Pour que tu gardes espoir

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
3 min readJun 7, 2016

Cher Inconnu,

J’aurais voulu t’écrire à toi, à toi seulement, mais j’aurais peur que mes mots n’expriment pas réellement le fond de mes pensées ou que tu ne les comprennes pas. Je préfère donc t’écrire à la planète entière en me disant qu’au moins j’aurai partagé ton histoire.

Tu as dix-huit ou vingt-deux ans, peut-être? Je ne le saurai jamais. Tu étais écolier au Congo, ce sont les mots que tu as utilisés. Tu travailles maintenant pour une ONG du camp de réfugiés où tu es venu chercher cette sécurité qui n’existe pas dans ton pays. Nous étions dans un champ de patates, je discutais irrigation avec tes voisins. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais tu m’as souri à un moment où je ne m’y attendais pas. Ça m’a fait rire, mais en même temps, ça m’a transpercé le cœur. J’ai voulu comprendre comment tu faisais pour trouver encore la force de sourire.

Tu m’as dit que la vie était meilleure au Congo. Que là-bas, il y avait toujours à manger. Que les vieux étaient en bonne santé. Que les enfants n’avaient pas faim. Qu’il y avait du travail et que tu pouvais aller à l’école. Tu étudiais les sciences sociales. Ici, puisque tu ne parles pas anglais, tu ne peux pas finir ton secondaire et aller à l’université. Pas pour l’instant, en tout cas. Tu sais toutefois que tu as été chanceux, car au contraire des autres, tu as réussi à trouver un emploi. C’est dans ton domaine et ça te donne quelques sous. Pas assez pour prendre des cours d’anglais, mais c’est mieux que rien. Au moins, les petits de ta famille ont quelque chose à se mettre sous la dent.

Je t’ai demandé si tu voulais retourner au Congo. Tu m’as dit oui, que c’était la chose que tu désirais le plus au monde. Puis je t’ai demandé la raison pour laquelle tu n’y retournais pas. Tu as bafouillé et tu m’as dit que tu y retournerais si c’était possible. J’ai compris que tu rêvais de ton pays comme l’on rêve de quelque chose qui n’existe plus, comme on rêve d’un paradis perdu. Ton chez-toi, il a disparu à tout jamais. Vous n’êtes plus en sécurité là-bas. Mais ici, vous n’avez pas d’avenir.

La dernière chose que tu m’as dite, c’est que tu n’avais plus vraiment d’espoir.

Plus tard dans la journée, je t’ai attrapé par le bras et je t’ai dit de mettre quelques Francs de côté à chaque paie pour t’acheter un livre d’anglais. Je t’ai dit de demander à tes collègues de l’ONG de pratiquer avec toi. Tu m’as remercié au moins dix fois. Tu avais les yeux brillants, comme si ce que je t’avais dit allait changer ta vie. J’aurais voulu t’acheter ce livre, mais je n’en avais pas le droit. J’aurais voulu te dire tant de choses. Que j’allais prier pour que tu gardes espoir, pour qu’un jour la guerre qui sévit dans ton pays finisse un jour par s’arrêter, pour que les êtres humains arrêtent de s’entretuer. Je ne savais pas comment te le dire. Je me suis tue et je t’ai regardé partir en me disant que j’allais prier pour qu’au moins tu puisses réaliser ton rêve d’aller à l’université.

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