La covid-19 : un facteur d’ouverture des musées ?

Morgane Guichard
museonum
Published in
9 min readMay 23, 2022

Durant la pandémie de la covid-19, les institutions culturelles et muséales ont dues faire preuve d’esprits d’innovation pour maintenir une activité et un contact avec le public. La nécessité faisant loi, les musées ont dû s’adapter à leurs nouvelles contraintes, que cela soit la fermeture des établissements, les jauges de visiteurs ou les contraintes d’hygiène. Pour répondre à ces difficultés le numérique et en particulier Internet ont semblé s’imposer comme une solution. L’utilisation de sites web et des réseaux sociaux par les musées sont maintenant devenus la norme pour entrer en contact et maintenir le lien avec les publics.

D’autres solutions innovantes ont aussi été mises en place par les musées et il semble temps -maintenant que la situation dure depuis plus de deux ans- de faire un état des lieux de ces dernières.

Les solutions les plus rapides et faciles à mettre en place sont les activités artistiques proposées sous la forme d’article de blog sur les sites des musées. Un excellent exemple de la vitesse de sa mise en place et par de sa pérennité est celui du Musée d’art de Joliette. Ce dernier a su mettre en place, dès le premier confinement canadien, des articles de blogs hebdomadaires visant à stimuler la créativité des visiteurs et a réalisé des expositions d’œuvres amateurs qui leurs ont été envoyées. Ces activités sont encore maintenues par le musée bien que ce dernier soit réouvert, la fréquence des ateliers a juste diminué d’une fois par semaine à une fois par mois. Les expositions prennent souvent la forme de galeries de photographie mais dans le cadre de l’exposition « Heures créatives », les œuvres ont été exposées dans une salle modélisée en trois dimensions, dans laquelle le visiteur peut se déplacer librement.

Une autre solution qui a souvent été mise en place par les musées est celle de la visite virtuelle. Si la visite virtuelle d’une collection date d’avant la pandémie, le nombre de visites qui ont donné lieu à la production d’une version en ligne a augmenté radicalement pendant l’épidémie. De nombreux musées ont fait le choix d’afficher leurs expositions en ligne pour deux raisons. Premièrement, les musées ont pu profiter de leurs fermetures au public — ce qui est au demeurant très regrettable — pour réaliser les prises de vues nécessaires de leurs collections déjà en place. Deuxièmement, pour le cas des expositions, l’obligation de fermeture imposée par les gouvernements les a poussés à offrir une version numérique afin que celles-ci puissent rejoindre un public. Selon cette logique, le Musée des civilisations et de la Méditerranée présente sur son site web l’exposition « Folklore » qui n’a pas pu être ouverte au public à causes des restrictions sanitaires. L’exposition du Musée des Beaux-arts de Montréal, « Ecologies : ode à notre planète », constitue un exemple québécois d’un exposition déployée dans les murs et sur le web, au milieu de la pandémie, alors que les musées subissaient des périodes d’ouverture et de fermeture impossibles à anticiper.

Une autre activité proposée par les musées pour interagir avec leurs publics sont les créations de GIFs et de memes animés à partir de leurs collections. Ces offres ont pour volonté de toucher un public jeune, souvent peu consommateur d’offre muséale. Cela a aussi comme avantage de permettre aux participants de s’approprier les collections des musées et de les partager sur leurs réseaux sociaux, ce qui l’expérience d’autant plus intéressante pour les musées. Ainsi, le Musée de Bretagne a proposé sur son site web des tutoriels pour aider à la création de gifs. Il a aussi mis en place un partenariat avec un artiste de la région, Yann Peucat, pour mettre en avant les possibilités d’un tel médium. Ce faisant, le musée rejoignait le modèle d’Europeana qui avait créé en 2013 une compétition de gifs animés, Gif It Up, et dont le nombre de musées partenaires a sensiblement augmenté en 2020. Cette compétition a permis à toutes les institutions muséales partenaires de faire connaitre leurs collections à une échelle internationale, grâce à la participation des institutions mais aussi du public car les participants étaient encouragés à partager leurs gifs sur les réseaux sociaux.

Toutes ces solutions ont permis aux musées de conserver un contact avec leurs publics mais aussi, dans certains cas, d’élargir la zone géographique de ces derniers. Les sites internet des musées étant accessibles pour les internautes originaires de n’importe quelle zone géographique, les musées ont alors pu toucher un public bien plus large que leur public initial. Cette logique est particulièrement importante pour les petits ou moyens musées qui ont alors pu concurrencer des institutions de plus grande taille. Ainsi, le Musée Pointe-à-Caillière a vu le public de ses ateliers de médiation culturelles pour les scolaires s’étendre à des écoles de Nouvelle-Écosse qui en temps normal ne se seraient jamais déplacés sur le site du musée (Annick Deblois, 2022).

On peut cependant noter que la plupart des musées qui ont choisis de produire des activités en ligne étaient des institutions qui avaient déjà entamé un processus de numérisation et d’ouverture de leurs collections au public en utilisant Internet. Ainsi, le Musée d’art de Joliette avait déjà entrepris une réflexion sur se présence en ligne qui accompagnait le renouvellement de l’institution : nouveau bâtiment, nouvelle direction générale et nouveau conseil d’administration. De la même manière, le Musée de Bretagne avait déjà procédé à la mise en ligne en accès libre de l’ensemble de collections en 2017 à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine.

Cependant, des musées qui disposaient déjà une forte présence et ouverture en ligne n’ont pas obligatoirement changé leurs politiques et leurs actions. Le Rijksmuseum n’a par exemple pas changé sa plateforme Rijkstudio durant la pandémie et la fermeture de ses portes.

À l’inverse, cette crise a renforcé la demande d’offre en ligne chez le public et a forcé des musées dont les collections restaient relativement fermées à les ouvrir au public. Le Louvre a ainsi finalement lancé en 2022 la plateforme en ligne contenant sa collection — qui ne présente malheureusement qu’encore qu’une partie de cette dernière. Même si c’est un net progrès, on peut également regretter l’absence de reconnaissance du domaine public et le fait que certaines notices descriptives des œuvres sont incomplètes, les dimensions des œuvres n’étant pas toujours mentionnées.

Les avantages de l’ouverture des collections des musées pendant une période de fermeture des institutions sont nombreux. Tout d’abord, cela permet aux musées d’offrir à leurs publics la possibilité de mieux les connaitre via les œuvres qu’ils possèdent. Cela donne aussi une bonne occasion aux musées de renforcer leurs communications autours de cet événement. Cela permet en plus aux musées de permettre à leurs visiteurs de s’approprier les colletions via des remix, gifs ou autres objets numériques et que ces derniers soient partagés.

L’ouverture des collections vient cependant poser deux questions qui ne peuvent être ignorées. La première est celle de l’impact de cette numérisation et propagation sur l’aura des œuvres. Selon Walter Benjamin (1936), chaque œuvre possède une aura inhérente issue en grande partie du geste artistique et physique qui l’a créée. En suivant cette logique, l’auteur ne remet pas en cause l’aura des reproductions faites manuellement des œuvres mais les reproductions photographiques. Ces dernières, ne nécessitant pas de geste artistique réel et étant reproduisible un nombre infini de fois sont selon lui des facteurs de diminution d’une œuvre. L’aura serait alors aussi issue de l’aura de mystère qui entoure une œuvre. Cette logique est probablement au moins en partie fondée quand on pense au sentiment de déception rencontré par de nombreux visiteurs du Louvre face à La Joconde, ces derniers s’attendant souvent à un tableau plus impressionnant visuellement.

Pourtant, on peut se demander quelle est la réelle aura d’une œuvre totalement inconnue du public. La majorité des visiteurs de musée s’y rendent dans le but de voir une œuvre ou une exposition en particulier. Si les collections sont totalement enfermées dans les musées et inconnues des publics, les motivations pour aller les voir diminue. La compétition Gif It Up propose alors une approche intéressante pour motiver les publics à être curieux des œuvres les moins connues des musées. Les gifs gagnants pour l’année 2021 ne sont pas issus d’œuvres iconiques des collections mais au contraire d’œuvres relativement peu connues, créant alors un élan de curiosité chez les personnes voyant les gifs.

Aussi, il nous est surement nécessaire en tant que visiteurs de changer notre rapport aux reproductions numériques (Latour et Lowe, 2011). Ces dernières ne doivent pas être considérées à l’aune de l’origine ou venir dévaloriser ce dernier. Les reproductions doivent être vues comme une sorte de nouvelle œuvre et être évaluée selon sa propre utilité. Elles ne devraient pas alors avoir d’impact sur l’aura d’une œuvre, seulement proposer de nouvelles expériences. Les photographies en très haute définition que proposent certains musées suivent cette logique en permettant au visiteur un zoom et donc la possibilité d’approcher le tableau dans des proportions normalement impossible. La Ronde de nuit de Rembrandt et sa numérisation en très haute résolution, permettant au visiteur de voir les pigments et les craquelures de la surface de l’œuvre, ce qui est impossible de voir à l’œil nu dans un musée.

Enfin, il parait pertinent d’évoquer l’intérêt scientifique de l’ouverture des collections. Un accès facilité aux collections permet une meilleure documentation scientifique de ces dernières et ainsi une meilleure connaissance de ces dernières. De plus, cela permet de conserver une trace des œuvres en cas de vol ou de destruction. Dans le premier cas, cela rend le trafic d’œuvre d’arts plus compliqué. Dans le second cas, cela permet que même si l’œuvre physique est détruite, la possibilité de l’utilisée à des fins de recherche ne disparaisse pas en même temps. On note aussi que le fait que les œuvres soient libres de droits et faciles d’accès encouragent les auteurs de texte scientifiques ou de vulgarisations à les utiliser car ils sont surs de ne pas avoir de problème avec les droits des œuvres. Ces logiques se voient encore renforcées dans une période de pandémie car, en cas de fermeture des musées, le seul accès aux œuvres est celui que les institutions permettent en ligne.

La covid-19 a donc servi de facteur accélérateur chez la plupart des institutions, juste dans des proportions différentes pour chacune. Dans la majorité des cas, les musées n’ont pas opéré un virage à 180° vis-à-vis de l’ouverture des collections et l’utilisation des ressources numériques en ligne. Les musées ayant déjà une volonté d’ouverture ont juste utilisé la situation et les aides parfois allouées par les gouvernements pour accélérer leurs processus de numérisation. De la même manière, les musées jusque là récalcitrants à se tourner vers une ouverture plus large de leurs collections en ligne se sont vus poussés à faire au moins un pas dans cette direction. La pandémie de la covid-19 et la fermeture des musées qu’elle a entrainé ont ainsi juste attisé des braises déjà présentes et non créé un feu sans accélérateur préalable.

Bibliographie :

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