Une Espagnole, des orphelins, de la bière et un curé

Félix-Antoine Huard
Monsieur et Madame Tout-le-monde
3 min readApr 21, 2016

Je venais tout juste d’arriver au Bénin quand j’ai rencontré Oïhana. Espagnole, Basque pour être plus précise, à peine plus veille que moi, en plein contrôle de la situation. Et toute une situation! Elle était responsable d’un orphelinat, d’une vingtaine d’enfants, un peu crasseux, un peu baveux, très morveux. Ah oui… Elle était bénévole!

Après presque 2 ans, Oïhana avait fini par s’intégrer au milieu, à s’y fondre presque. De quoi faire complexer n’importe quel expat fraîchement débarqué à Parakou. Quand j’ai pété un câble, vers la mi-stage, je n’ai pas osé l’appeler. Trop fière… Convaincue qu’elle rirait de moi, de mes larmes, de mes angoisses. Parce que, elle, c’est sûr, elle n’avait pas paniqué, pas pleuré. Ben non, cher, j’étais la première expat à péter sa coche et à pleurer! J’étais une honte!

Il aura fallu qu’on se retrouve assise ensemble pour souper, alors que mon patron l’avait invitée à manger, pour qu’elle me lance, entre deux bières, qu’il lui avait fallu plusieurs mois pour s’adapter. Et moi qui complexais après 6 semaines! D’autant plus que j’avais reçu une belle leçon de morale par un expat un peu frais-chié, alors que j’étais malade et incapable de manger — du mansplaning à son meilleur selon une copine voyageuse et féministe! Bref, Oïhana m’a envoyé un clin d’œil et m’a promis une jasette autour d’une bière.

Finalement, c’est pas une mais six grosses bières qu’on aura partagées. Croyez-moi, à 40 degrés à l’ombre, ça fesse! On a ri. Beaucoup. J’ai failli pleurer des bouts. Parce qu’elle m’a parlé de ses enfants — ils étaient devenus les siens –, des poux, de la galle, de la malaria, des directeurs incompétents, des hôpitaux mal équipés, des enfants qui meurent pour rien, des écoles surpeuplées, des corvées de lessive, des enfants qui cognent à la porte de sa chambre à toute heure du jour ou de la nuit, du manque de ressources, de la désorganisation. Elle m’a parlé de toutes ces fois où elle avait voulu refaire ses valises.

Ce soir-là, Oïhana m’a aussi dit : « Il faut que je te présente mon ami, le curé Benoit. » On est au Bénin… Sans dire que ça court les rues, les curés ne sont pas choses rares, comme c’est le cas maintenant au Québec. Perso, je m’attendais à un vieux mec un peu rabougri, qui sent la boule à mite. Le choc, toi… Un Français — Breton pour être plus précis — dans la quarantaine, beau bonhomme, dégourdi, drôle, qui aime la bière, qui croit au féminisme, à la contraception et à l’avortement. Euh, j’ai manqué un mémo? Et lui aussi s’était retrouvé, comme Oïhana et moi, parachuté quelque part dans le Nord Bénin. Par choix, certes. Mais bon, quiconque se retrouve en Afrique rurale le fait un peu sur un coup de tête, avec un brin d’insouciance, de naïveté et de « dans le doute, agir ».

Enfin bref, je me suis retrouvée à jaser Dieu, religion, humanité, féminisme, Bénin, Afrique, aide humanitaire avec une Espagnole qui pourrait faire rougir Mère Teresa et un curé iconoclaste qui aime danser des rock & roll et qui conduit une mobylette sans casque, même un peu pompette. Drôle de trio réuni par le besoin de retrouver un peu de chez nous, de ce qu’on connait, de nos repères. Parce que, soudainement, que tu viennes d’Espagne, de France ou du Québec, tu es l’étranger, l’expat, le Blanc, et tu viens de retrouver une partie de tes semblables. Et tu les embrasserais, parce qu’ils ont vécu la même galère.

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Oïhana — crédit photo : Émilie Bourque-Bélanger[/caption]

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