Détroit, la ville “soufflé” (1/3)

Luc Landrot
A European lost in the Midwest
5 min readFeb 8, 2017

Deuxième ville de mon parcours, ville moins importante en taille que Chicago, son histoire n’en est pas moins passionnante. Elle permet d’établir les bases nécessaires à la compréhension de son déclin et participe à mieux comprendre le fonctionnement des Etats-Unis.

Des débuts bien français

La ville au 18ème siècle. Le détroit à gauche, le fort à droite.

Détroit est une ville plus ancienne que Chicago. Située plus à l’Est, la ville fut fondée par Antoine de la Mothe de Cadillac en 1701. L’endroit avait été découvert par l’explorateur français Samuel de Champlain dès 1615 puis traversé par Louis Joliet en 1669. De simple avant-poste au coeur de ce fameux commerce des fourrures et des tribus indiennes Chippewa, Ottawa et Potawatomi, la ville devint la plus peuplée (800 habitants) des territoires français situés entre Québec et la Nouvelle Orléans. Le Roi de France offrait des terres gratuitement aux colons pour les attirer. La cité joua un rôle important dans la géopolitique de la région entre Indiens, Britanniques et Français. Ces derniers perdirent le contrôle de ces territoires et du fort au profit de la couronne d’Angleterre en 1760. Territoires cédés aux nouveaux Etats-Unis en 1796.

L’entrée dans l’ère industrielle

C’est en 1825, avec l’ouverture du canal Erie qui relie les grands lacs depuis Buffalo jusqu’à New York via Albany et l’Hudson, que la ville entra dans l’ère industrielle. Les bateaux à vapeur permirent de réduire le temps de trajet jusqu’à l’Atlantique de 2 mois à 2 semaines. Ceci connecta la ville au dynamisme des régions côtières et attira des milliers d’immigrants européens.

Détroit, 1837, History Museum

Comme Chicago, carrefour de transit de matières premières, l’industrie de Détroit eut bientôt ses fleurons : fabrication de wagons, de bateaux à vapeur mais aussi poêles à bois, tabac, pharmacie. La population passa de plus de 2000 habitants en 1830 à 285 000 en 1900. Vagues d’émigrés majoritairement catholiques (Irlandais, Allemands et Polonais). Mais le véritable boom de la ville se produisit au siècle suivant.

C’est donc tout naturellement que cette industrie lourde se tourna vers la voiture à l’aube du 20ème siècle.

The Motor City, un âge d’or éclair

Aucun lieu au monde ne peut revendiquer à lui seul l’invention de l’automobile. Partagées entre l’Europe et les Etats-Unis, chaque invention, amélioration a contribué à l’essor qu’on lui connaît au 20ème siècle. Cependant Détroit a joué un rôle déterminant dans l’Histoire automobile mondiale, et particulièrement pour le continent américain. Si ce pays est devenu le pays de la voiture, c’est grâce aux entrepreneurs et ingénieurs de la ville. Qu’ils s’appellent Ford, Buick, Chrysler, Chevrolet ou Dodge, un véritable éco-système est né en l’espace de quelques années.

En 1896, Charles Brady King conduisit la première carriole sans cheval sur la Woodward Avenue, quelques semaines avant Henri Ford.

Chaîne de montage d’une Cadillac montrant les progrès de l’industrialisation

La première Ford T, fabriquée de série, sortit d’usine en 1908. C’est à Détroit qu’est né le fordisme, le fameux “travail à la chaîne”, qui révolutionna l’industrie du 20ème siècle. En 1909, la première Highway en béton des Etats-Unis est construite ici. David Dunbar Buick, fondateur de ce qui deviendra le groupe General Motors, leader mondial de l’automobile, a également bâti son empire à Détroit. En fait, aucune marque américaine, de Chevrolet à Chrysler en passant par Dodge, Cadillac ou Pontiac, n’a été fondée en dehors de Détroit. Pour la petite histoire, Pontiac est le nom d’un chef de guerre indien de la région, Cadillac le fondateur de la ville et Chevrolet un Suisse romand mécanicien qui a vécu en Bourgogne avant d’émigrer aux Etats-Unis où sa route a croisé celle de Détroit.

Mais Détroit n’est pas surnommé “Motor City” uniquement pour ses nombreuses usines de voitures. La ville s’est très vite dotée d’un réseau routier démentiel. Larges avenues, expressways, Interstates quadrillaient la ville dès les premières décennies du 20ème siècle.

Interstate 96 là où la banlieue commence. Ville déserte, autoroutes encombrées. C’est le paradoxe de la Motor City.

Propulsée par son industrie automobile florissante, la population bondit de 285 000 habitants en 1900 à plus d’un 1,8 millions en 1950 ! Attirant comme Chicago aussi bien des immigrés extérieurs (74% de la population de 1910 étaient soit nés à l’étranger soit américains de 1ère génération), que de l’intérieur avec la grande migration des Noirs américains venus chercher meilleure fortune dans les usine du Nord du pays. Cette prospérité se déclina dans des constructions majestueuses, gratte-ciels art-déco, Central Railroad station de 18 étages, Masonic Temple, Ambassador Bridge qui la relie au Canada. Signe du développement exponentiel de la ville, celle-ci comptait 125 entreprises automobiles en 1915. En 1931, Ford produisait déjà son 20 millionième véhicule.

Parallèlement, une filière aérienne se développa également. Détroit fut la première ville à accueillir une ligne aérienne régulière vers Chicago et Cleveland, opérée par Stout Airlines (1926).

Ces infrastructures industrielles firent de Détroit une plaque tournante de l’industrie de l’armement américaine pendant la seconde guerre mondiale. S’auto-désignant “Arsenal de la démocratie”, Détroit produisit à elle seule jusqu’à 30% du total de l’armement américain tout matériels confondus (tanks, avions, armes, bateaux, véhicules etc.).

Cette aubaine permit à Détroit de récupérer de la crise des années 30 qui l’avait durement frappée. Mais ce regain de dynamisme fut de courte durée. Dès les années 50, les prémices du déclin inexorable de la ville se firent sentir.

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Luc Landrot
A European lost in the Midwest

Auteur de science-fiction, administrateur de l’Union des Fédéralistes Européens — France, ingénieur, Européen dans l’âme et dans la vie. #Subsidiarité