Nos amis les bactériophages

MTI Review
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8 min readMar 26, 2021

Une guerre de plus de 4 milliards d’années -la guerre la plus ancienne sur Terre- fait rage, tuant des trillions d’organismes chaque jour, sans que nous nous en rendions compte. Cette guerre est menée par l’entité la plus meurtrière de notre planète : le bactériophage, ou phage en abrégé.

« Bactério » pour bactérie et « phage » qui signifie manger donc des mangeurs de bactéries. Même s’ils ne les mangent pas véritablement, ce sont bel et bien des tueurs exceptionnels de bactéries.

Il faut savoir qu’il y a plus de phages sur Terre que tous les autres organismes réunis, y compris les bactéries. Vous en avez des milliards sur vos mains, dans vos intestins et sur vos paupières en ce moment même. Ce qui pourrait vous rendre nerveux puisque les phages sont responsables de la majorité des décès sur Terre. Mais vous avez de la chance, bien qu’ils commettent un génocide au petit déjeuner, ils ne tuent que des bactéries. Jusqu’à 40% de toutes les bactéries dans l’océan sont ainsi tuées par eux chaque jour. Cette catégorie de virus, représente donc le plus grand régulateur de bactéries sur Terre.

Habituellement, un phage choisit une bactérie spécifique, et peut-être certains de ses parents très proches. Les phages sont donc en général très spécifiques et ne vont pouvoir infecter qu’un seul type d’espèce.

Leur structure de base est constituée d’une tête, d’une gaine et de fibres caudales. Leur tête est un icosaèdre, une sorte de dé à 20 faces et 30 arêtes. Elle contient le matériel génétique. Leur génome peut être à ADN ou à ARN, mais ce qu’il faut savoir c’est que plus de 95% des bactériophages, connus jusqu’à présent, vont posséder un génome à ADN double brin. Les fibres de la queue servent à s’attacher à la cellule bactérienne. L’ADN stocké dans la tête se déplace ensuite le long de la gaine et est injecté à l’intérieur de la cellule.

Imaginez un phage comme un missile de croisière qui ne chasse et ne tue que les membres d’une famille très malchanceuse. Lorsqu’un phage trouve sa victime, il va aller s’amarrer, grâce aux fibres de sa queue à des récepteurs spécifiques de leur bactérie hôte et va injecter, avec une sorte de seringue, à travers la paroi cellulaire, leur génome. Une fois à l’intérieur de la cellule, le phage va détourner la machinerie cellulaire pour fabriquer de nombreuses copies de lui-même. Cela va donc obliger les cellules hôtes à répliquer leur ADN et donc à synthétiser de nouveaux phages. A la fin de la multiplication de ces phages, nous allons avoir ce qu’on appelle la lyse cellulaire de la cellule hôte. Dans cette dernière étape, les phages vont produire de l’endolysine, une enzyme puissante qui perce un trou dans la bactérie. Les nouveaux phages assemblés jaillissent ainsi de la bactérie, ce qui réinitialise le cycle de vie du phage et tue la bactérie par la même occasion.

Mais alors pourquoi est-ce que je vous parle de ces petits êtres et de leur méthode d’assassinat ?

Pour répondre à cette question, rappelons que dans le passé, une simple coupure ou une gorgée d’eau infectée pouvait nous être fatal. Les bactéries étaient en quelque sorte nos phages. De minuscules monstres qui nous chassaient sans pitié. Puis, il y a environ 100 ans, nous avons trouvé une solution. Par hasard, nous avons identifié des champignons qui produisaient des composés pouvant tuer les bactéries : les antibiotiques (coucou la pénicilline). Soudain, nous disposions d’une arme puissante pour nous défendre. En effet, les antibiotiques étaient si efficaces que nous avons cessé de considérer les bactéries comme un danger pour notre santé. Seules certaines catégories de personnes, notamment les personnes âgées et les plus vulnérables étaient tuées. Nous avons ainsi de plus en plus utilisé les antibiotiques pour des causes de moins en moins graves. Mais les bactéries sont des êtres vivants qui évoluent et, une à une, elles ont commencé à s’immuniser contre nos armes. Cette évolution s’est poursuivie jusqu’à ce que nous ayons créé ce que l’on appelle des “superbactéries”, des bactéries immunisées contre presque tout ce que nous possédons. Cette immunité se répand dans le monde entier en ce moment même. La résistance bactérienne cause de nos jours 33 000 morts par an en Europe, 23 000 aux Etats-Unis, 700 000 dans le monde et va potentiellement faire plus de 10 millions de morts par an en 2050.

D’ici 2050, les superbactéries pourraient ainsi tuer plus d’humains par an que le cancer. L’époque où une coupure, une infection de la vessie ou une toux pouvaient nous tuer est donc en train de progressivement revenir. Mais il s’avère que les phages, nos minuscules robots virus tueurs, pourraient nous sauver.

Ces dernières années, les bactériophages ont donc énormément attiré l’attention du deuxième être le plus mortel de notre planète : nous, les humains. Pourtant, cela fait un moment que nous connaissons ces organismes. En effet, ils ont été décrits pour la première fois en 1915, par un chercheur anglais, Frederick Twort, avant que le franco-canadien Felix d’Herelle, pense à les utiliser pour soigner des infections chez les humains. Il avait ainsi inventé la phagothérapie, le traitement par les bactériophages.

Vous pouvez ainsi vous poser la question suivante : nous connaissons ces organismes depuis plus d’un siècle, bien avant les antibiotiques mais nous ne les utilisons pas, pourquoi ?

Pour expliquer cela, les recherches sur les bactériophages ont été laissées de côté au profil des antibiotiques, notamment parce qu’ils étaient plus faciles à produire en grande quantité industrielle et que nous en avions besoin pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, nous avons récemment envisagé l’idée de les injecter dans nos corps pour nous aider à guérir des infections bactériennes. Les bactériophages se positionnent ainsi comme une solution au problème de la résistance bactérienne. L’idée ici n’est pas de remplacer les antibiotiques mais de trouver un moyen de soigner les infections causées par des bactéries sur lesquelles les antibiotiques ne marchent plus.

Mais attendez, comment injecter des millions de virus dans une infection peut être une bonne idée ?

Comme explicité précédemment, les phages sont des tueurs extrêmement spécialisés. Tellement spécialisés en fait, que les humains sont complètement immunisés contre eux. Les antibiotiques sont comme des bombes, tuant tout, même les bonnes bactéries de nos intestins que nous ne voulons pas endommager (lien article Microbiome : https://medium.com/mti-review/lhistoire-extraordinaire-du-microbiome-391f658be559). Les phages quant à eux, sont comme des missiles guidés qui n’attaquent que ce qu’ils sont censés attaquer.

Mais alors comment se déroule une phagothérapie ?

Un patient a une infection, et aucun traitement traditionnel ne fonctionne parce que la bactérie en cause est résistante aux antibiotiques. Nous allons réaliser un prélèvement au niveau de l’infection et l’envoyer au laboratoire pour analyse. Ils vont donc pouvoir trouver les bactériophages les plus efficaces sur ce type de bactéries. Une fois sélectionnés, le laboratoire prépare les bactériophages et les envoie à la pharmacie de l’hôpital qui soigne le patient. Ensuite, la pharmacie dilue tout cela en fonction du cas du patient. Pour les brûlures par exemple, il va falloir imprégner des pansements et les poser directement sur la zone à traiter. Mais dans le cas des infections ostéoarticulaires (touchant les os et les articulations), il faut parfois qu’un chirurgien opère. Il va venir ouvrir afin de bien laver avec le fameux liquide, et le laisser directement au contact de l’infection.

Vous l’aurez compris, nous parlons ici de traitements spécifiques, réalisés en fonction du cas de chaque patient et de la bactérie en cause. En plus des cas que nous avons déjà cité, cela va permettre de pouvoir soigner des infections plus graves, situées au niveau des pieds chez les diabétiques par exemple, qui sont particulièrement exposés ou encore dans le cas d’infections respiratoires ou cardiaques.

Les recherches ont repris dans plusieurs pays du monde et nous pouvons compter sur l’aide de l’Union Européenne qui investit massivement dans ce domaine pour aider à financer ces recherches qui sont souvent longues et coûteuses. Nous avons enfin pris conscience de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons face aux bactéries multi-résistantes. Ainsi, l’investigation de pistes complémentaires comme les phages, représentent des approches intéressantes et prometteuses dans la résolution du problème de la résistance bactérienne.

Alors oui, je vous vois les petits malins qui se posent, à juste titre, la question suivante : si on utilise des phages pour tuer les bactéries, celles-ci ne vont-elles pas développer des moyens de se défendre, à l’instar de la résistance aux antibiotiques ?

Eh bien, c’est plus complexe que ça. Les phages ont aussi évolué. Il y a une sorte de course aux armements entre eux et les bactéries depuis des milliards d’années et jusqu’à présent, ils s’en sortent plutôt bien. Cela fait des phages des armes intelligentes qui s’améliorent constamment pour tuer. Mais même si les bactéries étaient immunisées contre nos phages, nous pourrions encore gagner. Il s’avère que pour devenir résistantes à quelques espèces de phages, les bactéries doivent renoncer, en partie, à leur résistance aux antibiotiques. Nous pourrions ainsi être en mesure de les piéger dans une impasse. Cette méthode a déjà été testée avec succès sur un patient qui n’avait plus aucun espoir. La bactérie Pseudomonas aeruginosa, l’une des plus redoutées, avait infecté la cage thoracique de l’homme. Elle est naturellement résistante à la plupart des antibiotiques et peut même survivre à un gel alcoolisé pour les mains. Après des années de souffrance, quelques milliers de phages ont été insérés directement dans sa cage thoracique, en même temps que des antibiotiques contre lesquels la bactérie était immunisée. Après quelques semaines, l’infection avait complètement disparu.

Malheureusement, ce traitement est encore expérimental et les entreprises pharmaceutiques hésitent encore à investir les milliards nécessaires dans un traitement qui n’a pas encore été officiellement approuvé.

Il faut comprendre que nous n’allons pas vous donner des bactériophages pour soigner une petite otite ou une simple angine bactérienne. Nous parlons ici de traitements dits exceptionnels. Qui fonctionnent sur des bactéries résistantes et qui sont utilisées quand aucun autre traitement n’est efficace.

Mais les choses sont enfin en train de changer. En 2016, le plus grand essai clinique sur les phages à ce jour a débuté et les phages suscitent de plus en plus d’attention.

Il existe une grande diversité de phages et les questionnements sur comment choisir ou concevoir les meilleurs phages à utiliser à des fins thérapeutiques sont en cours. Le travail des chercheurs a d’abord été de sélectionner les bactériophages pour ne garder que les plus efficaces. Il faut ensuite les trier en fonction des types de bactéries auxquels ils s’attaquent. Puis, il faut les produire, processus qui prend généralement entre 2 à 3 mois pour fabriquer un lot. Et pour finir, il faut créer une espèce de bibliothèque de bactériophages conservés dans des armoires réfrigérées. Tout ce processus est très long.

Les recherches actuelles visent donc à répondre à la question de savoir ce qui fait un bon phage pour la phagothérapie. Grâce à la recherche sur les phages et à d’autres efforts, les scientifiques sont déterminés à vaincre la résistance antimicrobienne. Maintenant il faut obtenir les autorisations. Soit temporaire d’utilisation pour des cas très précis, soit une autorisation de mise sur le marché. Nous ferions mieux de nous habituer à cette nouvelle démarche, car l’ère où les antibiotiques ont été nos super armes touche à sa fin. C’est peut-être un concept particulier mais injecter l’être le plus mortel de la planète directement dans notre corps pourrait bel et bien sauver des millions de vies.

Hugo BARBARO

Les propos tenus dans cet article n’engagent que leurs auteurs et non le MTI Review.

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