Parce que la magie existe parfois

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
3 min readApr 9, 2016

C’était une fin d’après-midi où il avait fait très sombre sur cette plage camerounaise. Sombre parce que les berges où accostaient les pirogues colorées pleines de bon poisson frais étaient recouvertes de ce sable noir que l’on retrouve seulement à proximité d’un volcan. Sombre parce que les nuages étaient très bas et très gris. Sombre aussi parce que la veille, un homme d’affaires chinois avait décidé de braver l’interdiction de se baigner et avait disparu dans les vagues pour toujours. Son partenaire avait arpenté la plage de l’hôtel de long en large en fumant cigarette sur cigarette en espérant que les sirènes le ramèneraient sain et sauf.

L’après-midi était fini et nous étions assis sur la plage, sur des petites chaises en plastique. À côté de nous, des vendeurs de poisson, des cuiseurs de poisson et des serveurs de poisson. Le poisson braisé camerounais servi avec les yeux et du piment parfait nous titillait l’estomac pendant que nous dégustions une bière. L’ambiance était douce, mais mystérieuse. On ressentait une espèce d’envoutement qui nous donnait envie de rester assis là toute la nuit et toute la vie encore.

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Limbé (Crédit photo: Anne-Marie Angers)[/caption]

Limbé. Quand je pense à toi, je pense à ces discussions sur les créatures obscures qui arpentent la côte Est de l’océan Atlantique. Parce qu’en fait, « en Afrique, la magie existe. Tu ne peux juste pas la ressentir, Maria ». Je ne peux pas la ressentir? Alors explique-moi! Je tenterai de rester l’esprit ouvert.

« Les Chinois qui construisent des routes, des ponts, et des plates-formes pétrolières ne se rendent pas compte du danger qu’ils encourent. Lorsqu’ils creusent et, parfois, ils trouvent des serpents. Ces serpents sont des avertissements : la route ne peut pas passer par là parce cet endroit est sacré. Ça, ils devraient le respecter, mais bien sûr, ils n’écoutent pas et les ponts s’effondrent, tuant les ouvriers.

La plate-forme pétrolière au large de Kribi s’était écroulée deux fois avant que le chef de chantier décide de plonger pour essayer de comprendre ce qui se passait. Il a disparu pendant 3 jours et est revenu sur la plage en portant cette créature mi-poisson mi-humaine. Elle lui avait dit qu’ils ne les laisseraient pas détruire leur village au fond de l’océan, alors il l’a ramenée à la terre ferme.

Tu ne me crois pas? Moi, je connais quelqu’un qui l’a vue! La sirène, elle a même été filmée. Je te montrerai. »

Ce soir-là, j’ai écouté toutes ces légendes avec l’esprit ouvert, comme promis. Mais plus après. J’ai refusé d’y croire et même de les écouter parce que je ne pouvais pas concevoir que le surnaturel puisse gouverner la vie de personnes qui avaient été à l’université, qui avaient vécu en Europe. Je me suis même fâchée en leur criant de s’ouvrir un peu les yeux, merde!

Ç’a été ça, mon plus grand choc culturel, au Cameroun. Ne pas savoir accepter que l’esprit humain ne fonctionne pas selon la même conception du monde partout sur la planète. Que ma propre rationalité scientifique et mon esprit critique n’avaient pas leur place dans ce pays plein de magie. Jamais je ne me serais attendue à cela. J’aimerais parfois y retourner en étant consciente de tout ce que je pourrais apprendre si j’ouvrais mon esprit à ce monde. On ne peut pas revenir en arrière, seulement apprendre de nos erreurs et, de temps en temps, donner quelques conseils aux autres et à soi-même.

Se laisser porter par la vague sans avoir de préjugés, quand on voyage, c’est tellement difficile. Je m’en rends compte encore aujourd’hui. Prendre le temps de s’arrêter et de réfléchir à ce qui nous choque et se demander en quoi c’est si grave, ça facilite souvent les choses. Ça permet de remettre certains événements en perspective. C’était mon conseil du jour pour ceux qui voyagent en terres mystérieuses, parce que la magie, ça existe vraiment, parfois!

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