Trois conseils inattendus pour gérer son équipe Data.

Emmanuel Martin Chave
Modern Data Network (MDN)
10 min readMay 4, 2024

Basé sur mon podcast avec Robin Conquet sur DataGen, je souhaitais partager trois conseils avec mes collègues Data Managers. Premièrement, les responsabilités entre les contributeurs.trices individuels.elles (CI) et les managers. Deuxièmement, la formation au management. Troisièmement, l’adoption d’une vision à long terme pour la construction d’une équipe. Cela vient de mon expérience à la direction des équipes Data de BlaBlaCar pendant 7 ans. Je vous laisse décider comment cela se généralise à d’autres contextes managériaux ! English version available here.

Jouer tel un orchestre

“Devenir manager n’est pas une promotion pour un CI. C’est un travail différent.”

Les musiciens s’attendent-ils à être promus chefs d’orchestre ? La question n’a pas de sens : la promotion implique un classement. Dans ce cas, il n’y en a pas, les musiciens et les chefs d’orchestre ont des responsabilités différentes. L’harmonie naît lorsque ces éléments se combinent en un tout cohérent et agréable. Une équipe Data se comporte comme un orchestre. Sa performance vient des interactions entre le chef d’orchestre (manager) et les musiciens (CI). Ce sont des métiers différents, il n’y a donc pas de promotion entre eux.

Définir les responsabilités distinctes des managers et des CI

“Une idée courante — mais fausse — est que les managers et les décideurs sont identiques. La réalité est plus riche. Les équipes prennent beaucoup de décisions. Certaines appartiennent au manager. Par exemple, décider d’une promotion ou d’une augmentation de salaire. La plupart des décisions sont prises par les CI : de la conception technique à la livraison d’un projet en passant par la gestion de projet.”

La plupart des décisions au sein d'une équipe sont des décisions des CI. Leurs décisions et les décisions du manager déclenchent les actions de l'équipe. Ces actions conduisent à un besoin de prendre de nouvelles décisions, par une boucle de rétro-action.

Pour qu’une équipe Data fonctionne bien, il est crucial de reconnaître les responsabilités distinctes des managers et des CI. Cette division claire des responsabilités évite les chevauchements, qui génèrent de la confusion. Elle permet à chaque rôle de se concentrer sur ses fonctions principales, ce qui améliore la performance. Dans les équipes Data de BlaBlaCar, nous avons mis en œuvre les distinctions suivantes :

  • Les managers créent de la valeur en se concentrant sur les connexions. Au sein de l’équipe, il s’agit des connexions entre les personnes ; elles mettent les personnes en relation autour des projets ou des processus. Cela inclut les décisions relatives à l’allocation des membres de l’équipe aux projets, à la gestion de la performance, au développement de carrière et à la dynamique d’équipe. En dehors de l’équipe, les managers entretiennent des liens avec l’écosystème plus large de l’entreprise. Ils partagent de l’information, représentent leurs équipes ou gèrent les dépendances avec d’autres équipes.
  • Les CI créent de la valeur en s’appuyant sur leur expertise pour mettre en œuvre des solutions de haute qualité. Cela nécessite de prendre des décisions concernant la conception et la mise en œuvre de solutions, la réalisation d’analyses et la clarification des besoins des parties prenantes. Les CI sont comme des musiciens : ils pratiquent un art techniquement exigeant. Ils décident comment jouer leur rôle, en collaboration avec le reste de l’orchestre.
Les managers créent de la valeur en nourrissant les liens entre les équipes. Un contexte riche conduit à des équipes plus performantes. Elles ont plus d'information, qui leur permet de prendre de meilleures décisions.
Au sein de l'équipe, les managers se concentrent sur la mise en relation des membres de l’équipe. Les managers créent également de nouvelles connexions - par le biais de processus par exemple - pour faire réussir les CI.

Ces distinctions ne sont pas exhaustives. Construisez celles qui sont pertinentes pour votre équipe et faites-les évoluer au fil du temps. Cette répartition des responsabilités permet aux managers de fournir un leadership et un soutien efficaces, tandis que les CI peuvent se concentrer sur leur expertise technique et stimuler l'innovation. En définissant et en séparant clairement les responsabilités des managers et des CI, les organisations créent des équipes Data efficaces.

Déplacer la prise de décision technique vers les CI

Prendre de mauvaises décisions mène à l’échec ; alors, évitez-les ! Les CI possèdent généralement l’expertise technique la plus approfondie, ainsi qu’une expérience pratique. Cela les rend les mieux équipés pour décider des aspects techniques de leur travail. Par exemple, demandez aux Data Scientists et aux Data Engineers quelle architecture d’IA ils recommandent, plutôt que de l’acheter sur étagère, puis leur dire “vous n’avez plus qu’à l’utiliser”. Ne demandez pas aux managers de construire votre plateforme technologique. Demandez-leur plutôt de fixer des objectifs et contraintes que les solutions devront respecter. Ensuite, donnez aux CI l’autonomie nécessaire pour choisir les solutions en fonction de leur contexte, de leur expertise et de ces contraintes. Cela limite les mauvaises décisions et fait gagner du temps.

Dans les équipes Data de BlaBlaCar, nous avons mis en œuvre ce précepte par le biais de nos forums Data Stack Governance et Chapters. Nous avons copié les forums existants — qui fonctionnent bien — du département Engineering au sens large, dont font partie les équipes de données. Il y a par exemple le BlaBlaCar Architecture Team — nom de code BAT 🦇 — pour examiner les décisions d'architecture, le Backend Guild, la future Software Factory Guild, ...

Le passage de la prise de décision aux CI leur donne du pouvoir. C'est parce que dans une organisation, la prise de décision donne du pouvoir. L'autonomisation favorise une culture d'appropriation et de responsabilité. En donnant aux CI les moyens de prendre des décisions, les organisations réduisent les goulots d'étranglement, accélèrent la livraison et améliorent la qualité de leurs produits data. Le déplacement des responsabilités en matière de prise de décision technique aux CI aide également à développer leurs compétences en matière de leadership et de résolution de problèmes. Cela les prépare à des postes avec plus grandes responsabilités. En faisant confiance aux CI pour prendre ces décisions, les organisations favorisent une culture d'innovation et d'amélioration continue.

Créer des opportunités de croissance pour les CI

Pour fidéliser et responsabiliser les CI talentueux, les organisations doivent offrir des opportunités claires et exploitables. Il existe trois leviers puissants pour créer des opportunités pour les CI :

  • La mobilité interne permet aux CI d’expérimenter différents rôles et projets. Ils capitalisent sur leur expérience, tout en découvrant de nouveaux sujets. Rejoindre une nouvelle équipe permet le partager des connaissances ; cela donne aux managers plus de flexibilité en matière d’allocation des ressources, mais aussi pour la gestion de carrière, comme pour les promotions. En offrant ces opportunités, les organisations déclenchent un cercle vertueux : la réduction du nombre de départ signifie un effectif complet, qui est plus percutant, créant de nouvelles opportunités.
  • Les projets de Chapter permettent aux CI d'acquérir des responsabilités dans leur domaine de compétences. Un Chapter est un forum pour les personnes qui travaillent avec la même technologie. Dans les équipes Data de BlaBlaCar, nous avons quatre Chapters : Data Engineering, Data Analytics, Data Science et Data Back-End. C'est un excellent moyen de s'améliorer techniquement et d'avoir un impact transversal. Cela permet aux organisations de créer de nouvelles opportunités pour les CI, comme le rôle de responsable de Chapter. Les responsables de Chapter guident et encadrent d'autres CI dans leur domaine d'expertise, définissent des normes, identifient les compétences et représentent les intérêts du Chapter. En établissant ces rôles, les organisations favorisent un sentiment de communauté, fournissent un mentorat précieux et augmentent la satisfaction au travail et la performance de l'équipe.
  • L’échelle de carrière donne aux CI une perspective sur leurs responsabilités futures. Elle établit les attentes sur la façon de progresser. Dans les équipes data, nous avons constaté un changement de comportement significatif lorsque nous avons commencé à promouvoir les CI à des postes de senior. Cela a créé des modèles concrets à suivre. Un avantage supplémentaire de la construction d’une échelle de carrière : elle rend les évaluations de performance des managers plus objectives.
Les CI se développent en acquérant de l'expérience au sein de leur équipe, par le biais de projets de Chapter, et parfois en passant dans une autre équipe. Cette expérience accumulée les fait progresser au sein de l'échelle de carrière de leur rôle.

En investissant dans la mobilité interne et les responsabilités des Chapters, les organisations créent un environnement de travail dynamique et épanouissant pour les CI. Elles fidélisent les talents précieux et assurent leur succès à long terme.

Attention : les CI ne croient pas qu’aux promesses. Ils veulent de vraies opportunités ; les organisations doivent donc remplir leurs engagements. Mesurez le nombre de mouvements de transferts internes. Rapportez le temps consacré aux sujets du Chapter. Énumérez les décisions que les CI prennent par rapport aux managers. Ce sont des critères mesurant l'impact de votre stratégie de croissance pour les CI. Dernier point, sans doute le plus important : la politique de rémunération doit soutenir cette stratégie. Cela signifie que certains CI gagneront plus que leurs managers. Cela se produit dans nos équipes Data. Ne pas aligner la rémunération et les opportunités réduira vos efforts à neant !

Quelques chiffres sur les équipes Data de BlaBlaCar.

  • Depuis le deuxième trimestre 2023, nous avons eu plus de 10 % des CI qui ont changé d’équipe. Cela exclut les changements de ligne de management durant les réorganisations du département.
  • Nous avons 4 rôles de responsables de Chapter depuis 2022, avec 6 CI différents ayant été ou étant dans ce rôle.
  • Nous avons créé des postes de Senior et de Staff pour les CI, clarifiant les attentes et créant des modèles.
  • Au deuxième trimestre 2024, la répartition des CI dans le département est de : 26 % Junior, 45 % Confirmed, 21 % Senior, 2 % Staff. NB : ces chiffres ne somment pas à 100 %, car le niveau de certains postes ouverts est encore indéterminé.

Retourner à l’école

Les managers font des erreurs et ces erreurs sont coûteuses. C’est parce qu’elles ont un impact sur les employées, et qu’elles ne sont généralement pas réversibles. La formation des managers les aide à éviter ces erreurs. Décider quand commencer la formation au management est difficile : trop tôt, c’est très théorique ; trop tard, et les erreurs s’accumulent. Ma recommandation est de former les managers au bout de 6 mois en poste. Chez BlaBlaCar, tous les managers suivent le même programme de formation. Au-delà de cette formation initiale, je suis favorable à l’organisation de sessions d’amélioration continue. Au sein des équipes Data de BlaBlaCar, nous avons mis en place une session de co-développement d’une heure toutes les 6 semaines. Au cours de cette session, 5 à 6 personnes résolvent ensemble le problème d’un.e participant.e. Nous trouvons ce cadre très efficace, tant en termes d’amélioration continue que du renforcement de l’esprit d’équipe. Les managers des équipes Data font également partie d’un groupe plus large, le Engineering Management, qui se réunit mensuellement.

La formation est indispensable pour les nouveaux manager. Elle est également précieuse pour les managers en poste, contribuant à la construction d'une culture de management cohérente dans toute l'entreprise. La formation en management a un avantage secondaire : clarifier l’ensemble des compétences attendus des managers. Cela s'avère utile pour le développement de la carrière des CI, en clarifiant les facteurs clés du succès dans la voie managériale. Ces connaissances leur permettent de prendre des décisions plus éclairées lorsqu'ils envisagent de devenir manager. Vous trouverez ci-dessous trois compétences en gestion qui sont souvent négligées :

  • L’exemplarité, et le calme malgré le stress. Les managers veillent aux intérêts de leur équipe et de l’entreprise, même dans les moments difficiles.
  • La conscience de soi et la polyvalence dans les interactions. Les managers cultivent la conscience de soi pour compartimenter la forme du contenu. Ils doivent maîtriser l’écoute active et les différents canaux de communication.
  • Le courage. Les managers doivent avoir le courage de prendre des décisions difficiles et de les mettre en œuvre.

Sans être manager, il est facile de passer à côté de l'importance de ces compétences — et de la difficulté à les maîtriser. Elles sont comme le service public : vous n’en remarquez l’importance que lorsqu'il est défaillant. C'est l'une des raisons de les mettre en évidence ici.

Le management est plus qu'un titre. Vous devez apprendre à bien le faire. On ne naît pas manager, on le devient pas à pas.

Construire son équipe : louer ou acheter ?

Lorsqu’on agrandit — ou réduit — une équipe, les managers doivent anticiper les décisions qu’ils prendront dans deux ou trois ans. Cette perspective garantit que la gestion du personnel inclut les besoins et la croissance futurs, et pas seulement les besoins immédiats. Les décisions relatives à la gestion du personnel sont similaires à l’achat d’une maison : vous ne décidez pas d’acheter une maison avec un horizon des 6 prochains mois. Si vous ne pouvez pas vous projeter au-delà des 6 prochains mois, envisagez de louer…

Un exercice que je fais systématiquement lorsque nous ouvrons un poste dans l’équipe Data est de projeter à 2 ans la répartition des profils suivant notre échelle de carrière. Cela permet d’identifier où nous aurons des goulots d’étranglement, ou une concurrence pour les promotions. Je reviens ensuite à aujourd’hui. Cet exercice me permet de gérer les opportunités de croissance pour les CI. Il permet d’aborder les conversations difficiles en amont, ce que je trouve utile ; nous pouvons les anticiper. Par exemple, lorsque nous remplaçons des postes de Senior par des postes de Junior. Nous parions sur le fait que d’autres profils Confirmed évolueront vers des postes de Senior dans un horizon de 2 à 3 ans. Ce pari déclenche des discussions sur les responsabilités, le mentorat et la productivité. C’est également lors de ces discussions que nous lançons les mouvements de mobilité interne. En adoptant une approche proactive pour anticiper les défis futurs, les organisations se protègent contre les “ce qu’elles savent ignorer”.

“Vous prenez des décisions de gestion du personnel radicalement différentes en fonction du contexte de l’équipe. Une perspective de gestion sur 6 mois par rapport à 2 ans engendre des dynamiques et des équipes qui n’ont rien à voir.”

NB : une partie du contexte de gestion d’une équipe est sa taille. Elle limite les solutions : une équipe de 2 personnes a moins d'options qu'un département de 15 personnes. Savoir qu'une équipe de 2 personnes doublera de taille — ou diminuera d’autant — en 12 à 18 mois est cependant un facteur de décision important.

Pour conclure, je vous rappelle les trois éléments qui font la différence pour les équipes Data de BlaBlaCar. Premièrement, notre investissement dans la construction de carrières longues pour les IC. Nous avons clarifié leurs responsabilités et leur avons offert des opportunités de croissance. Deuxièmement, l’investissement dans la formation au management. Troisièmement, l’adoption d’une perspective à long terme pour la gestion du personnel, alignée sur la progression dans l’échelle de carrière de l’entreprise.

J’espère que ces trois conseils vous seront utiles !

--

--