L’histoire du caméléon

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
4 min readMar 12, 2016

Étant dans la mi-vingtaine, je vis des moments de transition qui marquent la mutation du jeune gars insouciant universitaire que j’étais, au mâle libre dans la jungle. Pour moi, cette adaptation se fait à l’intérieur. Je réfléchis et je modifie. Plusieurs de mes amis se cherchent aussi profondément. Qui suis-je? Qu’est-ce que je veux faire de ma vie finalement?

Eux ont tendance à régler la question de l’extérieur. Ils changent de jungle. Ils sacrent tout ça là et se font peau neuve ailleurs, entourés de nouvelles personnes. Du moins, ils essaient. Parce que la peau change de couleur, mais le caméléon reste le même. Je les jugeais légèrement de ne pas faire face avec plus d’aplomb aux aléas de la vie. Puis, je me suis aperçu que j’avais eu la chance d’être caméléon étant plus jeune et qu’il est normal que ce stade de ma vie ne corresponde pas à celui de ceux qui l’expérimentent pour la première fois.

Voici le récit de voyage d’un caméléon exilé.

J’ai vécu 7 ans en Amérique du Sud.

Chili, Paraguay, Pérou.

Veut, veut pas, ça a changé ma vie.

Quand j’ai été arraché à mon habitat naturel, je n’avais que 8 ans, tout frêle et pétillant de vie. J’ai été triste, mais également excité par l’aventure et les découvertes que j’allais faire. Jamais je n’aurais cru être changé de la sorte.

Chili — Premier environnement

J’ai capoté ça a l’air. J’avais des problèmes de comportements à la maison (a.k.a. j’envoyais chier tout le monde à cause qu’il respirait). J’ai été voir une psy. Ça s’est réglé éventuellement. Je ne sais pas si c’est elle ou le fait que je parlais de plus en plus espagnol ou que je me faisais peu à peu plus d’amis ou juste la vie qui te gifle pour te dire que, anyway, t’as pas le choix de continuer à vivre (classique). En tout cas, j’ai reçu une couple de gifles, ça c’est sûr. J’allais à une école immense avec 5 classes par niveau, allant du préscolaire au préuniversitaire (genre cégep). Je peux-tu te dire que tu te sens facilement comme un numéro… J’ai tout de même réussi à me tailler une petite place en étant qui je suis, c’est-à-dire pas le plus cool de la gang, mais celui qui rejoint autant les «rejets» que les «populaires». Je n’étais pas le plus drôle (entre autres à cause de la langue), mais j’observais les techniques des gars hilarants. Je n’étais pas le meilleur sportif, mais j’observais les Ronaldinho de ce monde. Sans le savoir, je construisais mon futur moi.

La même personne, mais juste meilleur.

Paraguay — Second environnement

C’est là que j’ai découvert le fameux caméléon. Je commençais mon adolescence, les hormones se réveillaient d’un sommeil ma foi récupérateur. Je passais de la jungle dense à une petite clairière entourée d’arbre où ton arrivée se fait sentir à des kilomètres à la ronde. Il y avait une classe de 30 personnes par niveau. Le clash total. Et c’est là qu’il y a eu le déclic : «Je peux être qui je veux. Personne ne me connaît ici.» Et c’est ce que j’ai fait. J’ai décidé d’être le funny guy, bon dans les sports et à l’école. J’ai vraiment décidé. La première fois que quelqu’un m’a abordé, j’ai agi comme un funny guy, sans aucune culpabilité de ne pas être fidèle à moi-même. De toute façon, je ne décevais personne, je recommençais à zéro.

Et je fus très heureux avec la place que je me suis taillée, mais éventuellement j’ai dû quitter vers de nouveaux horizons.

Pérou — Troisième environnement

Le juste milieu caractérise bien mon nouveau chez moi. Deux à trois classes par niveau, du préscolaire au préuniversitaire. J’étais encore le gars que j’avais choisi d’être. Je n’avais peur de rien, j’étais amusant, sportif, musicien dans un plus gros bassin. Les gens me connaissaient et je ne savais même pas pourquoi. Maintenant, à bien y penser, ça paraît quelqu’un qui est bien dans sa peau, qui est ce qu’il a choisi d’être. Le bonheur, ça se tâte quasiment. Et ça attire les gens.

Retour à l’enclos — Québec

Le retour au Québec n’a pas été aussi dur que le déménagement dans le sud. Il y avait des bases que je connaissais, dont la langue. Par contre, ce n’était plus vraiment mon habitat naturel. J’étais la même personne que j’avais choisi d’être, mais dans un contexte et une culture tellement différents que ça ne marchait pas comme d’habitude. J’étais dans un enclos de bestioles comme moi. Je me ralliais au troupeau. De par mon origine québécoise, on a jugé que je n’étais pas vraiment différent et donc moins intéressant. J’ai encore dû changer de couleurs et le caméléon s’est fondu au décor, un peu plus maladroitement qu’à l’habitude.

8 ans et demi plus tard…

Me voilà encore à jongler avec mes personnalités divergentes qui se sont formées autant volontairement que malgré moi. Je suis encore ce que j’ai choisi d’être, mais j’ai fait des concessions pour ne pas trop souffrir dans le processus. J’ai pris les couleurs d’un fond terne pour m’y camoufler. Mais le caméléon se tanne un moment donné. Parce que maintenant je sais que la personne que je suis n’est pas supposée varier selon ceux que je côtoie ou la ville dans laquelle je me trouve. Bien sûr, je suis influencé, mais moi c’est moi.

Et si j’ai un conseil à te donner, c’est de choisir tes couleurs. Parce que la vie peut t’en donner par défaut, mais quelqu’un d’heureux c’est quelqu’un qui choisit d’être elle-même chaque matin.

Peace.

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