“Donnez tout le pouvoir au grand nombre et la minorité sera opprimée ; donnez tout le pouvoir à la minorité et le grand nombre sera opprimé.”* (1/9)

Luc Landrot
A European lost in the Midwest
6 min readApr 5, 2018
Photo par wynpnt sur Pixabay

Pour comprendre comment fonctionnent les États-Unis et le Canada, il faut d’abord avoir bien en tête qu’ils ne sont pas organisés comme la France ou même l’Europe peuvent l’être.

En France, tout est centralisé à Paris. Quand Paris ordonne, les régions exécutent sans broncher. Si vous montez un business qui a vocation à croître, vous aurez tôt ou tard le besoin d’avoir une succursale à Paris ou d’y monter régulièrement.

« Le pouvoir étant presque toujours rival du pouvoir, le gouvernement fédéral sera toujours prêt à en repousser les usurpations des États fédérés et ceux-ci seront vis-à-vis du gouvernement fédéral dans la même disposition. »

Alexander Hamilton, l’un des pères du fédéralisme américain

Des pouvoirs éclatés géographiquement

Cette phrase résume parfaitement la philosophie de l’organisation politique américaine. En Amérique du Nord, malgré des inégalités entre états, il n’y a pas de point unique du pouvoir. Washington DC possède le pouvoir politique du pays mais en contrepartie, un territoire géographique réduit à peau de chagrin. Je n’apprendrai rien à personne si je vous dis que la Californie domine économiquement, New York financièrement et le Midwest agriculturellement. La Californie domine également culturellement et économiquement mais ne représente que 12% de la population des US, et à peine 14% du PIB des USA. Au Canada, Ottawa (1,3 million d’habitants) n’est pas non plus la grande agglomération du pays, largement supplantée par Toronto (6 millions), Montréal (4 millions), Vancouver et même depuis peu par Calgary.

Los Angeles et San Francisco rayonnent dans le monde entier mais il en est de même de New York, Chicago, Toronto, Washington, Montréal, Boston ou Dallas.

Globalement, les deux pays sont donc géographiquement, démographiquement et économiquement équilibrés et décentralisés.

Quid du gouvernement fédéral ?

Pays fédéraux par excellence, le pouvoir situé à Washington ou Ottawa n’a pas emprise sur tout. Les États/Provinces ont de grandes libertés. Aux États-Unis, par exemple, ils peuvent décider de sujets aussi variés que la “sales tax” (l‘équivalent de la TVA), la peine de mort, l’âge pour boire de l’alcool, les autorisations de cannabis, de normes technologiques ou environnementales, de règles du code de la route, de sécurité sociale, l’âge obligatoire de scolarisation, etc. Au Canada aussi, à côté d’une TVA nationale, chaque état définit son taux de “sales tax” qui s’ajoute à l’achat de produits.

Budget

Le fédéral se finance essentiellement grâce à l’impôt sur le revenu des citoyens (environ la moitié sont imposables, comme en France), les taxes sur les mutuelles santé et les taxes sur les entreprises.

La redistribution directe prend la forme d’aides sociales, de santé, de coupons alimentaires pour les personnes les plus pauvres et d’aides pour les écoles.

Côté infrastructures, le réseau des interstates (réseau autoroutier principal aux États-Unis) a de multiples sources de financement : taxes sur l’essence, péages… Chaque localité, de la métropole au niveau fédéral apporte sa contribution à la construction et à l’entretien du réseau. La répartition n’est pas claire mais tout le monde semble mettre la main à la patte, à commencer par les utilisateurs, directement ou indirectement.
Au Canada, les routes sont de compétence des provinces mais le gouvernement fédéral finance l’entretien du réseau autoroutier “Transcanadien” qui traverse le pays d’est en ouest.

Éducation

Pour l’école, ça va même plus loin puisque les municipalités apportent aussi des fonds ce qui fait varier énormément le budget par élève d’un quartier à l’autre. Cependant, l’État fédéral américain garde une emprise importante car l’éducation a toujours été le ciment de la “nation”, un facteur de cohésion des citoyens dont les états en général ne se privent pas d’utiliser partout dans le monde pour assurer leur pérennité. Ainsi, avec seulement 8,5% du budget de l’éducation venant du niveau fédéral, cette contribution a pourtant son importance. Nous y reviendrons.

Social

Au niveau des aides sociales (oui oui, il y en a aux États-Unis), des coupons alimentaires (food stamps) représentant 125$ dollars par mois en moyenne bénéficient à 44 millions de personnes à travers le pays.

Justice

Chaque état possède sa constitution et son système judiciaire propre.

(Curieux de voir que le Sénat français fait des études sur les modèles fédéraux mais que l’État français ne fait absolument rien de ces analyses ensuite…)

Autres services

La police fédérale (FBI) ne s’occupe que des délits qui traversent les frontières des états ou menacent le pays entier. L’armée, qui a des bases dans chaque état, est bien entendu une prérogative fédérale.

Après l’état, le canton ou la municipalité

Quand un village devient une ville, elle prend une autonomie plus importante. On dit qu’elle est “incorporée”. Ainsi, les États sont divisés en comtés/cantons ruraux et en municipalités incorporées.
Si on entre dans le détail cependant, on se rend compte que cette organisation est un peu plus complexe et diffère selon les états, fédéralisme oblige.

Mais dans les grandes lignes, voilà comment cela fonctionne. Les écoles, collèges, lycées sont donc de compétences des municipalités et les cantons élisent leur shérif pour assurer leur sécurité. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir.

Le Capitole à Washington DC, centre de pouvoir fédéral hébergeant le Congrès

Une complexité bien organisée

Le modèle américain mériterait une étude complète mais vous voyez l’idée. Le pouvoir semble par construction bien dilué. Et c’est important de le retenir pour comprendre la suite.

L’une des phrases tirées de mes notes de voyage résume bien la situation :

In the US, you don’t have to only compete with China, you have to compete with the state next door.

*Aux US, on n’est pas seulement en concurrence avec la Chine mais aussi avec l’état voisin.

Cette concurrence, notamment fiscale, fait qu’il existe des inégalités entre États. Mais l’état fédéral central opère une certaine redistribution et le pays, vu de l’extérieur, s’est très bien porté économiquement pendant deux siècles. Il n’a pas non plus connu de guerre sur son sol depuis la guerre de Sécession, il y a 150 ans… L’Europe ne peut pas en dire autant.

Outre une concurrence entre états, il y a eu une lutte incessante d’équilibre des pouvoirs entre états et niveau fédéral. Par exemple, les faibles fonds distribués sporadiquement par le niveau fédéral sont suffisants à étendre l’influence de l’état fédéral et à imposer aux états des choses (standards d’éducation, âge limite pour boire de l’alcool, etc.).

À une autre échelle, on observe un peu ce phénomène en Europe. Sauf que dans l’UE, les chefs d’État, équivalent aux gouverneurs, ont beaucoup plus de pouvoir qu’aux États-Unis et gardent les prérogatives de l’armée et de la diplomatie.

On le verra plus loin, cette lutte de pouvoir façonne la politique américaine depuis deux siècles et a notamment engendré la guerre de Sécession dans les années 1860.

Dans les articles suivants, j’adopterai une approche globale des États-Unis, c’est-à-dire une “moyenne” des états, mais gardez bien en tête que les disparités à l’intérieur du pays sont très grandes.

Le prochain article traitera de l’application de l’autorité aux États-Unis, l’un de leurs fondements.

“Donnez tout le pouvoir au grand nombre et la minorité sera opprimée ; donnez tout le pouvoir à la minorité et le grand nombre sera opprimé.” Alexander Hamilton

  • Citation d’Alexander Hamilton

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Luc Landrot
A European lost in the Midwest

Auteur de science-fiction, administrateur de l’Union des Fédéralistes Européens — France, ingénieur, Européen dans l’âme et dans la vie. #Subsidiarité