Ma rencontre avec moi-même

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
3 min readJun 13, 2016

Je venais tout juste de rentrer au pays d’un périple de 20 mois à l’étranger. De retour depuis 4 jours exactement. Assise à l’entrée de la station Crémazie, j’attendais mon lift amigo qui devait me conduire vers le coin de pays de ma famille, la Gaspésie. Il ventait, pleuvait et faisait frette! Le gros viaduc tout fissuré s’imposait devant la porte de la station et me bloquait la vue du ciel. « C’est beau le Québec ‘sti! » me dis-je dans ma petite dépression post-retour-de-voyage-dont-tu-ne-parles-pas-parce-que-ça-fait-petteux!

Je vois une voiture bleu marin tourner le coin. Avec mes grandes connaissances en char, la couleur et la première lettre de la plaque d’immatriculation me suffisent à deviner que c’est pour moi. Je m’avance un peu, bougonnant de l’intérieur, mais tentant d’avoir l’air aimable de l’extérieur. Je m’en vais faire 9 heures de voiture avec une inconnue et j’ai tout sauf envie de répondre aux questions comme : « Ah ouais, t’es partie pendant 2 ans! Bin la, qu’est-ce que t’es allée faire là tout ce temps? » ou encore « Ah, t’as fini tes études… Faque tu fais quoi comme emploi? »

La vérité vraie, c’est que je suis partie en Australie juste pour profiter de la vie! Je n’avais pas de projet professionnel ou encore de famille qui m’y attendait. J’ai eu des jobs oui, mais qui n’ont aucun lien avec mon domaine d’étude. Ma tactique pour les prochaines heures ; feindre la fatigue et éviter les discussions. Une jeune trentenaire sort de l’auto, souriante et un peu gênée, elle a l’accent de ma famille. Après un respectable 10–15 minutes de silence l’inévitable arrive :

- Donc, tu fais quoi dans la vie? Tu étudies?
- Non, j’ai fini.
- Ok… tu travailles?
- En fait, j’étais en voyage… un long voyage là.

Long silence. Ça y est, je me sens impolie de couper la discussion comme ça.

Ouais, bin j’étais en Australie… pour presque deux ans. Faque c’est pour ça là, je viens d’arriver, je n’ai pas de job en ce moment.

J’ai comme un incroyable besoin de me justifier, mais dans le fond elle ne m’a rien demandé. Elle me regarde du coin de l’œil, souriante.

- Moi aussi je suis restée en Australie deux ans! À ton âge environ.

Quelle coïncidence! Au moment où je croyais devoir m’expliquer pendant tout le trip, je tombe sur quelqu’un qui a vécu le même voyage que moi! Visité les mêmes endroits, vécu la même vibe, expérimenté des choses semblables!

S’en est suivi une suite de discussions sur la vie, le voyage, le retour, les amours, le temps, où on veut se poser et bâtir quelque chose. J’avais l’impression de discuter avec moi-même dans 10 ans. Pis mon moi, il me disait que tout serait correct, que ce que je faisais c’était hot, pis que faire autre chose après ça l’était tout autant. Que quand j’aurais envie d’arrêter de voyager et de me poser bin je le ferai, pis que rendue là, je serais contente de le faire. Que le monde ne comprendrait pas toujours, mais que ce n’était pas grave, que nous non plus on ne comprenait pas toutes les réalités.

J’anticipais mes discussions avec les autres avant mon retour. Je les croyais pleins de préjugés envers mon mode de vie. Mais au fond c’était moi qui étais pleine de préjugés envers eux, en croyant que tous allaient me juger.

Les neuf heures ont filées en coup de vent! On s’est pris les mains, regardé droit dans les yeux et on s’est dit « merci ». J’ai ouvert la portière, pris mon baluchon, l’âme un peu plus sereine. Minuit moins dix. Il neigeotait, la lumière du porche éclairait l’entrée de la maison où j’ai passé tous mes Noëls… « Ouais, s’pas laite le Québec! »

Et vous, avez-vous déjà fait ça, une rencontre avec vous-même?

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