Le vaudou au-delà des aiguilles

Montréalisme
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9 min readDec 18, 2017

Par Luca Max et Alexandre Perras

Des poupées, des os de poulet et le Baron Samedi sont les premiers mots qui viendront à la bouche de celui qui entend le mot vaudou. Bien lourd de sens pour les non-initiés, le vaudou est toutefois une pratique de bienfaisance et d’entraide, où les esprits voguent au centre des croyances.

Contrairement aux églises ou aux cathédrales qui sont des lieux de culte affichés, les péristyles, lieux de cultes vaudous, sont plus discrets et n’amènent pas le commun des mortels à s’y intéresser. Il n’est pas dans l’habitude des vaudouisants d’accueillir les non-pratiquants au sein de leur lieu de pratique, vu un lourd passé de persécution. De par cette méfiance, l’existence de ces pratiques peut sembler anecdotique.

Le recensement 2016 de Statistique Canada estime à 132 255 le nombre d’Haïtiens d’origine vivant dans la région métropolitaine. Selon la Confédération des Haïtiens vaudouisants du Canada, près de 75% des Montréalais d’origine haïtienne pratiqueraient le vaudou, menant à près de 100 000 le nombre de vaudouisants à Montréal.

Malgré cette statistique, il fut assez complexe d’aborder la question du vaudou haïtien auprès d’un houngan ou d’une mambo, soit un prêtre ou une prêtresse vaudou.

La méfiance à l’égard des nouveaux visiteurs est de mise, c’est du moins ce que la prêtresse Rolande Montreuil, propriétaire du Centre Ofébalindjo Botanica, affirme. Plusieurs conversations téléphoniques ont été nécessaires à l’organisation d’une rencontre avec la prêtresse.

Il faut dire que notre statut d’étudiant universitaire ainsi que les cent dollars que nous avons accepté de verser pour la consultation a facilité notre entrée dans l’univers vaudou.

Mme Montreuil nous accueille, le sourire aux lèvres, accompagnée de son fils Joël qui se tient à l’écart. Tout au long de l’entrevue, l’adolescent est en retrait, debout dans un coin de la pièce, presque intimidé par la prestance de sa mère.

Rolande Montreuil est au service des esprits depuis l’âge de 10 ans et a commencé à pratiquer le métier de prêtresse au début de la vingtaine.

Situé dans le sous-sol d’une maison unifamiliale de Montréal-Nord, le Centre Ofébalindjo Botanica est à la fois une boutique et un lieu de culte. L’odeur d’encens frappe dès les premiers moments à l’intérieur de la pièce.

On y retrouve une quantité impressionnante de produits pour les adeptes. Des poudres, des huiles, des parfums, des herbes, des tambours, tous les outils nécessaires à l’interaction avec les esprits s’y retrouvent. Au centre de la pièce, une table pour les consultations et les rites menés par Mme Montreuil.

Une fois la présentation des produits terminée, la prêtresse de 62 ans s’installe pour la prochaine heure afin d’explorer les fondements de la pratique du vaudou haïtien. Calée dans sa chaise, elle nous observe d’un air intrigué, les yeux brillants, pas tout à fait certaine de la raison de notre présence.

Au fur et à mesure de l’entrevue, sa voix devient de plus en plus forte. Rolande Montreuil est visiblement passionnée par son sujet, faisant cogner ses lourdes bagues sur la table à de multiples reprises.

Située à Montréal-Nord, l’Ofébalindjo Botanica est l’un des seuls commerces reconnu pour vendre des items vaudous.

Le vaudou au XXIe siècle

Le vaudou n’avait jamais arboré le titre de religion officielle en Haïti malgré une pratique forte de la part de la population. Ce n’est qu’en 2003, que Jean-Bertrand Aristide changera la perception populaire de la spiritualité.

«Lorsque Aristide décide d’officialiser le vaudou en 2003, ça devient une religion nationale, et non plus une spiritualité. Ça veut dire qu’il devient très structuré avec des lieux-centres, comme le Vatican pour le catholicisme», explique l’auteur du livre Vaudou 101, Jean Fils-Aimé.

Il considère toutefois cette comparaison comme étant triste pour le vaudou. «Le vaudou peut très bien évoluer, en apportant quelque chose de plus à l’humanité sans nécessairement faire comme les autres», souligne le théologien.

Sans rechercher une institutionnalisation officielle du vaudou, Rolande Montreuil considère que l’expansion de ces pratiques pourrait n’être que bénéfique pour le monde. «L’esprit t’aide dans la vie de tous les jours, avec les enfants, avec la famille, mais est-ce que c’est mauvais ça?, demande la prêtresse. Je crois que si les Haïtiens étaient conscients de ça, ce serait le paradis pour Haïti.»

Vu les supposés bienfaits de ses croyances, Mme Montreuil prend son rôle de prêtresse au sérieux. «Il faut que l’esprit vous ait choisi pour être prêtresse, souligne la mambo. Ça prend plus de choses en vous, plus de pouvoirs ça, plus de dons, pour que vous puissiez aider les gens correctement.»

Elle mentionne également sa méfiance face aux personnes prétendant avoir des pouvoirs comme les prêtres et les prêtresses. «Ils disent que n’importe qui peut être prêtre, mais non, ils n’ont pas été choisis, lance la prêtresse. Alors ils vont aller chez les sorciers pour chercher ce qui n’est pas là.»

Les sorciers composent la partie «satanique et diabolique» du vaudou. Les zombies, les poupées maléfiques et les aiguilles, les mauvais sorts et les possessions sont tous des récits qui ont diabolisé le vaudou aux yeux des Blancs et des non-initiés en général, selon la prêtresse.

Selon Emongo Lomomba, enseignant de philosophie au Collège Ahuntsic, ces phénomènes étaient difficiles à expliquer aux Blancs et aux colonisateurs, qui ont perçu certaines traditions vaudoues comme étant directement liées à Satan.

Les poudres sont utilisées pour faire des «travaux», le nom donné aux interventions faites par les esprits. Elles peuvent être mélangées avec une eau en particulier afin de créer des potions de guérison ou de chance, par exemple.

Le sujet des zombies, par exemple, a marqué la culture populaire vu son caractère surnaturel. Ces personnes qui étaient déclarées mortes puis revenues à la vie ont longtemps fasciné. Ce phénomène de sorcellerie, le côté noir du vaudou, était pratiqué par un houngan qui administrait de la tétrodotoxine, toxine trouvée dans le poisson-globe, à une personne.

«Cliniquement cette personne est morte, mais en lui administrant un antidote, elle revient à la vie, explique Emongo Lomomba. Comme une grande partie du cerveau est en bouillie, ils sont mécaniques et obéissent au doigt et à l’oeil, d’où les histoires de zombies.»

Ces mythes persistent toujours dans la culture populaire actuelle, mais selon Rolande Montreuil, le vaudou ne pourrait être que bénéfique à tous. La prêtresse insiste que le vaudou est basé sur la bienfaisance, «la fraternité, l’union et l’amour».

Le côté manichéen opposant le vaudou et la sorcellerie est très présent, la sorcellerie ne pouvant jamais représenter le bien, alors que le vaudou ne peut jamais représenter le mal.

«Si on pique une poupée pour tuer, c’est de la sorcellerie, mais dans le vaudou, si on travaille avec une poupée, c’est toujours pour le bien, explique Rolande Montreuil. C’est pour enlever des sorts, ramener des gens ensemble, c’est toujours le côté bénéfique de la chose que l’on recherche.»

Elle mentionne également que les esprits impliqués dans la sorcellerie n’auront pas de difficulté à outrepasser la loi de Dieu, qui est représentée pour les vaudouisants par le mot “Grand Maître”. Les esprits vaudous n’oseront jamais perturber la volonté de Dieu, selon Rolande Montreuil, puisqu’ils ne veulent que le bien de la personne qu’ils protègent.

Classification nébuleuse

L’une des questions principales liée au vaudou est la définition même de la pratique : le vaudou se place-t-il dans le rang des spiritualités ou est-il une religion à proprement parler?

Pour le titulaire du cours universitaire Spiritualités africaines et créoles, Emongo Lomomba, il était important que cette question soit au centre même de la première rencontre avec sa classe. Selon l’enseignant, une religion serait organisée autour d’une orthodoxie doctrinale, qui est absente dans la religion vaudoue.

Le péristyle, l’endroit où les cérémonies vaudoues sont pratiquées, n’est pas un lieu fixe et simple à identifier comme une cathédrale. Il peut s’agir d’un local, d’un arbre ou de n’importe quel lieu symbolisant la spiritualité vaudou pour celui qui le pratique.

Puisqu’elle partira bientôt à la retraite, Rolande Montreuil a réduit ses effectifs et fait maintenant ses consultations dans un petit sous-sol.

«Le vaudou haïtien a longtemps évolué dans la clandestinité, donc ce ne sont pas des cathédrales qui ont été érigées, souligne le professeur. Le vaudou possède une certaine forme de hiérarchie, mais rien de structurant où quelqu’un donnerait des ordres aux autres.»

Pour M. Lomomba ces deux caractéristiques, soit les lieux de pratique et la hiérarchie, sont des éléments fondamentaux d’une religion.

Se cacher pour croire

Le vaudou est né d’un amalgame entre les cultures locales de Saint-Domingue, qui deviendra plus tard Haïti en 1849, les croyances des esclaves africains arrivés entre le XVIIe et la fin du XVIIIe siècle et le christianisme des Français. Près de 800 000 esclaves africains auraient mis les pieds sur l’île selon les estimations de l’époque.

«Le vaudou réfère techniquement à la religion du Dahomey, le Bénin actuel», souligne le docteur en théologie et auteur du livre Vaudou 101, Jean Fils-Aimé.

Selon Rolande Montreuil, les colons auraient craint la montée du pouvoir spirituel des vaudouisants. «Ils voyaient le pouvoir des esprits et ont demandé à ce que les serviteurs aillent à l’église, explique la prêtresse. Pour eux, il n’était pas question d’esprits, ils brûlaient les maisons des pratiquants afin de les forcer à rejeter le vaudou et les loas.»

«Loa» est le nom donné aux esprits vaudous.

Les Haïtiens sont restés marqués par cette persécution violente de la part du clergé français. M. Fils-Aimé raconte qu’un étudiant européen a voulu assister à une séance vaudou en Haïti et a eu besoin d’une lettre de référence, puisque sa présence était considérée comme une intrusion, voire de l’espionnage.

«Nous sommes restés traumatisés par l’histoire de ce pays. Les colons nous empêchaient de pratiquer le vaudou, ils nous envoyaient des chiens de chasse le soir quand on restait la nuit pour danser le vaudou et même après l’indépendance, même s’ils étaient vaudouisant eux-mêmes», explique le théologien.

Le vaudou devait donc être pratiqué dans une clandestinité complète. Les rituels se faisaient la nuit et tout devait être effaçable afin qu’aucune trace ne soit laissée.

«Avant chaque cérémonie, on va faire des dessins avec des mouvements et de la farine pour marquer le lieu, le sacraliser, en faire un sanctuaire, explique Emongo Lomomba. C’était comme ça dans le temps pour des raisons de sécurité.»

Le caractère institutionnel des pratiques catholiques menait les croyants à voir le vaudou comme une religion inférieure.

«Le catholicisme est la religion des anciens maîtres, ils se croient toujours supérieurs. Dans la mesure où vous priez dans les bois, où vous manipulez des objets directement naturels, vous êtes primitifs», souligne le titulaire du cours Spiritualités africaines et créoles, Lomomba Emongo.

Quand les saints deviennent esprits

C’est toutefois cette pratique clandestine qui a mené le vaudou à être fortement influencé par le catholicisme. Comme ils ne pouvaient représenter leurs esprits graphiquement, ils les ont transposés dans l’image des saints catholiques.

Après la persécution des colons, les vaudouisants se sont cachés afin de pouvoir pratiquer leur religion le plus librement possible. Selon Rolande Montreuil, les pratiquants auraient trouvé leur salut dans leurs rêves.

«Maintenant c’est dans leur songe que l’esprit arrive. Il leur dit être Saint-Jacques le Majeur et que pour établir un contact avec lui, qu’il faut aller à l’église, explique Rolande Montreuil. Quand ils sont devant l’image de Saint-Jacques le Majeur, c’est à lui qu’ils parleront.»

L’esprit nommé Ogou, réputé pour ses prouesses de guerrier, est représenté par l’apôtre St-Jacques le Majeur, sur son cheval, tuant des Maures.

La correspondance des esprits avec leur contrepartie catholique n’est toutefois pas anodine, puisque les rôles des deux entités sont les mêmes. Il doit obligatoirement y avoir une grande ressemblance avec le saint afin que l’esprit puisse en prendre son incarnation.

«Legba, c’est Saint-Pierre, parce que les deux ont les clés pour ouvrir les portes vers le paradis», souligne la prêtresse.

Pour M. Lomomba, cette façon de faire était une utilisation opportuniste du catholicisme qui a permis aux vaudouisants de conserver leurs croyances et leur religion, sans se faire ouvertement persécuter.

Envers et contre tous

Tout au long de la rencontre, Rolande Montreuil a longuement fait éloge du vaudou et de ses bienfaits sur les gens qui le pratiquent. Elle explique toutefois que la résolution de problèmes par les esprits se fait par le bien-être individuel et non collectif.

«Tu es dans une situation avec quelqu’un que tu n’aimes pas et cette personne décide de te faire partir, projette la prêtresse. Si tu ne lui as rien fait, le vaudou fera en sorte que tu restes et que cette personne, qui est vraiment méchante, va s’en aller.»

Elle termine en nous questionnant sur la légitimité de l’action : «Est-ce que ça fait du mal, si ça t’aide?»

Chaque parfum est attribué à un esprit et sert essentiellement à apporter la chance et le bien-être à celui qui l’achète.

Pour le professeur Lomomba, cette utilisation du vaudou à des fins de résolution de problèmes est une manière d’interpréter les maux selon une dimension spirituelle. En ce sens où les actions et la moralité des gens qui nous entourent risquent d’avoir un impact important sur notre propre santé.

Malgré ces aspects «rancuniers et égocentriques» du vaudou, les fondements de la religion résident dans la résilience et une bataille pour conserver une identité spirituelle unique.

«Le vaudou en Haïti est le produit d’une aventure extraordinaire, ce sont des esclaves à qui on enlevait tout, à part leur force musculaire, qu’ils devaient conserver pour réussir à garder leur spiritualité», conclut M. Lomomba.

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