Fintech vs banques : concurrentes ou alliées ?

Marie-Alix Deval
MTI-Review
Published in
5 min readJan 7, 2018

Il suffit de chercher sur Google pour comprendre à quel point l’impact des Fintech sur les métiers des banques est opaque. Selon McKinsey[1], 10 à 40% du revenu des banques serait menacé à l’horizon 2025, ce qui revient à 20 à 60% des profits[2].

Deux scénarii possibles

Depuis la crise de 2007 et l’adoption de la réglementation Bâle 3, l’objectif des banques de détails et de financement et d’investissement est d’appliquer les contraintes réglementaires tout en contrant l’érosion de leurs marges d’intérêt.

Petit rappel sur les accords de Bâle 3[3] dont toutes les mesures devront être appliquées en 2019 :

Ces exigences réduisent le champ des possibilités des banques, qui se voient dans l’obligation de placer des fonds propres en plus grande quantité et de meilleure qualité, en face d’activités jugées plus risquées. Pour répondre à ces limites, les banques se concentrent à la fois sur la reconstitution de leurs bilans, de leurs fonds propres et sur leur rentabilité financière fortement atténuée par la crise. Elles ont jusqu’à 2019 pour mettre en pratique les conditions de Bâle 3. Dans ce contexte, l’innovation n’est donc pas leur priorité.

La vétusté des systèmes d’informations des banques, qui datent des années 80, représente un autre frein à l’innovation. Ayant des infrastructures lourdes de lignes de code, les systèmes d’informations actuels ne peuvent plus supporter de mises à jour innovantes. Il faudrait reconstruire ou remplacer ces systèmes, ce qui implique d’engager de nouveaux investissements dans des délais courts. Mais cette perspective nécessite que les banques renoncent aux nombreux investissements réalisés dans l’ancien système[5].

A l’image de ce système, l’organisation hiérarchique des grandes banques ne profite pas non plus aux innovations[6]. Si les entreprises françaises ont compris très récemment l’importance d’insuffler un esprit d’innovation dans leurs équipes, ce vent n’a pas encore soufflé dans le milieu bancaire.

Dans ce contexte, l’apparition des Fintech équivaut à un « coup de pied dans la fourmilière bancaire », et brise la tranquillité des banques. Mais cette perturbation est à relativiser, car les Fintech ne provoquent pas pour l’instant d’effet volume suffisamment inquiétant et si les clients sont très connectés, ils conservent tout de même certaines habitudes qui s’estomperont peut être dans les générations à venir (encore 13% du volume des transactions sont réalisées via les chèques — seulement 8% des français ont réalisé un paiement en magasin via leur mobile[7]). La croissance des Fintech et le changement de comportement des clients sont deux éléments hautement surveillés par les banques qui, au pire, ont les moyens de racheter les startups les plus menaçantes. Parallèlement à cette phase d’observation, les banques ont tout de même compris qu’elles devaient recentrer leurs modèles d’affaire sur leurs clients[8] et pour cela elles ont adopté différentes stratégies :

Comme première stratégie, elles peuvent innover par elles-mêmes. Une étude de McKinsey sur les Fintech propose divers impératifs digitaux :

  • L’objectif essentiel des Fintech se trouve dans la compréhension de leurs clients, mais contrairement aux banques, elles ne possèdent pas de données clients. Pour les devancer, les banques doivent construire une infrastructure d’analyse de données pour comprendre leurs clients, leurs besoins, et proposer des offres adaptées.
  • En plus d’étudier l’identité de leurs clients, les banques doivent améliorer l’expérience client. Depuis l’apparition des smartphones, les utilisateurs sont habitués à la transparence, à la rapidité, et au temps réel. Ils ont donc ces mêmes exigences pour leur expérience bancaire, qui peut être améliorée au niveau de la vitesse des transactions, des virements, etc.
  • Pour acquérir de nouveaux clients, les banques doivent mettre à niveau leur marketing digital.
  • Comme nous l’avons vu précédemment, les banques doivent revoir leur plateforme et système d’informations pour réduire les coûts de gestion, et surtout simplifier les processus pour gagner en rapidité d’exécution.

La deuxième solution pour les banques consiste à poursuivre leurs observation en s’approchant des Fintech, soit par des prises de participations, soit en créant des incubateurs[9], Cette stratégie est de plus en plus appréciée par les banques selon McKinsey[10], qui observe que, sur les 3 000 Fintech, seules 34% avaient un partenariat avec une banque en 2015, contre 47% en 2016. De nombreux exemples peuvent être cités : le groupe Banque Populaire et Caisse d’Epargne a racheté la banque en ligne allemande FIDOR ; Accenture organise tous les ans un « Fintech Innovation Lab » pour favoriser la rencontre entre des Fintech et une quinzaine de banques ; BNB Paribas a créé un accélérateur, et a incubé 8 startups qui seront chacune accompagnées par un métier bancaire du groupe[11]. Cela présente un double avantage : d’un côté les Fintech ont accès à de la data, des conseils de professionnels et n’ont pas à se soucier de l’acquisition de clients, et de l’autre les banques intègrent rapidement ces innovations dans leur fonctionnement.

Focus sur les Banques de Financement et d’Investissement ( BFI)

Comme nous l’avons vu dans mon article « De la Fintech à la Fintech 2.0 » les activités des banques de détail (retail bank) sont essentiellement visées par les Fintech. Les marges y sont plus importantes, ce qui permet aux Fintech de casser aisément les prix tout en restant rentables[12]. Mais cette stratégie est à nuancer pour ce qui est des activités des BFI. Les marges y sont plus faibles et maîtrisées, et ne comptent que pour 17% en moyenne dans le PNB des banques universelles[13] (produit net bancaire : désigne le chiffre d’affaire des banques). Environ 75% des Fintech proposent des activités de banques de détails et s’adressent à des particuliers ou des PME, alors que seulement 15% ciblent les BFI[14] en B2B. Si aujourd’hui la menace des Fintech sur les BFI se fait moins sentir, la numérisation de ces dernières n’en reste pas moins urgente. Didier Valet, directeur de Société Générale CIB, affirme que les grandes entreprises et les investisseurs institutionnels souhaitent, au même titre que les particuliers, profiter de la numérisation des services et d’une interaction simplifiée avec les banques[15]. De son côté, BNP Paribas trouve dans le numérique, un moyen de réduire ses coûts en industrialisant ses processus informatiques et opérationnels.

Ainsi, le numérique peut être une réponse à la réduction des marges des BFI provoquée par la crise de 2007. Il est donc difficile aujourd’hui d’affirmer que la numérisation des BFI est essentiellement motivée par l’apparition des Fintech, qui ne semblent pas concentrer leur développement sur les activités d’investissement et de financement.

[1] Etude McKinsey & Company, page 9

[2] Etude McKinsey & Company, page 24

[3] Alexandre, Banque et Intermediation Financière, p238

[4] Cours BIF — M1 Dauphine : Contexte réglementaire

[5] Etude Bpifrance Fintech

[6] Alexandre, Master 1 Finance — Cour BIF — La banque et ses métiers

[7] Etude Bpifrance Fintech

[8] Etude ACPR & Banque de France

[9] Etude Bpifrance Fintech 2016

[10] Etude McKinsey & Company

[11] BNP Paribas (Lederer)

[12] Les Echos

[13] Etude ACPR & Banque de France

[14] Etude McKinsey & Company

[15] La Tribune -Lejoux

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Marie-Alix Deval
MTI-Review

@Master_MTI @Paris_Dauphine & @MINES_ParisTech. Ex Analyste #Innovation et #investissement @Bpifrance. Ex Master #Finance. Intérêt #Startup #Innovation #VC