Faut-il (vraiment vraiment) arrêter la viande ?

Nicolas Martin
Mon Oeil !
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16 min readJun 12, 2020

Le monde change. Douce manière de dire qu’il s’épuise. Ou du moins, s’épuisent, les fondements sur lesquels repose notre survie. Au premier rang desquels le climat et la biodiversité. Le climat d’abord. Avant-hier encore on parlait de +1.5°C à la fin du siècle, hier les accords de Paris visaient les +2°C, ce matin ces objectifs semblent déjà hors d’atteinte et l’on entend des +4°C, +5°C. Avec ces valeurs là, la vie humaine devient impossible sur une grande partie de la terre (jusqu’au sud de la France) et là où elle reste possible, elle est très précaire. La biodiversité également a largement pâti des activités d’homo sapiens. Le taux de disparition des espèces n’a jamais été aussi haut depuis l’extinction des dinosaures. Près de la moitié des espèces ont vu leur population décliner lors du siècle précédent et on estime que 70% déclineront dans le siècle à venir.
À l’origine de ces périls, il y a les activités humaines. Pas tant notre connerie, notre avidité ou notre cruauté. C’est un peu simpliste de dire qu’on est juste méchant. C’est plutôt notre héritage culturel et biologique transposé dans un monde à l’énergie très peu coûteuse. De cet héritage naît notre désir insatiable de croissance.
Aujourd’hui, notre responsabilité apparaît clairement et il est essentiel que nous en prenions conscience et changions radicalement notre comportement très rapidement pour ne pas (trop) subir les tourments promis par un monde qui s’épuise. Et parmi ces changements nécessaires, cet article traite de la pertinence et de la légitimité de la consommation de viande¹ comme j’avais pu le faire il y a quelques temps avec l’utilisation de l’avion.

Une introduction un peu longue, mais que je crois nécessaire tant il est commun de moquer la question posée dans le titre d’un revers d’ignorance. Au vu de ces éléments sur l’état du monde, il n’est pas possible de répondre par une négation précipitée et définitive. Nous le verrons il n’est pas non plus immédiat de répondre par l’affirmative.

La question de la consommation de la viande divise la population souvent parce que les partisans et les opposants considèrent la question sous des aspects différents. On se retrouve alors à opposer des questions économiques à des enjeux écologiques, des problèmes de santé à des enjeux éthiques. Le but de cet article n’est pas tant d’apporter une réponse définitive au problème mais plus de montrer l’importance du caractère multifactoriel de cette question et ainsi d’apporter un cadre raisonnable à la réflexion et au débat. Dans une dernière partie je donne mon interprétation personnelle dans ce cadre mais j’invite chacun à y réfléchir personnellement.

Dans un précédent article, je questionnais s’il fallait (vraiment vraiment) arrêter l’avion. J’avais fait le choix de traiter la question essentiellement d’un point de vue de l’empreinte carbone. Il est cependant essentiel d’étudier les différents aspects du problème pour prendre une décision éclairée sur le sujet. Plus encore que l’avion, le sujet de la consommation de viande est idéal pour mettre en évidence l’importance des multiples facettes d’un sujet puisque celui-ci implique des champs très variés parmi lesquels la santé, l’écologie, l’économie, l’éthologie, la biologie, l’anthropologie, la physique, la philosophie, la gastronomie, …
Comme expliqué dans un précédent article, il est naturel que chacun, en fonction de son environnement propre, soit plus exposé et sensible à une facette du problème. Le but de cet article est donc de montrer la palette et la complexité des différents aspects, de faire un état bref de ce que chaque champ peut dire et de comprendre leurs interactions. Rien que ça.

Les différents aspects du problèmes

Pour éviter de se perdre dans le fil du développement, je propose de commencer par présenter une synthèse des différents aspects du problème que l’on va ensuite évoquer. J’ai considéré ici 13 aspects différents qui semblent essentiels mais la liste n’est pas exhaustive². Dans la colonne de droite est précisé l’impact de la consommation de viande pour chacun des aspects.

Conséquences positives et négatives de la consommation de viande sur différents aspects.

Chacun de ces points est développé rapidement ci-dessous mais il semble que pour l’essentiel tout le monde s’accorde sur l’impact positif/négatif de chacun de ces aspects. C’est davantage dans la hiérarchisation de ces aspects que les avis divergent.

Émission CO2

Le secteur de la production de viande est responsable de 15% des emissions de gaz à effet de serre ce qui en fait l’un des secteurs les plus polluants. Ces emissions viennent de la production de la nourriture des bêtes, de la fermentation entérique (aussi appelée “rots de vaches”), du traitement du fumier et enfin du transport et du stockage de la viande.
Notons toutefois que toutes les viandes ne se valent pas. Dans l’ordre on a le bœuf/veau (28kg de C02 pour un 1kg de viande), le poisson (8kg Co2), le porc (6kg CO2) puis le poulet (4kg CO2)³. Notons que le fait que la viande soit locale a un impact très limité sur la quantité de CO2, le transport ne représentant que quelques pourcents de l’impact.
À l’heure actuelle, un français moyen dépense 5,5kg de CO2 par jour pour la nourriture. Selon l’objectif des accords de Paris et les recommandations de Carbone 4, il faudrait atteindre 1,65kg de CO2 par jour. Un morceau de poulet de 200 grammes représentant 0,8kg de CO2, il semble compliqué d’en consommer tous les jours. Mais d’un point de vue seulement émission CO2, il n’est pas nécessaire d’arrêter totalement la viande, il suffit de bien réduire sa consommation. Il faut également bien faire attention à ce par quoi on remplace la viande. Un régime végétarien peut tout aussi bien avoir une très mauvaise empreinte carbone⁴.
Pour vous rendre compte de votre empreinte carbone, des outils en lignes permettent de la calculer en quelques minutes.

Déforestation

L’élevage d’animaux demande beaucoup de surface. Aujourd’hui, on estime que 70% des terres agricoles sont utilisées soit pour le pâturage du bétail, soit pour la production de céréales destinées à les nourrir. La demande augmentant il faut trouver de plus en plus de terres et c’est dans les forêts qu’on la trouve : 91 % des terres « récupérées » dans la forêt amazonienne servent à l’industrie de la viande. Sachant que la perte de l’habitat est la première raison de l’effondrement catastrophique de la biodiversité, la consommation de viande est directement liée au déclin des espèces animales et végétales.

Condition animale

Les témoignages de ce qui se passe dans les abattoirs fleurissent depuis quelques années (notamment via l’association L214), et c’est pour le moins pas très joli à voir.
Au delà de leur condition d’execution, la vie entière des animaux est assez terrible, 80% des poulets et 95% des cochons sont élevés en batterie dans des conditions assez atroces, mêlant souffrances, maladies, stress, morts prématurées, … Pendant longtemps on a considéré que les animaux étaient dépourvus de conscience et/ou de sensibilités ce qu’infirme largement aujourd’hui l’éthologie (science du comportement animal).
L’approche morale de l’utilitarisme (que j’évoquais ici) propose de choisir la solution qui maximise le bonheur total et donc de prendre également en compte la sensibilité des animaux. Selon cette approche donc, les conditions d’élevage devraient avoir un poids moral considérable dans nos choix d’alimentation.
Il peut sembler peu judicieux de donner la même importance à une vie humaine et à une vie animale. Considérons, par exemple, que la mort d’un animal est 1000 fois moins importante que celle d’un être humain. Cette considération peut paraître choquante mais c’est pour l’expérience de pensée.
La mort chaque année de 100 milliards d’animaux pour notre consommation représenterait alors 100 millions d’êtres humains tués par an. Environ deux guerres mondiales chaque année. Cet argument est inspiré de celui du philosophe Michael Huemer présenté dans cette vidéo. Et si le chiffre de 1000 fois moins importante vous parait trop élevé, prenez 10 000 ou 1 000 000, le résultat reste assez impressionnant. Un des problèmes de cet argument est qu’il considère tous les animaux comme identique, mais j’en reparle plus loin.

Spécisme

Le spécisme est le fait de considérer que les espèces vivantes ne se valent pas et que l’espèce humaine est supérieure aux autres. Cela peut sembler assez proche de l’aspect précédent mais il me semble que cela va un peu plus loin.
Imaginons que les conditions dans lesquelles est produite la viande soient parfaitement éthiques, que la vie des animaux soit la plus heureuse possible et leur mort la plus douce qu’il soit. Il n’y aurait donc plus de problème à consommer de la viande d’un point de vue de la condition animale. Il reste que considérer l’être humain comme légitime pour exploiter d’autres espèces pour sa propre consommation pose un problème éthique. Certes, un grand nombre d’espèce consomme d’autres animaux et le fait qu’on le fasse peut paraître naturel. À ceci on peut opposer deux arguments :
1. La production industrielle d’animaux, considérés comme une matière première, n’est pas vraiment comparable à la chasse à laquelle s’adonne les animaux pour leur survie.
2. Ce qui est naturel n’est pas forcément bon ou souhaitable. Les viols, les maladies, les famines, les meurtres (même les guerres) et les morts atroces existent dans la nature. On essaie quand même de les éviter.

Plaisir

Pour la plupart d’entre nous manger de la viande apporte un vrai plaisir. D’un point de vue gustatif d’une part mais également pour l’aspect social. On associe parfois la consommation de viande à un moment de partage voire festif. De ce point de vue là, la consommation de viande nous est clairement bénéfique. Cet aspect peu sembler assez dérisoire énoncé ainsi, mais il me semble que c’est un des arguments les plus importants pour la consommation de viande. Notamment parce que c’est une récompense immédiate et extrêmement perceptible là où les conditions d’élevage et les problèmes environnementaux sont beaucoup plus loin physiquement et/ou psychologiquement.

Apport nutritif

Un régime végétarien comme tout autre régime alimentaire peut, s’il n’est pas bien mené, provoquer certaines carences. Cependant d’un point de vue nutritif, un régime végétarien (ou végétalien) peut tout autant qu’un régime carné remplir les besoins nutritifs, à l’exception de la vitamine B12. Cependant il est assez simple de combler cette carence grâce à des compléments alimentaires. Il est faux en revanche de penser qu’un régime carné préserve de toutes carences. Sans apporter une certaine attention à votre alimentation il est possible que vous ayez des carences (probablement mineure) pour certains nutriments.

Risques de maladies

Un régime végétarien serait bénéfique pour la réduction de certaines maladies telles que des pathologies cardio-vasculaires, certains cancers, le diabète et l’obésité. De plus un tel régime prolongerait l’espérance de vie de 6 à 10 ans. Il faut cependant être critique envers ces prétentions : un régime végétarien s’accompagne souvent d’une meilleure hygiène de vie et d’un niveau de vie plus aisé qui peuvent être à l’origine d’une meilleure santé.
D’autre part certaines études tendent à réhabiliter les régimes carnés et à condamner le régime végétarien.
Enfin, si la consommation excessive de certaines viandes (rouges et transformées) augmente vraisemblablement les risques de cancer, ce n’est pas le cas de la viande blanche ou du poisson. Sans distinguer plus précisément les viandes et les maladies et en considérant des régimes alimentaires correctement menés, il me semble plus prudent de considérer comme neutre l’effet de la viande sur ce point.

Pouvoir d’achat

La viande ça coûte cher. Mais la nourriture végétarienne est aussi connue pour avoir son lot de produit relativement cher.

Résultat de l’étude “Etude comparative sur les budgets alimentaires selon divers régimes” mené à Lausanne en 2017

Pour trancher, je me suis appuyé sur une étude menée en Suisse sur le prix à l’année de différents régimes présentée ci-contre. Il apparaît qu’un régime sans produit d’origine animale coûte bien moins cher.
Il est cependant possible que les habitudes alimentaires et le prix des produits soient sensiblement différents en Suisse et que les résultats soient différents en France. Sans davantage d’information je considère tout de même qu’un régime carné a une influence négative sur le pouvoir d’achat.

Filière viande

En France c’est environ 400 000 emplois⁵ qui dépendent de la filière viande. En ajoutant les familles des employés de la filière, c’est autour d’un million de personnes en France qui dépendent plus ou moins directement de la production de viande. Soit environ 1.5% de la population française. En transposant ces chiffres à l’échelle mondiale, c’est, “à la louche”, 115 millions de personnes concernées.
De ce point de vue là, l’abandon de la consommation de viande est une catastrophe économique. Sans être accompagné, un grand nombre de personnes se retrouverait sans emploi et/ou dans des situations précaires. Réorienter les emplois de la viande vers d’autres métiers de l’agriculture pourrait être une solution. Cependant cette solution n’est ni simple, ni souhaitée par la plupart des professionnels qui sont attachés à leur métier.

Culture et social

Dans de nombreuses régions du monde et notamment en France, il y a une vraie tradition de la consommation de viande. Comme dit précédemment, la consommation de viande accompagne souvent un moment de partage ou une célébration. Elle est un symbole de richesse voire de pouvoir.
Il faut tout de même être conscient que l’on mange aujourd’hui beaucoup plus de viande que n’en mangeait nos grand-parents comme le montre l’image ci-dessous.

Évolution de la consommation de viande par habitant en France depuis deux siècles.
Source : Les Greniers d’Abondance, d’après, pour les années 1800 à 1964, Toutaint J-C (1971) et pour les années 1970 à 2018, FranceAgrimer (2018)

D’un point de vue social, on construit souvent notre régime alimentaire en imitant nos semblables et avant tout nos parents. La consommation de viande fait souvent partie de notre environnement social et des règles implicites qui le gouvernent (l’habitus de Bourdieu). Parvenir à s’en détacher peut-être très difficile quand cette consommation est omniprésente chez nos amis et notre famille. De même, d’un point de vue plutôt psychologique, il est très coûteux d’admettre que notre comportement est problématique et de décider de le changer. C’est ce qu’on appelle la dissonance cognitive.
Enfin, au delà de notre entourage et notre propre cognition c’est la société entière qui favorise la consommation de viande : télévision, pub, restaurant, cantine, …

Gastronomie

La viande représente dans de nombreuses régions la base de la gastronomie et de tradition culinaire. Abandonner la consommation de viande serait en ce sens une perte d’identité culturelle. De plus, par habitude, beaucoup n’ont appris à cuisiner qu’avec de la viande et découvrir de nouvelles recettes demande des efforts et du temps.

Qui-est-ce qui a le plus gros argument ?

Nous avons fini notre tour (presque) complet des arguments pour et contre la consommation de viande. Le but de cet inventaire était double : d’une part se faire une opinion éclairée sur la question, d’autre part connaitre et mieux comprendre les arguments de la partie adverse pour débattre de manière plus efficace et bienveillante.
Il est désormais possible de donner un poids relatif à chacun de ces aspects pour prendre une décision. Je vais présenter deux positions qui me semblent assez soutenables et qui ont été les miennes ces dernières années.

Réduire drastiquement la consommation de viande

On peut s’amuser à présenter le poids relatif de chaque aspect sous forme d’un schéma. Evidemment ça reste très imagé, et le poids de chaque élément peut varier en fonction des différents types de viandes entre autre.

Voilà où j’en étais récemment. J’accordais peu de poids à la question animale alors que le goût et le partage gardaient une importance particulière. Ainsi réduire de manière importante ma consommation et privilégier des produits locaux et de bonne qualité paraissaient suffisant.
De plus avec ce mode de consommation, l’aspect plaisir est maintenu voire intensifié puisque en mangeant plus rarement de la viande de meilleure qualité on savoure d’autant plus. De même en privilégiant de la viande locale on sauvegarde la filière viande française⁶. La solution parfaite donc ?

Arrêter la viande

Récemment, cependant les questions écologiques et éthiques ont pris plus d’importance pour moi. Les arguments et témoignages sur les conditions animales mais aussi sur leur capacité à ressentir la souffrance m’ont incité à inclure plus considérablement le bien-être animal dans mon calcul.

L’exploitation d’animaux doués de sentience dans des conditions assez atroces aura eu raison de mon plaisir gustatif et de l’esprit convivial de la consommation de viandes.
Les ordres de grandeur de la catastrophe écologique comme de l’exploitation animale sont, je crois, bien trop important par rapport aux autres aspects.

Éléments de réflexions

Un brin catégorique ?

Si cette conclusion semble assez catégorique ma position réelle ne l’est pas tant. D’une part je reste ouvert à ce que mes convictions évoluent et que la balance fluctue, d’autre part utiliser une même balance pour toutes les consommations de viandes n’est pas très pertinent. L’impact sur l’environnement, la santé et sur le plaisir gustatif peut varier sensiblement entre les espèces. De plus, il me semble que tous les animaux n’ont pas le même niveau de conscience et de sensibilité. D’un point de vue physique comme psychique la souffrance engendrée par la mort d’un cochon par exemple est très supérieure à celle engendrée par la mort d’une moule. Il y a, je crois, un continuum dans la sentience des animaux qui rend la consommation de certaines espèces moins problématique.

Lutter contre les “packages d’idées”

Il arrive parfois qu’on se retrouve à défendre une idée pas parce qu’on y a réfléchi et qu’on est convaincu mais parce qu’elle est liée idéologiquement à une autre idée à laquelle on tient. C’est ce que j’appelle les packages d’idées. Dans le cas ici ce serait, par exemple, de défendre qu’un régime carné est dangereux pour la santé parce qu’on est sensible à la cause animale. Ou à l’inverse défendre que les régimes végétariens sont nuisibles à l’environnement parce l’on veut préserver la tradition carnée française comme le fait (avec un brin de mauvaise foi) cet article.
Être humble face à son ignorance et reconnaître objectivement les arguments opposés semble essentiel pour réfléchir et débattre sainement.

Par quoi remplacer la viande ?

Arrêter la viande est très loin d’être une fin en soi. Il est tout à fait possible d’avoir un régime végétarien (pâtes au ketchup midi et soir) qui ne soit ni bon pour l’écologie, ni pour la santé, ni pour l’éthique, ni pour l’économie.
La réponse à cette question est complexe et dépasse largement mes compétences. Consommer local est un premier pas, mais c’est loin d’être une panacée. D’un côté, pour la planète ce n’est pas forcément la meilleure idée, d’un autre ça favorise une économie locale plus résiliente.
Ré-apprendre à s’alimenter est une tâche longue et qui demande des efforts. Le blog Dur à avaler apporte quelques pistes critiques sur notre alimentation.

“Je suis d’accord mais j’y arrive pas”

Votre comportement ne colle pas avec vos convictions ? Vous êtes frappé d’acrasie (du latin acrasia qui signifie acrasie) et nous en sommes tous très régulièrement les victimes.
Alors évidemment donner le nom de cet effet ne suffit pas à le faire disparaître mais cela permet déjà de cristalliser ce concept et d’en être plus conscient.
Ses causes sont multiples. L’une d’entre elle, j’en parlais dans le paragraphe ‘plaisir’, c’est la différence entre un bénéfice concret, immédiat, perceptible et un risque flou, lointain et incertain. Même si l’on a conscience que le risque est plus grand que le bénéfice, la proximité avec ce dernier peut biaiser notre jugement. Pour lutter contre cela, je crois que rendre le risque plus visible est très efficace. C’est ce que fait par exemple l’association L214 de manière assez explicite, ou plus modestement l’article que vous êtes en train de lire.
Une autre cause de l’acrasie c’est le sentiment que notre seul rôle ne changera pas grand chose au problème. Et c’est tout à fait vrai. Votre changement d’alimentation aura un impact négligeable sur le problème. Mais plus que l’action en soi, c’est l’image que vous renvoyez à votre entourage qui peut changer quelque chose. J’en parle notamment dans cet article sur la transmission des idées dans une population.

Une question de choix

En arrivant à la fin de cet article, je me rends compte que je l’ai écrit d’un point de vue d’une personne vivant dans une relative richesse dans un pays occidental au XXIè siècle. J’ai le choix de me poser la question de ma consommation de viande.
Il y a autour du monde bien d’autres réalités où une énorme case “survie” apparaîtrait sur la balance du côté de la consommation de viande. Je m’abstiens vivement de considérer cet article comme universel et intemporel.
Mais j’estime que la plupart de mes lecteurs sont dans les mêmes conditions que moi et ont aussi la possibilité de changer de régime alimentaire.

On en discute ?

Comme dit précédemment, l’intérêt de cet article est de favoriser un cadre à la réflexion et à la discussion. Je suis tout à fait ouvert à faire évoluer mes idées sur la question (reconnaître mes erreurs et changer d’avis ne me fait plus peur, au contraire !)
On peut discuter :

  1. De la pertinence de chaque argument. C’est ce qui révèle de la science (au sens large du terme) : écologie, biologie, physique, éthologie, philosophie, histoire, … cela permet d’établir ce qui est.
  2. Du poids de chaque argument. C’est ce qui révèle plutôt d’un choix politique (au sens large du terme encore une fois). Cela permet d’établir ce qui doit être.
  3. Éventuellement remettre en cause la méthodologie et le cadre de réflexion. C’est une démarche un peu plus méta, dans le sens où elle se place au dessus de la réflexion.

Prendre soin de séparer les points 1 et 2 semble primordial, c’est ce qu’on appelle en philosophie des sciences la guillotine de Hume. Cela permet d’éviter certains pièges de raisonnement.

Notes

¹ J’ai décidé de parler ici de la consommation de viande, mais j’aurais pu être plus large en parlant de la consommation de tout produit d’origine animale ou plus restreint en me concentrant par exemple sur la viande bovine. Ce niveau de détail permet de traiter le problème de manière concise mais a le désavantage de regrouper dans une même catégorie des réalités assez différentes (le client macdo, le chasseur de lapin et le pêcheur de moule). J’essaie cependant d’apporter de la nuance sur ces différences. Quoiqu’il en soit la démarche et le cadre de réflexion que je propose ici peuvent aisément être réutilisés pour une viande en particulier comme pour la consommation de produits animaux en général.

² On aurait pu ajouter par exemple, pour les impacts négatifs de la viande, la consommation d’eau pour la production, la transmission de maladie (zoonose) due à l’élevage intensif, la resistance aux antibiotiques renforcée par l’élevage ou, pour le cas du poisson, les dangers de la surpêche et l’état préoccupant des stocks. Pour les impacts positifs, la disparition des espèces d’élevage si on arrêtait de consommer de la viande ou encore l’entretien des espaces naturels grâce aux animaux en pâturage. Ce qui donnerait le tableau complémentaire ci-dessous.

Quelques autres aspects de la consommation de viande.

³ Les chiffres varient sensiblement suivant les sources, mais l’ordre est toujours relativement identique. Les chiffres que j’utilise ici proviennent de l’ADEME.

⁴ Certains fruits exotiques qui viennent du bout du monde en avion, comme l’avocat, sont tout à fait délétères à beaucoup de points de vue. En revanche, d’autres fruits comme la banane, bien qu’ils viennent du bout du monde ont une empreinte carbone très faible (notamment parce qu’il voyage en bateau, demande très peu de terre et d’eau). Mangez des bananes. C’est bien.

⁵ Les chiffres varient entre 100 000 et 700 000 et dépendent de la manière dont on fait les comptes. J’ai choisi un chiffre au milieu de la fourchette.

⁶ Cela dit en passant, relocaliser notre consommation de viande et ainsi sauver la filière française, ne reviendrait-il pas à nuire aux centaines de milliers de personnes à l’étranger qui produisent la viande importée ? Rien n’est simple…

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