Le paradoxe du CAPTCHA

Léa Morales-Chanard
Mind Mine
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3 min readNov 28, 2016

Depuis que j’utilise internet de façon « intensive » (et à vrai dire, je ne saurais donner une date de cette entrée dans le cyber-monde qui me passionne aujourd’hui) j’ai toujours été étrangement fascinée par les CAPTCHAS, ces images à but purement pratique qui permettent à un site de valider la présence d’une interaction avec un humain pour éviter le flood automatique, le piratage et autres infiltrations robotiques.
Basés sur le test de Turing qui permet de distinguer l’Homme de la Machine, le CAPTCHA (pour « Completely Automated Public Turing test to tell Computers and Humans Apart ») est une composition visuelle algorithmiquement automatisée dépeignant le plus souvent une série de lettres, de chiffres ou de mots plus ou moins déformés et lisibles que l’Homme est sensé retranscrire pour valider son identité biologique, contre une éventuelle identité artificielle robotisée aux mauvaises intentions. Il s’agit donc comme son nom l’indique, de différencier l’utilisation d’un site, d’un programme ou d’une fonction par un humain plutôt que par un robot qui pourrait alors tenter d’accéder à une base de données et semer le chaos dans le back-end d’une surface UI (user interface).
Ce que j’appelle « le paradoxe » du CAPTCHA, c’est précisément sa fonctionnalité: l’Homme doit attester de son humanité en transcrivant correctement un message généré par ordinateur, ce qui lui permettra d’accéder à un contenu qui lui aussi est techniquement codé, le tout sur un médium numérique. La part d’humanité dans la réalisation d’un CAPTCHA semble donc minime, et c’est pourtant là toute la visée essentielle de celui-ci. De plus, lorsque l’on pense à la célèbre citation de Sénèque « Errare humanum est » (l’erreur est humaine), le fait de devoir attester de sa propre constitution biologique, éminemment biaisée, en retranscrivant à la perfection un message automatique fait pour être illisible par un ordinateur semble pour le moins… Paradoxal. C’est donc cet aspect que je trouve incroyablement intéressant dans le CAPTCHA, cette demande étrange de témoignage d’humanité via un outil numérique par un outil numérique pour un outil numérique, qui fût, à un moment x, pensé, mathématisé et fabriqué par l’Homme.
Mais au delà de ces considérations Homme-Machine du CAPTCHA, il y a aussi son esthétique particulière qui me fascine: qu’une image si fonctionnelle et automatisée soit si porteuse d’intérêt graphique m’étonne. Leur nature flottante, organique et mouvante semble représenter l’Humain: une association presque poétique d’éléments hasardeux sans concessions voguant dans un vide particulier en attente de confirmation, d’un regard qui leur donnera une fonction et un futur. Certes, c’est une vision poussée d’un élément si quotidien et pratique que le CAPTCHA, mais comme à mon habitude, je cherche une poésie dans une chose, une image ici, qui ne contient en son essence et son origine qu’une fonction.
J’ai donc commencé une collection de CAPTCHAS, ceux-là qui me fascinent, qui attirent mon oeil et me font contempler l’image produite par le code un court instant avant de donner raison à son existence en affirmant que je suis humaine.

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Léa Morales-Chanard
Mind Mine

Graphic designer with a love for weirdness, pop-culture and art.