Les innovations qui ont fait la peinture

MTI Review
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4 min readMar 9, 2021
Crédit photo : Aline Morestin

Innover suppose de réussir à jeter un regard différent sur le monde. Cette aptitude est également celle des artistes, capables de traduire les évolutions sociotechniques dont ils sont témoins en révolutions artistiques. Aujourd’hui, on vous emmène dans un voyage au cœur de la peinture, à la recherche des révolutions qui ont marqué la pratique. A l’heure où la culture étouffe, cet article est également l’occasion de rappeler la singularité des clés de lecture qu’offre l’art dans la compréhension des enjeux soulevés par l’innovation.

🖼 La Renaissance et le souci du réalisme

Si la Renaissance est considérée comme l’âge d’or de la peinture, c’est qu’elle a été témoin de ruptures révolutionnaires. En opposition avec le symbolisme de l’époque, les artistes cherchent à reproduire la réalité dans ses moindres détails ; c’est en partie pour répondre à la demande du marché de l’art de l’époque, dominée par la commande de portraits. Une innovation historique marque ce tournant : le passage de la peinture dite a tempera, à base de jaune d’œuf, à la peinture à l’huile. Le hollandais Jan Van Eyck est reconnu par de nombreux historiens de l’art, dont Giorgio Vasari, comme le précurseur de cette technique. Si ses tableaux fourmillant de détails inspirent des artistes comme Le Caravage, c’est que la peinture à l’huile bouleverse les possibilités. Elle permet des nuances beaucoup plus subtiles, mais offre aussi une meilleure résistance au temps en emprisonnant les pigments dans la toile. Car oui, le support à lui aussi changé ; les planches de bois encombrantes laissent place à la toile tendue marouflée, moins chère et plus transportable. Elle rend aussi possible la réalisation d’œuvres plus grandes où les nouvelles techniques, comme la perspective ou le sfumato, un subtil jeu avec la lumière instaurant une atmosphère vaporeuse, se développent.

📸La fin du XIXème et la redécouverte de la lumière

Le XIXème siècle est marqué par le développement de la chimie ; les pigments deviennent plus riches, les rendus gagnent en intensité. Mais LA grande révolution de l’époque, c’est l’invention du tube de peinture en étain qui permet aux artistes de quitter leur atelier. Le travail en extérieur instaure une certaine rupture, comme en témoigne l’héritage des impressionnistes. Les nymphéas de Claude Monet sont une parfaite illustration du mouvement, tant par ses jeux de lumière travaillés à la touche fragmentée, que par ses dimensions et la pureté des couleurs. Si le tube impacte durablement la composition des tableaux, une autre innovation de l’époque vient perturber les artistes ; c’est la photographie. Grande concurrente de la peinture, elle pousse ces derniers à se réinventer. Cette influence se remarque dans le nouveau cadrage des tableaux ; les toiles de Renoir illustrent cette précision portée à la prise de vue. En somme, « plus la photo devient nette, plus la peinture devient floue ». Cette tendance se confirme avec Van Gogh puis avec George Seurat, l’inventeur du pointillisme, qui pousse la compression de l’image jusqu’à la pixellisation. Plus largement, ces renouvellements artistiques démontrent avec brio l’influence des innovations techniques sur l’Art.

🎨Le XXIème et l’influence du progrès

Cette constatation prend toute son importance au XXème siècle. Les avancées technologiques, sociales et culturelles sont sans précédent ; la vitesse qui accompagne la notion de progrès fait bouger les repères, distord le réel. C’est le terreau idéal pour la naissance de l’art abstrait. Du détournement de la perspective avec le cubisme, aux œuvres totalement abstraites d’un Kandinsky ou d’un Miro, chacun tente de s’approprier son époque. La théorie de la relativité ou la mécanique quantique ne sont que des exemples d’inspirations, symbole d’une réalité difficile à appréhender. Au cœur de cette ébullition, la position du peintre évolue. Alors que le marché de l’art a longtemps été financé par les mécènes et autres commanditaires, plaçant les maîtres dans un statut de maître d’œuvre, la modernité vient une fois de plus bouleverser les règles. Progressivement, le statut d’artiste devient absolu. Le concept d’innovation artistique prend consistance. L’exploration est sans limite, comme en témoignent les œuvres des surréalistes à base de fumage ou de sablage.

Ce flirt avec les limites est par ailleurs ancré dans l’ADN du Street Art. A mi-chemin entre le vandalisme et l’art populaire, son statut juridique encore flou le rend particulièrement intéressant pour étudier le contexte de naissance des innovations. Lorsqu’il apparaît en France, le writting à la bombe aérosols envahit les murs des villes. Dans un contexte social tendu, marqué par les actions d’SOS Racisme, il est très rapidement associé à l’insécurité ; les artistes doivent se cacher pour pratiquer leur art. Cette illégalité n’empêche pas le développement d’innovation, mais vient ajouter une contrainte au processus de création. D’acte répréhensible, il est aujourd’hui vers une forme d’art à part entière. Ainsi le Street Art investit des lieux publics, étoffe ses techniques comme avec l’invention de l’imprimante à graffiti programmable, s’invite sur de nouveaux supports comme le numérique à l’image du Neer Tag Quality…

Si les artistes sont indéniablement influencés par les innovations techniques qui leur sont contemporaines, la réciproque est également vraie. Alors que la crise de la COVID-19 met à mal le monde de la culture, il est important de rappeler le rôle crucial joué par l’Art dans le questionnement des innovations — et par extension, des évolutions sociales qu’elles induisent. Le dernier exemple en date : le débat sur le portrait d’Edmond Bellamy, une œuvre réalisée par l’intelligence artificielle du collectif Obvious en 2018. En explorant une potentielle intention créative chez les algorithmes, la toile interroge au-delà du monde de l’Art, permettant de porter un autre regard sur l’innovation.

PS : On a réussi à vous faire un article sur la peinture sans vous parler de Léonard de Vinci ou de Dali…

PPS : Merci à Antoine Michaud pour son aide précieuse.

Par Aline Morestin

Les propos tenus dans cet article n’engagent que leurs auteurs et non le MTI Review.

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