Deuxième lettre à ma blonde qui est partie en Afrique

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
3 min readMay 6, 2016

Quand j’ai laissé ta main quitter la mienne, j’savais pas à quoi m’attendre. On s’était créé des centaines de scénarios et on avait réfléchi à toutes les maladies possibles que tu pourrais attraper en vue de t’acheter des médicaments en conséquence. Pourtant, t’avais beau tout avoir dans ta valise pour affronter l’Afrique, moi, ici, laissé derrière, avec quoi j’allais me défendre ?

Qu’est-ce qui chasserait l’air morose, la mélancolie, l’ennuie, la sensation de vide quand je suis assis seul sur une terrasse à refaire le monde ? Qu’est-ce qui calmerait mes envies d’aller te rejoindre sur un coup de tête ? Qu’est-ce que j’allais serrer contre moi le soir pour compenser ton absence ?

Ça fait un mois que t’es partie, 32 jours sur les 102 de ta mission. 31,37 % de tout ça derrière nous. J’ai beau le mettre en minutes, en pourcentage, en secondes, en diagramme à bâtons ou en graphique circulaire, il reste que j’ai l’impression que ça fait déjà une éternité que t’es loin ou des fois, le feeling que ça ne fait que quelques jours.

J’parle comme si je passais mes journées roulé en boule dans notre lit à t’attendre. Tu vois, au contraire. J’profite de mon « célibat » temporaire pour me lancer en affaires et passer des journées de 12 heures derrière mon clavier à tenter d’apporter une petite touche de moi dans le monde.

On s’était préparé à ne pas pouvoir se parler souvent, puis à devoir composer avec un Internet « qui fonctionne au charbon » comme le dit Émilie. Finalement, on avait tout faux. Brainwashed par le cinéma américain et le téléjournal, je t’imaginais partir dans une Afrique pauvre, sale, dangereuse, sanglante où même les roches pouvaient t’attaquer.

Pourtant, hier, on s’est parlé sur Skype depuis un restaurant climatisé où tu sirotais ton Coca-Cola en profitant du Wi-Fi. C’est sûr que ce restaurant-là, il ne représente pas TOUT le continent. Tout comme notre couple ne représente pas TOUS ceux qui ont dû dealer avec l’amour à distance.

On m’avait dit : « tu vas voir, les choses vont être différentes à son retour » et je commence à croire qu’elles le seront.

Parce qu’à ton retour, je promets de tout mettre en oeuvre pour ne pas te prendre pour acquis. Toi, mon pilier, ma fondation, mon support. Toi qui m’encourages sans relâche dans mes 780 000 projets démesurés. Toi qui ne me critiques pas, mais me motives dans ma remise en forme. Toi qui m’aimes, indéfectiblement, sans ne me demander en retour rien d’autre qu’un « je t’aime » sincère. Toi, ma blonde cool qui veut des tattoos, qui aime boire un stout en écoutant Game of Thrones et qui veut aller voir Manu Militari en spectacle.

Toi, l’absence m’aura rappelé de te chérir.

Pour l’instant, sans y avoir mis les pieds, j’aime l’Afrique. Autant, il y a un mois, je maudissais le continent entier en revenant tout seul de l’aéroport, autant aujourd’hui, je l’aime ton Afrique. Ce continent lointain et moins connu qui t’a arraché à moi aura solidifié notre couple.

Parce que maintenant que j’ai goûté à ton absence, sache que je dirai « oui » chaque fois que tu me demanderas si je veux aller avec toi visiter tel ou tel coin du globe. Pas parce que j’ai besoin de toi pour respirer, mais parce que l’air, les repas et le vin sont moins bons sans toi.

Je sais qu’il y aura des tempêtes à affronter dans les 70 jours restants à ta mission. Je sais qu’au moins une fois, je serai en colère contre toi d’être partie, comme je sais que tu seras en colère contre moi d’être resté ici. Je sais qu’on se chicanera, qu’on pleurera, qu’on n’en pourra plus, qu’on se posera des milliards de questions et qu’on frisera l’apocalypse amoureux.

Mais je sais aussi désormais que toutes ces épreuves, les africaines comme les autres, on les affrontera ensemble, encore et encore, pour l’éternité.

Alors si tu croises l’Afrique, dis-lui de faire attention à ma femme, mais surtout, dis-lui merci de m’avoir montré à quel point je t’aime.

« L’absence est à l’amour, ce qu’est au feu le vent ; il éteint le petit, il allume le grand. »

- Roger Bussy-Rabutin

crédit photo : Midorie Villeneuve Chassé

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