Un medium au service de l’estime de soi : le retour du podcast

MTI Review
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8 min readApr 4, 2022

Le rapport de la voix avec l’interlocuteur est une question qui peut être soulevée dans de nombreux cas de notre vie quotidienne. Celle d’une annonce dans un aéroport qui fait l’injonction à un voyageur de rejoindre une porte d’embarquement, celle d’un prêtre célébrant la messe, la voix d’annonce automatique des stations de métro etc … Quelle est cependant le rapport émotionnel et personnel qui se noue autour de cette voix et de son public ? Dans le cas du métro par exemple, aucun, le ton est neutre, ne cherche en aucun cas à toucher et s’adresse sans aucune distinction à tout le monde. Dans le cas du podcast, le sujet choisi, les thèmes abordés autour de ce dernier, les interlocuteurs, l’espace de parole… Tous ces éléments jouent un rôle dans la connexion qui se noue avec l’auditeur. Dans cette perspective Dell Hymes, sociolinguiste et anthropologue américain ayant travaillé sur les langues amérindiennes du Nord-Ouest Pacifique a créé la grille d’analyse SPEAKING (Setting and scenes, Participants, Ends, Act sequence, Keys, Instrumentalities, Norms, Genre). Si ce modèle sert initialement à catégoriser des interactions linguistiques il peut se révéler intéressant de l’appliquer à l’analyse du podcast natif. En effet il s’agit bien d’une prise de parole avec des interactions à destination d’un auditeur. L’ensemble de ces éléments est prépondérant afin de comprendre ce qui va créer l’intimité entre le ou les locuteur(s) et les auditeurs. De cette façon il est important de définir ce qu’est l’intimité et dans quel cadre celle-ci peut naître. En effet si l’intimité semble être un terme évident à comprendre et traduisant des relations étroites, familières et profondes relevant de l’intériorité et du secret ; il semble nécessaire de soulever que ce terme comprend dans sa dimension même un paradoxe. En effet l’intimité du soi et l’intimité avec les autres sont deux notions très différentes, l’une suppose le plus grand retrait quand la seconde implique une ouverture sans limite avec un tiers. Partager une intimité serait donc donner accès à son intériorité de façon réciproque avec une personne. Cela supposerait alors l’exposition au regard des autres d’un cheminement intérieur propre et personnel qu’on appelle l’extimité.

Toute la complexité de la notion d’intimité avec le podcast relève de cette sélection scrupuleuse, de l’entre soi consenti. En effet un podcast enclenchant une discussion relevant de l’intime a donc pour but de faire de chaque auditeur un « intime ». C’est par le fait de révéler un peu de soi que l’auditeur se sent dans la confidentialité et noue une relation de confiance avec son locuteur, qui lui-même a choisi de faire confiance au public sans distinction si ce n’est celle de penser que ceux qui écouteront seront digne de confiance. L’extimité dans ce cas signifie un renoncement à l’intimité pour le locuteur. Il ne conserve plus de secrets. Que donne l’auditeur en échange ? Son temps pour l’écoute du podcast ? Son intérêt ? Ou encore son acquiescement supposé à la méthode du locuteur pour parler d’un sujet par lequel il se sent concerné ? Dans cette perspective le philosophe François Julien a proposé une généalogie de l’intime[1] en faisant remonter ce concept dans l’essence même du christianisme qui se tourne vers l’infini, Jésus dit dans la Bible « je suis dans le père et le père est en moi » Julien commente en disant qu’être en l’autre est une façon de dire que « le mur entre l’un et l’autre s’est levé ». Lorsque le locuteur s’adresse à son public à travers le podcast, sa voix imprègne l’auditeur, ses émotions, son ton, son rythme sont autant d’éléments qui s’inscrivent dans la tête de l’auditeur et lui font pénétrer l’histoire racontée de la façon la plus profonde possible.

Le Rapport de l’intime au sein du Podcast

La chaîne de production de podcast Nouvelles Écoutes a signé plusieurs podcasts relatifs à cette intimité notamment à travers la série « Qui m’a filé la chlamydia ». Une chronique en plusieurs épisode racontée par Anouck Perry qui commence son récit en expliquant qu’elle a reçu un message de David un ancien amour de vacances qui lui apprend qu’il a contracté la Chlamydia et qu’elle devrait donc se faire dépister. S’en suivent plusieurs épisodes d’enquête pour tenter de découvrir qui est la personne à l’origine de la transmission du virus. Le ton est léger malgré un sujet assez tabou. Provoquer une extimité par la révélation de l’intimité, voilà le but de cette série de podcasts. Le besoin de se révéler, de parler de soi mais sans tomber dans la pathologie de l’exhibitionnisme. Ici réside la vertu du podcast qui permet de cacher sa gêne derrière un ton choisi, assuré et assumé. Cette extimité peut être perçue dans le podcast comme une forme de catharsis. La narratrice purge le mal qu’elle a ressenti en contractant ce virus en en faisant une histoire suivie par les auditeurs et transformant son expérience intime en expérience universellement partagée, elle éloigne la solitude et la gêne. À la honte succède ainsi une rhétorique, une esthétique. En psychanalyse ce que Freud appelait l’Abréaction, est ce qui consistait en une réduction de la tension émotive lorsque l’affect et la verbalisation du souvenir font irruption en même temps à la conscience. Cela fait ici sens, car, par cette fonction de décharge émotionnelle, la narratrice va chercher dans son intimité l’affect lié au souvenir traumatique et s’en libère en le partageant avec son auditoire, par là-même elle supprime les effets pathogènes de son expérience. Le psychiatre Serge Tisseron s’est ainsi intéressé à ce phénomène en le décrivant comme « le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime autant physique que psychique (…) ce qui consiste à communiquer son monde intérieur ». Ce besoin précède l’abréaction de Freud en ce qu’il est un ressenti puissant d’extérioriser des éléments de sa vie afin de mieux se les approprier et les intérioriser au sein d’une forme de communauté créée avec ses proches. Ceux que l’on appelle les « intimes ».

[1] De l’Intime, loin du bruyant amour, François Julien, Le livre de poche 2013, ISBN 2246805236, 9782246805236

Le péril d’une surexposition consentie

Selon Tisseron ces deux notions sont indissociables d’une troisième qui est l’estime de soi. Le fait pour le locuteur de raconter des éléments appartenant à son intimité dans un podcast a supposé un travail en amont d’abord avec lui-même puis matériellement avec la construction du podcast, sa mise en forme, la bande son utilisée, les détails permettant un reflet juste et dirigé de l’intimité du locuteur vers son public. Le locuteur est d’accord pour faire rentrer le public dans son intimité mais pas n’importe comment et pas à n’importe quel prix. C’est à ce moment-là que l’on saisit ce que l’auditeur paye au locuteur : le prix de l’estime de soi. Le rapport d’intimité ne se crée, en effet, pas avec tout le monde. Un candidat de téléréalité particulièrement touchant créera un engouement et une relation d’estime et de bienveillance plus forte qu’un candidat détaché ou avec une personnalité peu révélée. Ce qui caractérise le point de départ du triptyque intimité/ extimité/ estime de soi est donc bien à la base la prise de risque d’une révélation entière et sans concession. Celle-ci est la preuve d’une honnêteté et d’une dévotion sincère du locuteur envers son public, du candidat envers les téléspectateurs. À cet égard Serge Tisseron a publié en Août 2001 un ouvrage intitulé « l’intimité surexposée » traitant du Loft story, expérience télévisuelle inédite en France à cette époque. Le désir d’extimité est né au sein d’une génération quittant une société patriarcale marquée par la peur de la sanction pour une société de la surveillance entraînant davantage une peur de l’abandon. Chacun cherche à être visible et à toucher l’autre, à provoquer une réaction en révélant une part maîtrisée de son intimité. Ne pas être surveillé, ne plus être regardé, c’est n’être plus intéressant. Ne plus susciter ce culte du « stalking » qui fait de chacun des êtres « stalkés » des personnes reconnues par leurs paires comme légitime à exercer leur extimité, c’est prendre le chemin de l’oubli. Être abandonné, sortir des écrans radars, tel est devenu dans un monde ou les personnes sont devenus des marques et où les marques s’affichent sur des personnes, le nouveau mal social.

Cette course à la visibilité est symptomatique du besoin de l’Homme de connaître et d’être reconnu. Toutefois la surreprésentation de l’image dans nos sociétés d’écran est devenue étouffante et a pu nuire à l’extimité et son but initial d’atteinte de l’estime de soi. En effet désormais l’extimité est devenue la règle. La condition sinéquanone d’un programme télévisuel réussi, d’une personnalité publique appréciée, d’une marque reconnue. Des « Marseillais », programme de téléréalité mêlant vie intime des candidats et aventures au bout du monde à McDonald’s et ses rubriques « Nutrition » et « Environnement » sur son site web, la démarche est la même : surexposer et ne laisser aucune obscurité au public sur le fonctionnement, les enjeux profonds, les rapports de fond. Cependant cette stratégie si elle s’est avérée payante sur certains points n’a pas éloigné la critique. Au contraire, la téléréalité est toujours considéré par beaucoup comme de la télé poubelle, tandis que McDonald’s ne quitte pas son image de « mal bouffe ». Les efforts pour donner le plus à voir au public/consommateurs sont-ils vains ? L’excès d’extimité nuirait-il à l’extimité ? En effet provoquer une surexposition permanente de son intimité par la peur d’être invisible crée une surveillance permanente des individus entre eux. Nous sommes surexposés au regard des autres. Au travail dans les open space, sur les réseaux sociaux, à travers les datas détenus par des entreprises ou l’État. C’est la société panoptique décrite par Foucault.

Dans ces excès d’exposition, le podcast semble conserver une certaine dimension artisanale coupé d’enjeux financiers et publicitaires. Des médias tels que la télévision ou même YouTube nous font plonger dans leur univers parallèle fait d’expériences, de réalisations et de rencontres hors du commun. La publicité, les marques : c’est le commun. Ce à quoi nous sommes soumis tous les jours, dans le métro, dans les abribus … L’intrusion de ce monde du commun dans le monde de l’imaginaire coupe l’effet de « suspension de l’incrédulité » défini par Coleridge dans « Biographia Literaria » en 1817. Le podcast loin d’être un médium dépassé ou de seconde zone entretient sa part de retrait pour conserver une marge de manœuvre large et un rapport avec son public direct et sincère. La réelle intimité semblerait désormais entretenir un rapport privilégié avec l’oralité qui ne travestit pas les propos par une image qui détourne l’attention de l’auditeur. La concentration se fait sur le cœur du sujet, l’envoutement opère et enferme l’auditeur et le locuteur dans un rapport intime. Cette intimité laisse transparaitre des émotions. Ces émotions traduisent une révélation de soi : l’extimité apparait. L’extimité est reçue de façon bienveillante par le locuteur et les auditeurs qui se sentent libres et en sécurité dans leur sphère d’intimité : chacun fait l’expérience d’un partage sincère, l’estime de soi naît. Le conteur fini son histoire et s’en va satisfait d’avoir laissé une part de rêve et d’intrigue dans l’esprit de son auditoire, l’auditoire quitte les lieux songeur et troublé, il sait avoir appris quelque chose de nouveau.

Par Raphaël Le Grand

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