La directive européenne sur le droit d’auteur, un texte controversé

Elise Razafindrakoto
museonum
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10 min readMay 24, 2022

En débat au Parlement européen pendant plus de deux ans, la directive européenne sur le droit d’auteur a été adoptée le 15 avril 2019.

Les dispositions de la nouvelle directive sur le droit d’auteur

Notre monde évolue chaque jour un peu plus vite et les technologies numériques le modifient quotidiennement. L’accès à des contenus créatifs se transforme. Face à la très rapide évolution du numérique et à la montée en puissance des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), l’Union européenne est confrontée à de nouveaux enjeux en matière de droit d’auteur. La dernière législation de l’Union européenne en matière de droit d’auteur remontait à 2001. La Cour de Justice de l’Union européenne était fréquemment interrogée sur cette directive et l’interprétation qui devait en être faite afin de s’adapter aux nouveaux enjeux. Le législateur ne pouvait arriver qu’à un seul constat : cette directive ne répondait plus aux besoins actuels.

La Commission européenne, organe détenant le monopole dans le domaine des propositions de directives, présente une première proposition en 2016. Présidé alors par Jean-Claude Juncker, l’organe européen émet la volonté d’offrir une protection plus importante aux artistes, créateurs, journalistes, à travers cette directive en adaptant la réglementation autour de la notion du droit d’auteur. Celle-ci doit permettre une meilleure rémunérations des créateurs, éditeurs et artistes via les partages de leurs contenus sur des plateformes comme YouTube, propriété de Google. A travers ce texte de loi, trois objectifs sont mis en exergue :

  • Faciliter l’utilisation des contenus sous droit d’auteur à des fins d’éducation, de recherche et de préservation du patrimoine culturel.
  • Élargir l’accès aux contenus sous droit d’auteur pour l’ensemble des citoyens de l’Union européenne
  • Appliquer des règles plus équitables en matière de droit d’auteur

Vivement attaquée par les géants américains du numérique et une partie de la société civile qui dénonce une atteinte à la liberté sur internet et y voit un avenir trop fermé, la directive a été largement soutenue par les artistes et les créateurs de contenus. Un certain nombre d’entre-eux ont créé leur propre lobbying en faveur de l’adoption du texte. Ainsi, près de 300 journalistes ou éditeurs de presse européens ont signé une tribune pour l’adoption de la directive, affirmant qu’elle était fondamentale pour la survie des artistes et auteurs. Quelques jours plus tard, une seconde tribune signée par près de 170 artistes était publiée dans le Journal du dimanche.

Une adoption délicate

C’est dans ce contexte houleux qu’une première proposition de directive sur le droit d’auteur a vu le jour à Bruxelles en 2016. L’objectif de cette proposition était clairement affirmé : il s’agissait d’adapter le droit d’auteur de l’Union européenne à l’ère numérique. Cette idée a largement été contestée par les défenseurs de la diffusion libre sur Internet. En effet, certains y voyaient des menaces sur l’accès au savoir. Le texte a donc été rejeté une première fois en juillet 2018 et plus de 250 amendements ont alors été déposés. Un premier accord sur les fondements de la directive a cependant été trouvé en septembre de la même année. Les discussions s’enchainent alors entre le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’Union européenne. La Commission européenne émet une nouvelle proposition de directive le 13 février 2019. Cette dernière est alors adoptée par le Parlement européen réuni en plénière à Strasbourg le 26 mars 2019. Le texte est adopté avec 348 voix pour, 274 voix contre et 36 abstentions sur les 658 députés présents. Le texte est enfin entériné le 15 avril 2019 par le Conseil de l’Union européenne.

Contrairement aux règlements (qui s’appliquent directement et dans leur totalité dans tous les pays membres de l’Union européenne), une directive doit être transposée dans les législations nationales. Ce type de texte donne des objectifs à atteindre et un cadre. Les États membres devaient donc transposer cette directive dans leurs législations nationales avant le 7 juin 2021 au plus tard. Cependant, cela ne s’est pas fait sans encombre.

Principales règles de la directive et les questions qu’elles ont suscitées

La directive aborde diverses problématiques mais deux articles phares ont soulevé de nombreuses questions.

L’article 17 (anciennement article 13) concerne l’utilisation des contenus sur une plateforme de partage sur internet. À travers cet article, la Commission européenne souhaitait conférer aux titulaires de droit d’auteur et aux ayants-droits plus de poids dans leurs négociations face aux diverses plateformes internet comme YouTube, plateforme appartenant à Google et hébergeant de nombreux clips vidéos mis en ligne par les utilisateurs. L’objectif de cet article consistait donc à s’attaquer à la problématique des plateformes qui reversent des sommes dérisoires aux titulaires de droit d’auteur sur les revenus qu’elles perçoivent via la publication de contenus non-autorisés (contenus protégés par le droit d’auteur mais republiés par d’autres utilisateurs de la plateforme sans aucune mention au créateur initial). Dans cette perspective, dans sa première proposition de directive, la Commission instaurait aux plateformes un contrôle des contenus à travers un système de filtrage automatique des données. Cela a posé de nombreuses divergences et soulevé de nombreuses questions comme celle de la censure. En effet, les opposants à cette proposition ont soulevé la possibilité que les plateformes pourraient exercer une forme de censure afin de se protéger des infractions de droit d’auteur. Dans cette perspective, le nouvel article 17 de la directive oblige les plateformes à conclure des accords de licence avec les titulaires de droit d’auteur et les ayants-droits et doivent faire leur maximum pour garantir l’indisponibilité des contenus non autorisés et leur suppression. Cependant, les systèmes de filtrage peuvent toujours être utilisés par les plateformes si elles le souhaitent… Par ailleurs, un allègement des règles est prévu pour les entreprises plus petites (ces entreprises doivent avoir moins de trois ans d’existence dans l’Union européenne, moins de 10 millions d’euro de chiffre d’affaire et moins de 5 millions d’utilisateurs par mois). On peut être amené à penser que cet allègement favorise les entreprises européennes face aux géants du numérique américains.

Le second article qui a fait couler beaucoup d’encre, est l’article 15 de la directive (anciennement article 11) consacré à l’utilisation des articles de presse par les plateformes. Avec cet article, la Commission européenne souhaite créer un droit voisin pour les éditeurs de presse afin qu’ils puissent négocier plus facilement les licences payantes avec les plateformes et les sites qui référencent automatiquement leurs articles, comme Google Actualités ou Facebook. Ce droit voisin ayant été adopté, les médias doivent être rémunérés lorsque leurs productions éditoriales sont réutilisées sur des plateformes. Une exception est apportée pour les courts extraits et les citations. Le partage des hyperliens reste libre suite aux importantes critiques qui dénonçaient une « taxe sur l’hyperlien ». Des questions restent cependant en suspend concernant cet article et des remarques ont pu être apportées, certain·e·s trouvant peut-être ce texte trop incomplet et craignant les mêmes répercussions que pour la presse espagnole en 2014. En effet, la péninsule ibérique avait alors publié une loi obligeant les plateformes à rémunérer les médias espagnols. En réponse à cette législation, les géants du web ont entamé un déréférencement de la presse du pays entrainant, cela va sans dire, une importante baisse de fréquentation pour ces journaux. L’inquiétude est donc posée mais la Commission compte sur le poids de l’Union européenne pour qu’une telle situation n’arrive pas. De plus, elle précise que les médias ont le choix de réclamer ou non cette compensation financière…

Outre ces deux articles phares, une autre prérogative a été critiquée. Il s’agit de la fouille automatique des textes et des données. À travers cette notion, la Commission souhaite généraliser l’exception du droit d’auteur dans l’ensemble de l’Union européenne pour la fouille automatique des textes et des données, aussi appelée Text and Data Mining (TDM) afin de supprimer le désavantage compétitif que pouvaient subir certains chercheurs européens face à l’existence d’un fair use américain . Cette disposition a généralement été bien accueillie même si elle est jugée trop restrictive pour certain·e·s. D’aucun souhaiterait qu’elle soit élargie à l’ensemble des groupes de recherche privés ainsi qu’aux entreprises mais cela n’a pas été pris en compte par la Commission.

Enfin, à travers cette directive, la volonté de la Commission européenne est également de faciliter les exceptions du droit d’auteur à des fins d’éducation ou de recherche mais également de protéger la liberté d’expression en autorisant l’utilisation de toute œuvre à des fins de citation, caricature, critique, parodie ou pastiche (GIF).

La transposition de la directive dans les législations des pays membres, du cas par cas.

Le cas des Pays-Bas

Bien que le pays ait voté contre le texte, les Pays-Bas ont fait preuve d’une réactivité sans précédent concernant la transposition de la directive européenne dans leur législation nationale. Un texte de loi est publié au Journal officiel le 29 décembre 2020 avec une précision indiquant que la loi entrerait en vigueur le 6 juin 2021, veille de la date limite prévue par la Commission européenne pour la transposition de la directive par les États membres. Le pays a fait le choix de rédiger une nouvelle loi modifiant les textes déjà existants portant sur le droit d’auteur, le droit voisin ou encore les textes portant sur la surveillance des plateformes en ligne. En effet, le 18 juin 2019, le Ministre de la Justice néerlandais publiait un premier jet de proposition de loi et mettait en place, de juillet à septembre 2019, une consultation en ligne. Cette consultation en ligne récolte près de 60 réactions et permet la création d’une nouvelle version du projet de loi par le ministre de la Justice. Les changements apportés dans la nouvelle version sont principalement positifs, comme par exemple, le fait que les plateformes sont ouvertement signifiées comme Online Content-Sharing Service Providers (OCSSPs). À la suite de ces modifications, une réunion est organisée par le ministère avec les auteurs, éditeurs ainsi que les plateformes afin d’échanger autour des changements apportés dans le nouveau texte. En janvier 2020, le texte de loi est approuvé par le Conseil des ministres néerlandais et est envoyé au Conseil d’État pour relecture. Enfin, le texte est envoyé à la Maison des représentants pour être voté. Des craintes se font entendre du côté de certaines associations comme COMMUNIA ou Bits of Freedom, ainsi que chez certains élus concernant l’article 17. Des propositions sont faites pour l’améliorer et des changements sont alors proposés par le législateur en octobre 2020. Le texte est adopté en décembre 2020 et entre en vigueur à l’été 2021.

Les Pays-Bas ont connu une transposition rapide de la directive européenne dans leur législation nationale mais ce n’est pas le cas de tous les pays membres de l’Union, bien au contraire.

Le décret comme meilleur allié du gouvernement français

Afin de transposer la directive dans sa législation, la France a fait le choix d’ajouter des articles à ses codes préexistants. Par exemple, l’article 15 de la directive européenne portant sur l’utilisation des articles de presse sur les plateformes en ligne et la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse a été intégré au Code de la propriété intellectuelle. Un nouveau chapitre a alors été créé en juillet 2019. Une fois l’article 15 intégrer au Code de la propriété intellectuelle, Google a remis le texte en question et a informé les États membres que la société refuserait de payer le droit voisin prévu aux éditeurs de presse. La France s’est alors tournée vers l’Autorité de la concurrence et a engagé une bataille judiciaire. Le géant du numérique a fini par signer un accord avec l’Alliance de la presse d’information générale (qui représente pas loin de 300 titres). La société américaine a également signé un accord avec la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe et la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques.

En décembre 2019, un projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique est proposé par le ministère de la Culture. La loi est adoptée par le Parlement et la plupart des amendements sont rejetés au début de l’année 2020. Dans le courant de l’année, le ministère de la Culture annonce l’intention du gouvernement français de faire passer l’article 17 de la directive de l’Union européenne par décret en complément de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (loi DDADUE). Évidemment, cela permet d’éviter tout débat au Parlement autour de cet article tant redouté… la loi est adoptée et publiée au Journal Officiel en décembre 2020.

La France a cependant connu des complications et n’a pas été en mesure de publier l’ensemble des prérogatives de la directive européenne en temps et en heure comme beaucoup d’autres États membres. En effet, les articles 15 et 17 de la directive posent de nombreuses questions et de craintes. Dans cette optique, de nombreux médias se sont alliés au Danemark afin de négocier collectivement avec les géants du numérique concernant la rémunération des droits voisins. De son côté, la Pologne a déposé une action en justice contre l’article 17 de la directive au nom de la liberté d’expression mais cette dernière a été rejetée par la Cour de justice de l’Union européenne.

Bien que personne ne puisse être contre une meilleure rémunération des artistes et créateurs de contenus, de nombreuses questions se posent quant à cette directive. En effet, dans de nombreux pays, les créateurs et artistes sont souvent représentés par des intermédiaires comme la Sacem en France. Les gains engrangés par ces organismes seront-ils redistribués équitablement ?

Par ailleurs, les défenseurs d’un internet libre tentent de prévenir sur les risques de dérive de la directive européenne. Des associations comme la Quadrature du net dénoncent le fait que cette directive ouvre la porte aux plateformes du numérique américaines qui dominent déjà le monde d’internet et à de possibles chantages imposés par les GAFAM. En effet, Google a déjà menacé de fermer Google Actualités en Europe si la taxe sur les hyperliens était adoptée…

Bibliographie

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