Les mesures égalitaires sont injustes

Nicolas Martin
Mon Oeil !
Published in
6 min readNov 2, 2020

À l’heure des mesures prises pour enrayer la propagation du·de la¹ COVID-19, un sentiment d’injustice parcoure le cœur et l’esprit des Français. Pourquoi des décisions censées satisfaire chacun finissent par décevoir tout le monde ?

Parce que des mesures identiques pour tou·te·s ne collent à la réalité de personne.

Cette phrase résume ce que cet article a à dire. Le reste, presque facultatif, n’est qu’illustrations et discussions autour de cette idée.

L’égalité est injuste en cela qu’elle est aveugle aux différences des situations sur lesquelles elle s’exerce. Paradoxalement c’est la statue de Thémis, symbole de la justice, qui illustre le mieux cette injustice.

Exemple d’actualité

Considérons trois personnes : Alice, Bob et Charlie qui s’apprêtent à être confiné suivant les dernières mesures du gouvernement.

  • Alice vit dans la campagne, elle a l’habitude de partir pour de longues promenades pour son plus grand plaisir. Elle ne croise presque personne et le fait de pratiquer cette activité physique entretien sa santé mentale et son système immunitaire, ce qui aurait tendance à la prémunir du virus.
  • Bob vit en centre-ville, il a l’habitude de voir ses amis en ville pour flâner, se balader, se poser dans un parc. Vue sa position géographique, il peut rencontrer beaucoup de ses amis en quelques hectomètres. Ces rencontres sont des vecteurs privilégiés pour la propagation du virus.
  • Charlie vit un peu comme un ermite. Il reste essentiellement chez lui à dévorer des livres et il a tout juste entendu parler de l’épidémie de coronavirus. Tout les 15 jours, il marche pour rendre visite à son vieil oncle à trois kilomètres de chez lui. Il est très peu probable qu’il soit touché par le coronavirus et ce contact social bénéficie aux deux hommes.

La mesure annoncée par le gouvernement impose des sorties (hors nécessité) autour de chez soi limitées à 1km.
Le graphique ci-dessous résume la situation :

Mesure égalitaire. Dans cet exemple, Bob a un comportement risqué, il rencontre ses amis juste à côté de chez lui. Alice profite de la campagne pour se promener : seule, elle n’a aucun risque de contamination et au contraire fortifie sa santé mentale et physique. Enfin Charlie sort uniquement de chez lui pour rencontrer son oncle toutes les deux semaines.

On voit bien que dans ce cas-là, la mesure du gouvernement autorise des comportements à risque et interdit des gouvernements bénéfiques. Evidemment, les cas sont assez caricaturaux et nous verrons plus loin une situation plus réaliste.

Ainsi prendre une décision égalitaire revient à tracer une barre horizontale, alors que prendre une décision juste reviendrait à tracer une barre verticale ! Dans ce deuxième cas, les comportement bénéfiques seraient autorisés et les comportement à risques seraient interdits !

Mais ne nous n’y méprenons pas, je ne suis pas en train de défendre la justice contre l’égalité. Ce n’est pas si simple.

Discussion

Comme dans l’exemple précédent, on peut présenter de nombreux cas similaires sur un graphique : le premier axe représente la balance bénéfice/risque, le deuxième axe représente la grandeur sur laquelle le gouvernement légifère que l’on appellera “variable de décision”².
La détermination de la variable de décision découpe l’espace en quatre zones. Deux de ces zones sont injustes : des situations bénéfiques sont interdites ou des situations à risque sont autorisées. Les deux autres sont justes : les situations bénéfiques sont autorisées et les situations à risques sont interdites.

Le but du pouvoir législatif est donc de trouver une juste mesure. Reprenons l’exemple précédent avec une représentation plus réaliste des différentes situations :

Exemple de situations réalistes : les déplacements longs sont plutôt risqués, les déplacements courts plutôt bénéfiques. La détermination de la variable de décision permet surtout d’éviter la plupart des comportements à risque. Mais ce choix prudent condamne de nombreux comportements bénéfiques…

La plupart des déplacements lointains sont à risque et la plupart des déplacements courts sont bénéfiques.
Pour placer une limite, il y aurait alors plusieurs solutions : le principe de précaution qui exclut tout comportement à risque (dans ce cas là, la limite de kilomètres devrait descendre à environ 0,5km), minimiser le nombre de cas injuste donc le nombre de bulle dans les quadrants Sud-Ouest et Nord-Est, …

Un des problèmes est donc de déterminer la valeur pour la variable de la décision, mais avant cela il s’agit de trouver une variable de décision qui soit pertinente. Par exemple, légiférer sur la hauteur minimum des chaussettes pour sortir de chez soi ne semble pas discriminer efficacement les situations bénéfiques et à risque.

Evidemment, cette représentation n’est qu’un modèle³.
Elle n’est pas applicable en réalité : le détail des situations n’est pas connu, la balance bénéfice/risque a probablement plusieurs dimensions (santé, bonheur, richesse, …), d’autres facteurs sont à prendre en compte (coût de la mesure, applicabilité, acceptabilité, …)

Vers des règles inégales et juste ?

Peut-on imaginer des règles qui se débarrasserait du principe aveugle d’égalité pour embrasser plus près les situations individuelles ?

Le problème évidemment, c’est qu’il est beaucoup plus subjectif et difficile d’évaluer la balance bénéfice/risque de chaque situation. Il semble donc vain de vouloir contrôler la légitimité de chaque comportement.

On pourrait en revanche faire confiance aux individus en leur permettant d’agir selon leur propre chef en fonction de ce qui leur parait bénéfique. Le graphique suivant représente cette situation :

Pour reprendre l’exemple, cela reviendrait à promulguer une loi autorisant toutes sorties paraissant légitimes aux yeux des individus.

Cela semble être un modèle de société enviable, mais il est clair que cela implique que les individus soient suffisamment formés aux questions médicales, épidémiologiques, sociales, psychologiques, économiques, … pour prendre une décision éclairée.
Utopique, peut-être, mais il semble que la voie de l’éduction permette d’éviter de répondre au dilemme infertile entre liberté et sécurité.

Sans aller jusqu’à une responsabilisation totale des individus, il est possible de laisser dans la loi une certaine autonomie aux individus pour juger par eux même de la légitimité de leur comportement :

Dans un tel cas, certains comportements sont clairement interdits, d’autre clairement autorisés et entre les deux subsiste une région de flou. Si les individus se comportent raisonnablement dans cette zone (en évitant les comportements à risque) cela réduit la proportion de situations injustes.

Il me semble que ce type de mesures devrait être encouragé. C’est d’ailleurs ce qu’à voulu faire, semble-t-il, le gouvernement lors du premier confinement quand il autorisait l’activité physique dans une mesure raisonnable⁴ avant de devoir donner plus de détails puisque cette ambiguïté leur avait été reprochée. Dommage...
Et des règles précises sont davantage contraignantes puisqu’elles prennent davantage en compte les cas les plus critiques.

Ainsi, les ruraux de toute la France se trouvent cloitré dans un cercle d’un rayon d’un kilomètre parce qu’ils sont dans la même sphère législative que des urbains pour lesquelles cette distance est pertinente.
Ainsi l’on taille, ici, les ailes d’un oiseaux parce qu’un autre vole trop haut, là-bas.

Une question de taille

Si des lois égales pour tou.te.s paraissent indispensables à la vie en communauté, elles le sont surtout pour des grandes communautés.

Plus le nombre d’individu est grand, plus il est difficile de baser les règles de vie sur la confiance, plus il est difficile que les normes sociales garantissent les comportements altruistes, plus il est probable que des tricheurs sociaux profitent d’un flou législatif…

Mais au sein, d’une famille ou de communauté réduite il est plus simple de s’abstenir de règle égalitaire (quand cela est intéressant) et traiter les situations isolément.

Notes

¹ Je veux pas de problème ni avec la norme, ni avec l’usage.

² Dans notre cas cette variable est quantitative (c’est une distance) et c’est le cas dans d’autres réglementation : l’âge légal de mariage, le taux d’alcoolémie maximum sur la voie publique, la vitesse maximum au volant, les seuils d’impositions, les tailles minimales de poissons pêchés, …
Mais cette variable pourrait aussi être catégorielle : les commerces autorisés pendant le confinement, les substances interdites dans l’industrie agroalimentaire, les véhicules autorisés sur la voie publique, ….

³ Et évidemment, “Tout les modèles sont faux, mais certains sont utiles” (Georges Box)

⁴ Je ne suis pas certains que ce soit ces termes qui aient été employés mais c’était bien l’idée.

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