Les prédictions de Turing : comment le numérique transforme les carrières

Ionut Mihalcea
MoveNext
Published in
5 min readJan 14, 2024
Alan Turing pendant « NPL Sports Day » 1946 © National Physical Laboratory, England

Recement j’ai lu un papier de Turing de 1947 qui m’avait captivé. Voici un premier article qui traite de l’apparition du numérique, et du métier de développeur. Je ferai un second sur la partie liée à l’intelligence des machines.

Le papier en question est la retranscription d’une conférence qu’il a tenu à la London Mathematical Society, afin d’expliquer l’intérêt de la construction de l’ACE (Automatic Computer Engine) au National Physical Laboratory.

le “prototype” ACE © Computer History Museum

Le numérique : impitoyable destructeur d’emplois

Avec clairvoyance Turing anticipe certains bouleversements qu’allait produire l’apparition du numérique, et il prend également le risque de conjecturer sur la machine intelligente et les changements qui allaient encore intervenir jusqu’à impacter nos métiers de développeurs de logiciels et autres métiers en col blanc.

Turing explique que la machine à calculer numérique détruira les emplois de “human computer”. Effectivement, je ne l’avait jamais eu à l’esprit, mais avant que les ordinateurs existent il y avait dans les entreprises des personnes dont le métier était de faire des calculs.

En faisant quelques recherches rapides je remarque que le métier est très féminin.

Le job consistait à appliquer des procédures détaillées et effectuer des calculs. Il s’agit de milliers d’emplois car on faisait faire les mêmes calculs, en parallèle, à plusieurs équipes indépendantes de façon à pouvoir valider les résultats.

Face à la rapidité de calcul de la machine, les humains ne font plus le poids, car dès le début, une machine allait être capable de faire le travail 10 000 fois plus vite. De plus, elle permettra la réalisation de calculs infaisables par les humains.

With digital machines however it is almost literally true that they are able to tackle any computing problem. A good working rule is that the ACE can be made to do any job that could be done by a human computer, and will do it in one ten-thousandth of the time. This time estimate is fairly reliable, except in cases where the job is too trivial to be worth while giving to the ACE.

Turing explique également que toute activité exprimable sous la forme d’un processus pourra être automatisée par une machine numérique.

One of my conclusions was that the idea of a “rule of thumb” process and a “machine process” were synonymous.

Le numérique : formidable créateur d’emplois

En même temps qu’il prévoit la destruction de ces emplois Turing annonce l’arrivée de deux nouveaux métiers, qui au regard de la machine, sont soit ses “maîtres” soit ses “serviteurs”.

Les maîtres sont les “analystes” qui mobilisent leurs compétences en maths afin d’analyser les besoins puis de remplir les tables d’instructions de la machine. C’est bien le métier d’analyste programmeur ou développeur aujourd’hui.

Les “serviteurs” sont les personnes dont le job est d’assurer la maintenance ou opérer la machine.

Turing n’exclut pas que les machines puissent devenir “intelligentes” de façon a avoir un comportement qui n’a pas été explicitement programmé. Il imagine des instructions stéréotypées et des machines capables d’apprendre et de modifier par elles-mêmes leur jeu d’instructions.

Il imagine aussi que les maîtres ne vont pas se laisser voler leur job et qu’ils vont tout faire pour entourer le tout d’un grand mystère pour se maintenir en poste.

They may be unwilling to let their jobs be stolen from them in this way. In that case they would surround the whole of their work with mystery and make excuses, couched in well chosen gibberish, whenever any dangerous suggestions were made. I think that a reaction of this kind is a very real danger. This topic naturally leads to the question as to how far it is possible in principle for a computing machine to simulate human activities.

On peut voir un peu de naïveté dans ses propos, car à mon avis il était loin d’imaginer ce que serait le métier du développeur 80 ans plus tard. Mais il ne faut pas oublier qu’il fait ces conjectures avant même que l’ordinateur n’existe.

Cela étant dit, quand je vois les réactions négatives, et pas toujours justifiés de certains développeurs face à des outils comme GitHub Copilot on peut lui donner un peu raison quand-même.

Quelques reflexions sur le métier de développeur logiciel

Mon optimisme me fait penser que l’IA va nous aider ou nous forcer à devenir meilleurs sur plusieurs points, surtout là où elle aura du mal à aller :

— Créer ;

— Résoudre des problèmes complexes ;

— Découvrir les besoins du marché ;

— Concevoir des produits complexes ;

— Collaborer et faire preuve de leadership ;

— Avoir un esprit critique.

En même temps, je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement entre les “human computers” et les “human transpilers”. Ces développeurs qui attendent qu’on leur donne des spécifications détaillés puis qui se contentent d’utiliser tel framework ou libraire pour l’implémentation.

Ce type de travail est assez “mécanique” et orienté vers l’exécution d’une tâche finalement assez basique. Avec le perfectionnement des IA, ce type de travail est menacé, car il sera à terme facilement automatisable.

Autrement dit si l’ordinateur à tué le job de “human computer” l’IA va tuer le job de “human transpiler” et par extension certains jobs similaires qui peuvent être automatisés par un usage intensif des données et des stats.

Et vous, qu’est que cet article vous inspire ? Qu’en pensez-vous ?

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