Budapest : la ville qui m’a trompé.

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
4 min readMar 6, 2016

« Budapest is a prime site for dreams: the East’s exuberant vision of the West, the West’s uneasy hallucination of the East. It is a dreamed-up city; a city almost completely faked; a city invented out of other cities, out of Paris by way of Vienna — the imitation, as Claudio Magris has it, of an imitation. »

John Harrison

Il y a deux ans, au terme d’un mois de backpacking en Europe, Midorie et moi mettions les pieds à Budapest en Hongrie. On s’y rendait principalement pour « boucler la boucle » de notre voyage et pour y prendre l’avion en direction de la Belgique où on allait séjourner pendant trois mois.

Après s’être promené un peu au centre-ville à la recherche de notre lieu de résidence temporaire, on débouche sur un appartement au dernier étage d’un immeuble centenaire. Converti en auberge de jeunesse, ce coquet petit appart n’aura que deux résidents pour la durée de notre séjour… Midorie et moi.

Une cuisine tout équipée, une douche propre, un salon lumineux et… UN LECTEUR DVD. Pour le cinéphile que je suis, c’était le rêve. En vérité, Budapest, c’était le rêve. Des rues propres, de grands monuments, une architecture digne des plus grandes villes du monde et un coût de la vie ridiculement bas pour deux Canadiens. Le rêve, le rêve, le rêve.

Le rêve ? Pas vraiment. Parce que Budapest m’a trompé.

La lune de miel

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Drapeau Hongrois au Parlement — Budapest — Félix-Antoine Huard[/caption]

Je me souviens encore de me promener dans les immenses rues pavées de la capitale hongroise et de dire à Midorie à quel point j’étais surpris de la propreté des lieux. Pas que les mégots et les poubelles qui débordent m’horripilent à ce point, mais c’est qu’en comparaison des autres grandes villes que l’on avait visitées, Budapest était de loin la plus propre. Puis, étrangement, elle l’était aussi sur le plan social. Peu de graffitis, aucun mendiant, pas de chiens errants, de belles boutiques aux grandes vitrines et des artères commerciales à faire rougir notre Sainte-Catherine métropolitaine.

Pendant notre court séjour, on a enfilé les promenades-photos pour admirer les grands monuments, dont le fameux parlement hongrois. On a accumulé les bons moments et quelques bouteilles vides, bref, on a profité de la vie des gens pas riches et pas célèbres dans notre auberge privée.

Si bien qu’au moment de décoller, j’ai eu un petit regret de ne pas pouvoir rester plus longtemps.

Si bien qu’au moment de revenir au Québec et dans les années qui suivirent, je conservais et partageais mon souvenir de Budapest avec joie, volupté et grande envolée lyrique pour décrire une petite perle d’Europe de l’Est qui supplantait Paris.

Puis un jour, comme Diam’s et Vita, j’ai appris que Budapest s’était joué de moi, puis qu’en tant que néophyte voyageur, j’étais tombé dans le piège.

La poudre aux yeux

Je discutais autour d’une pinte avec d’autres backpackers de nos précédents voyages quand Budapest est venue sur le sujet :

Moi : “I loved it ! It’s a gorgeous city with beautiful buildings and a really nice vibe. Also, I was amazed at how clean Budapest was.” (oui, en anglais. Parce que les Australiens, Brits et Américains ne savent pas parler français, alors nous, en bon bilingues, on s’adapte.)

*silence*

J’repasse ma phrase dans ma tête, parce que mon accent du Québec crée parfois des malentendus. Non, tout allait bien, pas de vilain « H » aspiré, pas trop d’erreurs grammaticales.

Puis, un Australien brise le long silence :

Aussie : « Yeah, well. They’ve “cleaned” the streets a few years ago… »

Visiblement gêné, il redirige la conversation vers d’autres grandes villes. Ça m’a mis la puce à l’oreille. Puis j’ai fouillé sur Internet.

En effet, ils ont nettoyé les rues et construit des monuments grandioses. Mais ils ne l’ont pas fait pour exprimer leur culture. Peut-être un peu, mais les hongrois ont surtout modelé Budapest sur le plan des grandes capitales de ce monde. Puis aujourd’hui, café et clavier à la main, plus j’y repense et plus je me désole.

Oui, c’était beau comme Paris et Vienne… Voire même aussi beau que Paris et Vienne. À bien y pense, c’était comme Paris et Vienne, tout simplement.

Une ville plastique calquée sur les autres métropoles pour attirer touristes occidentaux et investisseurs. On y a nettoyé les rues en effaçant les graffitis, en ramassant les déchets et en chassant les itinérants.

Combien d’autres villes se sont ainsi dénaturées pour m’attirer chez elles ? Combien de fois me suis-je émerveillé devant un monument à l’architecture planifiée, calculée, pour en faire une pâle imitation des autres métropoles ?

Combien de fois ai-je visité des “Budapest” ? Ces villes appartenant désormais davantage à la monoculture des grandes villes.

La vérité est triste : je n’en ai aucune idée.

Je ne posais pas assez de questions, ne remettais pas les choses en cause et ne lisais pas assez de livres d’histoires.

Est-ce si grave ? J’en sais toujours rien.

Par contre, je sais que je garde toujours un aussi beau souvenir de Budapest, mais qu’il est maintenant teinté d’un petit pincement au coeur. Comme ce souvenir de ce bel homme ou de cette belle femme que vous avez rencontré dans un bar un soir, dont le souvenir fut altéré en voyant ces photos sur Facebook sans maquillage ni “V-Neck” le lendemain matin.

Je me suis fait tromper par une capitale, et tristement, j’ai aimé ça.

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