après celles de 1919.

Parmi les hypothèses avancées pour expliquer ce soudain pic de criminalité : un “effet Ferguson” (meurtre d’un jeune Noir par la police qui avait provoqué des émeutes raciales dans tout le pays en 2014 et qui a propulsé le mouvement #BlackLivesMatter dans tout le pays). Cette hausse des fusillades serait liée pour la police locale à une autorité de l’Etat plus contestée que jamais, notamment par ces populations. Les médias, les réseaux sociaux pourraient expliquer ce regain de “rébellion”.

Il y a là un véritable sujet à étudier. Chicago est-elle une anomalie statistique ou le signal faible précurseur de troubles à venir plus importants dans le tout le pays ? Est-ce propre à la société américaine ? La suite du voyage devra apporter des éléments de réponse.

Une ville plus contestataire que la moyenne

Chicago a un long passé de contestation qui prend ses sources dès son essor au 19ème siècle. L’industrialisation rapide de la ville et la venue de nombreux émigrés allemands a fait naître des mouvements de contestations ouvriers et des courants anarchistes remettant en cause les mauvaises conditions de travail et le partage des profits. Le point culminant de cette lutte fut l’attentat du Haymarket Square le 4 mai 1886, suivant 4 jours de grève générale commencée le 1er mai et réclamant la journée de 8 heures.

Autre événement majeur, dans les années 1910, comme les immigrés Européens d’avant, les Noirs américains furent majoritairement regroupés dans des quartiers bien distincts des quartiers “blancs”. La fameuse “black belt”. Les lieux publics n’étaient pas séparés entre Blancs et Noirs comme dans le sud du pays, mais dans les faits, comme sur la plage où se produisit l’étincelle, la ségrégation était souvent une réalité. La tension qui s’accumula provoqua en 1919 de violentes émeutes raciales où s’affrontèrent des gangs d’hommes blancs souvent irlandais et des Noirs récemment immigrés.

La plupart des émeutiers blancs étaient Irlandais et étaient en concurrence avec les Blacks pour les emplois dans les usines.

Lors du vote de la Prohibition dans la Constitution américaine en 1920, Chicago, par ses réseaux criminels, a été pionnier dans le contournement de ce 18ème amendement. C’est la fameuse période Al Capone et ses nombreuses victimes.

Il reste de nombreux anciens buildings du siècle précédent en centre-ville.

Echo aux émeutes de 1919, la ville subit de nouveaux spasmes en 1968 à la suite de deux événements marquant l’histoire des Etats-Unis. La mort à Memphis de Martin Luther King qui avait fait de Chicago sa demeure, et les protestations contre la guerre du Vietnam à la convention démocrate, prémices du festival de Woodstock emblématique du mouvement hippie.

Le premier provoqua des émeutes raciales à Chicago, réprimées dans le sang par la police. Les directives du maire de l’époque étaient claires : “right to shoot”, “shoot to kill”, à l’adresse des policiers de la ville qui avaient donc ordre de tirer dès qu’ils apercevaient un pillage.

Le deuxième événement devait être un rassemblement pacifique mais a été maté par une police faisant volontiers usage de la force avec la bénédiction du maire de l’époque.

“The whole world is watching”. Slogan de la manifestation des Yippies.

Cet événement est un des points culminants de la lutte de certains Américains défendant le pacifisme, le libertarianisme et remettant en cause l’autorité. Ce mouvement n’était d’ailleurs pas propre aux Etats-Unis puisque la même année dans le monde, et particulièrement en France, le même mouvement idéologique se faisait entendre.

Sur le moment, le large soutien de l’opinion publique américaine montra que les Américains n’étaient pas prêts à abandonner leur amour de l’autorité si facilement. Mais de la même manière que Mai 68 a gagné cette année là une bataille culturelle de long terme en France, la composante américaine du mouvement a également gagné en influence aux Etats-Unis, jusqu’à…l’élection de Trump, véritable contre-réaction à ces idées.

La démonstration de force #WomensMarch à laquelle les participants de Chicago ne sont pas en reste par rapport aux autres villes du pays, est un indicateur de cet îlot d’ouverture au milieu du Midwest que semble être la ville.

Un urbanisme profondément américain

La ville s’étend sur 120 km le long du Lac Michigan et 70 km à l’ouest. Chicago est symptomatique de l’étalement spatial des villes américaines depuis l’avénement de la voiture et des expressways dans les années 50. Période qui marque d’ailleurs le point culminant de la courbe démographique de la ville hors banlieue. Preuve de cette fuite vers des terres de plus en plus éloignées du centre qui se vida peu à peu. Moins dense que New York, plus dense que Los Angeles, Chicago est décidément à mi-chemin de ses deux rivales antagonistes.

Chicago n’est pas avare de gratte-ciels, qu’elle a d’ailleurs inventés. Elle a même détenu le record de la plus haute tour du monde pendant 25 ans avec la Sears Tower érigée en 1973 haute de 442 mètres

Un noeud autoroutier de l’I-95 devant la Sears Tower

Pour faire face à la congestion, Chicago s’est dotée de 3 niveaux de circulation. Un pour les “L Trains”, caractéristiques de la ville, construits dès les années 1890. Un autre de larges rues et d’expressways. Et enfin, autour de New East Side, il y a tout simplement deux réseaux de circulation automobiles superposés. Les ponts traversant la Chicago River sont aussi à double étage. Un vrai casse-tête pour les GPS.

Côté piétons, comme à Montréal ou Singapour mais en moins développé, un “Pedway” permet aux piétons de circuler au chaud l’hiver et relie certaines stations de train directement aux tours du centre ville.

Pont à double niveau au-dessus de la Chicago River.

Le réseau de trains est performant, l’un des plus maillés des Etats-Unis, mais pourtant la voiture reste reine. Contrairement à d’autres métropoles américaines comme Boston où la mode européenne des petites voitures (Mini, Fiat 500, Yaris ou même Golf) a conquis une partie de la population, ici rien de tout ça. Plus c’est gros, mieux on se porte. Très peu d’hybrides et presque aucune Tesla.
Quand ils n’utilisent pas leur berline, les Chicagoans se font conduire par un chauffeur privé souvent commandé via Uber Pop ou Lyft (une sorte de Uber Pop qui n’existe pas en France). Un succès visible à tous les coins de rue pour un service qui est désormais interdit en France.

La culture automobile américaine est donc sauve. Ce n’est pas Chicago qui l’enterrera. Nulle doute que la ville évoluera un jour sur cet aspect, comme elle a su le faire depuis deux siècles. Mais visiblement ce jour n’est pas encore arrivé. Les travaux d’élargissement de l’Interstate 90 l’attestent.

Les bandes cyclables sont nombreuses et de taille honnête mais les vélos sont rares. Il y a bien une police à vélo, mais celle-ci paraît bien symbolique face à la flotte d’énormes pick-up Ford du département de police.

Pour terminer cet aperçu de la ville, une phrase, recueillie au musée d’Histoire, résume à elle seule pourquoi Chicago est une métropole de culture profondément américaine.

Le prochain article, en anglais, sera le dernier consacré à Chicago et s’intégrera dans une perspective plus globale.

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Luc Landrot
A European lost in the Midwest

Auteur de science-fiction, administrateur de l’Union des Fédéralistes Européens — France, ingénieur, Européen dans l’âme et dans la vie. #Subsidiarité