Le Knowledge Management, un enjeu de transformation pour les entreprises

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10 min readOct 28, 2019

Introduction

A l’heure de la transformation digitale, les entreprises doivent réussir à traiter et utiliser l’ensemble des informations qu’elles créent et/ou reçoivent continuellement. En effet, l’économie mondiale repose sur une forte concurrence qui impose aux entreprises d’innover constamment. Les cycles de vie des produits deviennent de plus en plus courts et la survie des entreprises est déterminée par leur capacité d’évolution rapide. Le management de l’innovation, en mettant en place des techniques et dispositifs de gestion, permet de créer des conditions plus favorables au développement d’innovations concrètes. Cela passe également par une meilleure mobilisation des connaissances présentes dans et hors de l’entreprise.

Cependant, les nouvelles façons de travailler (télétravail, dispersion géographique) ainsi qu’un marché du travail complexe (plans de licenciements économiques, impermanence de la relation entreprise un employé et son entreprise) rendent difficile la création, l’échange et la conservation des connaissances dans les entreprises. C’est pour faire face à ces problèmes que certaines entreprises se sont engagées dans la mise en place de politique de gestion des connaissances.

Le Knowledge Management (KM) peut être défini comme l’ensemble des actions systématiques et organisées qu’une entreprise réalise pour obtenir une plus grande valeur des connaissances dont elle dispose. Historiquement, elle se rapprochait plutôt de la gestion documentaire car elle consistait surtout à organiser la conservation des documents internes et à capitaliser les documents externes pouvant être jugés utiles. Dans les années 80–90, principalement aux Etats-Unis, les premiers vrais progrès entraînent le développement de formations propres et la création du rôle de Knowledge Manager dans les entreprises. Les années 2000 permettent un tournant dans le traitement de données au sein des documents internes ou externes grâce à l’arrivée du web et d’Internet. Le 18 janvier 2005, la loi de programmation pour la cohésion sociale avec notamment la Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences (GPEC) est promulguée et la gestion des connaissances devient une obligation pour les entreprises. Cependant, la gestion des connaissances est souvent la grande oubliée des projets de transformation en entreprise car elle est considérée, parfois à juste titre, comme trop structurante, impliquante et complexe à déployer.

La gestion des connaissances, un enjeu de transformation des entreprises

Avant de rentrer dans le détail, définissons ce qu’est une connaissance.

Aujourd’hui, les médias et les fournisseurs de solutions technologiques évoquent un avenir prometteur lié aux données. Cette vision simplificatrice amène les entreprises à surinvestir sur les solutions d’acquisition et de stockage de données, qui représentent un coût, et à sous-estimer les efforts à consacrer au dispositif humain permettant de donner du sens aux données, pour qu’elles deviennent des informations, puis des connaissances et compétences facilitant une prise de décision ou une action sur une activité dans un processus.

Modèle de Jean Yves PRAX, 2003

La valeur véritable n’émerge que s’il y a une appropriation humaine et un usage individuel et collectif : le management des connaissances s’intéresse ainsi aux modalités permettant de développer la valeur des données.

Bien que l’application du KM puisse prendre de nombreuses formes, les mises en œuvre opérationnelles s’appuient principalement sur les travaux de Nonaka et Takeuchi. Ils différencient les connaissances tacites, qui sont les connaissances que possèdent les individus donc difficilement transmissibles, des connaissances explicites qui sont celles formalisées et transmissibles sous forme de documents réutilisables. Selon ces derniers, les connaissances s’échangent selon 4 types de flux :

  • la socialisation, qui est la transmission des connaissances tacites et s’opère par l’expérience (échanges verbaux, observation, imitation et pratique)
  • L’externalisation, qui est la transformation des connaissances tacites en connaissances explicites sous la forme de concepts, modèles ou hypothèses (rédaction d’une présentation de ses travaux, exprimer un consensus sur le choix d’une solution à un problème)
  • L’internalisation, qui est le processus inverse : appropriation de connaissances explicites pour les utiliser dans un contexte différent/spécifique (lecture de documents, présence à une réunion d’équipe hebdomadaire)
  • La combinaison, qui est l’agrégation de connaissances explicites provenant de différents canaux pour créer de nouvelles connaissances explicites (diffusion d’un tableau croisé dynamique, rédaction d’un compte-rendu de réunion)

Modèle SECI de la création de connaissance selon Nonaka et Takeuchi, 1991

Nonaka et Takeuchi montrent que l’innovation dans les processus de fabrication peut être favorisée si certaines connaissances tacites sont rendues explicites. Cependant, il peut s’avérer très inefficace de chercher à formaliser systématiquement toutes les connaissances possibles. En effet, toutes n’ont pas vocation à être réutilisées et les connaissances tacites ont surtout de la valeur lorsqu’elles sont partagées et mises en pratique (sans oublier que les compétences ou savoir-faire sont difficilement formalisables !). Deux démarches ont finalement émergé : la capitalisation et la collaboration. Ces deux approches sont plus orientées vers le partage et l’échange de connaissances tacites.

La capitalisation part du principe que les connaissances représentent un ensemble de richesses qu’il faut utiliser de manière à augmenter la valeur du capital de l’entreprise. Elle vise donc à sauvegarder les connaissances acquises et détenues par les collaborateurs dans la pratique quotidienne de leur activité (notamment savoir-faire et retours d’expérience). On parle d’ailleurs de capitalisation « sur » les connaissances. Concrètement, le but est de recueillir, mettre en forme et rendre disponibles les connaissances des collaborateurs qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. Il existe de nombreuses méthodes pour capitaliser les connaissances critiques de l’entreprise (REX, CYGMA, CommonKads, MASK, MOKA, CBR, etc.), qui peuvent être réparties en deux catégories : les méthodes de modélisation et les méthodes de capitalisation des retours d’expérience. Les premières ont pour finalité la cartographie des connaissances tandis que les secondes visent à porter un regard critique sur la démarche développée, les productions réalisées et le rôle des acteurs lors de projets afin d’éviter d’en répéter les erreurs ou dysfonctionnements dans le futur.

La collaboration est l’une des meilleures manières d’améliorer l’échange d’information car elle joue sur la communication directe. L’échange direct est un acte naturel par lequel les individus transmettent leurs connaissances, en créent de nouvelles et apprennent. Concrètement, la mise en place d’un contexte favorisant la collaboration entre employés passe par le développement de communautés de pratiques. Ces dernières se constituent lorsque des professionnels se regroupent pour échanger des informations et leurs expériences, relatives à un sujet particulier ou à leurs activités. Au sein de ces communautés, les membres peuvent coopérer pour résoudre un problème ou encore construire des pratiques communes. La participation à de telles communautés est totalement libre et volontaire, ce qui les différencie des autres types de communautés présentes dans l’entreprise (par exemple : les équipes projet, une structure métier ou encore un réseau).

Le Knowledge Management, la réponse à tous les problèmes ?

Le premier avantage qui est donné par tous les experts en gestion des connaissances est la pérennisation des savoir-faire de l’entreprise afin de la protéger des départs de ses collaborateurs. En effet, en formalisant, regroupant et rendant accessible la connaissance, l’entreprise est moins dépendante du savoir d’un individu ou groupe d’individus. Elle est aussi en meilleure capacité d’accélérer l’apprentissage et l’intégration de nouveaux arrivants.

Le regroupement de connaissances, grâce à des outils numériques (répertoires partagés par exemple) et/ou intranets, facilite leur réutilisation et leur partage. La mise en visibilité des savoir-faire permet aussi de valoriser les experts : ils sont donc incités à faire connaître et à partager leur expertise.

Les travaux de Nonaka et Takeuchi ont montré que l’innovation est fortement influencée par la transformation et la combinaison de connaissances de natures différentes (explicites VS tacites). Ainsi, favoriser le partage entre collaborateurs, notamment entre les différents services de l’organisation, aura un impact positif sur la capacité d’innovation de l’entreprise.

Enfin, rendre la connaissance plus accessible va permettre d’améliorer la prise de décision. En effet, des outils de Knowledge Management permettent de tracer les raisons d’une décision et de faciliter les retours d’expérience. Cela permet de diminuer la subjectivité des décideurs ainsi que leur temps de décision.

Cependant, la transmission explicite ne saurait remplacer l’expérience individuelle, l’erreur et l’apprentissage qui sont des modes importants de création des connaissances personnelles (tacites). La formalisation de toutes les connaissances de l’entreprise pourrait alors n’avoir aucun apport pour l’organisation. De plus, la formalisation extrême des connaissances risque de limiter la création de nouveaux savoirs (et leur partage) du fait de procédures trop strictes à suivre. Or, la création doit éviter les modèles préconçus afin de s’exprimer complètement (« think outside the box »).

Enfin, les apports de la gestion des connaissances sont difficiles à anticiper et à chiffrer, ce qui rend les entreprises réticentes à la mettre en place. De plus, elle doit souvent s’accompagner d’un changement organisationnel ou du moins culturel, qu’elles ne sont pas forcément prêtes à embrasser.

Lien avec le management de l’innovation

Selon Gloet et Terziovski, le processus d’innovation dépend fortement des connaissances tacites. Un savoir nouveau est créé et génère de nouveaux produits, services ou processus grâce à la transformation d’un savoir général en un savoir spécifique. Dans les années 90, Nonaka montre aussi que la connaissance est un prérequis pour l’innovation et plus généralement la compétitivité d’une entreprise.

Si l’entreprise permet de créer de la valeur, c’est aussi à présent l’homme qui devient le facteur de différenciation concurrentielle. Ce sont les humains qui prennent les décisions stratégiques, qui trouvent de nouvelles idées, qui ont le monopole de la créativité (les machines ne sont pas encore suffisamment développées pour le faire aussi bien). L’intelligence collective désigne la capacité d’un groupe à faire converger les intelligences vers un but commun par des interactions et la création de synergies. Les entreprises s’intéressent à ce concept car il permet de mettre en relation des individus ayant des expertises différentes afin de résoudre des problèmes/situations bloquées. C’est un état d’esprit qui est notamment favorisé par la gestion des connaissances.

Le management des connaissances, qui vise à faciliter l’émergence et le partage de connaissances au service d’une finalité d’entreprise, est donc une composante essentielle du management de l’innovation.

Implémenter le Knowledge Management dans son entreprise

Jusqu’ici, un aspect a été volontairement laissé de côté : l’impact de la gestion des connaissances sur l’organisation de l’entreprise et notamment sur les collaborateurs. Mettre en place le Knowledge Management centré sur les individus n’est pas simple : c’est un processus à long terme.

Les avantages et limites évoqués plus haut ont montré que le Knowledge Management peut être un outil formidable pour permettre l’innovation mais qu’il peut aussi paralyser le processus de création. Il y a donc un équilibre à trouver entre les deux extrêmes. Pour que la gestion des connaissances réussisse, elle doit exploiter ce qui est important pour les travailleurs, ce qui leur apporte de la valeur dans leur activité professionnelle. Si l’initiative est trop importante, elle risque d’être trop générale, trop abstraite pour générer la participation des individus. Cependant, si l’initiative est trop restreinte, il se peut qu’elle ne soit pas suffisante pour générer des synergies entre les collaborateurs.

Si le Knowledge Management peut être enrichissant à moyen ou long terme, il est cependant nécessaire d’investir des ressources financières, temporelles et humaines dès le début. Un projet d’une telle envergure implique aussi un changement dans le management mais également un support inconditionnel de la hiérarchie. Dans une entreprise où la hiérarchie est imposante, un manque d’engagement visible de la direction peut freiner voire empêcher la mise en place d’une initiative de gestion des connaissances. L’engagement du leadership peut s’exprimer par exemple par la valorisation transparente des experts et collaborateurs seniors. Un autre exemple peut être la mise en place de récompenses pour les activités de gestion des connaissances (par exemple : valoriser les projets qui réalisent des retours d’expérience et les partagent à l’ensemble de l’entreprise).

Toutefois, les organisations ne peuvent commencer à gérer efficacement leurs connaissances que lorsque les employés sont prêts à partager leurs connaissances. Deux variables influencent principalement cette disposition à partager : la confiance des collaborateurs entre eux et en la hiérarchie et la motivation à partager. Sans raison valable, la plupart des collaborateurs ne vont pas se partager des connaissances s’ils ne se font pas confiance. La motivation augmente l’intention de partager du fait d’une satisfaction particulière ressentie pendant/après le partage. Ces deux aspects sont à prendre très au sérieux par la direction. La mise en place de sponsors à différents échelons de l’entreprise peut être une première idée. Une communication régulière et transparente est aussi un facilitateur d’instauration d’un climat de confiance.

Un dernier point, et non des moindres, est la nécessité de mettre en place un accompagnement et des formations des utilisateurs. Les participants doivent développer les compétences en gestion de la connaissance afin de participer efficacement à la mise en place du KM. Or, la dimension humaine de la démarche de Knowledge Management est celle qui demande le plus de temps et d’attention. En effet, les collaborateurs ont besoin de temps pour comprendre les concepts de la gestion des connaissances, pour maîtriser les différents outils et pratiques et enfin pour capitaliser au maximum.

Conclusion

Mettre en place une gestion des connaissances efficace s’inscrit ainsi dans une stratégie d’entreprise beaucoup plus large car cela nécessite souvent un changement dans la culture de l’entreprise. En effet, on ne se décrète pas collaboratif et knowledge-oriented du jour au lendemain. Cette stratégie doit être réfléchie en amont avec une étude de l’état des lieux et la définition des principes directeurs du Knowledge Management. Elle nécessite aussi d’impliquer l’ensemble des collaborateurs et de valoriser les pratiques de gestion des connaissances qui émergent afin qu’elles se propagent au reste de l’entreprise. Il faut insister sur le fait que la gestion des connaissances est une problématique permanente dans les entreprises, qui devrait imprégner la fonction de management. En effet, sur le long terme, le management de proximité en catalysant les processus d’innovation et de capitalisation des connaissances sera un des premiers relais des bonnes pratiques et un acteur majeur de la transformation des connaissances tacites en connaissances explicites. Tous ces éléments montrent que le Knowledge Management est devenu un élément déterminant du management de l’innovation d’une entreprise et, plus largement, de la stratégie globale de l’entreprise.

Par Aude Beaufils élève de la promotion 2019

Les propos tenus dans cet article n’engagent que son auteur et non le MTI Review

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