La réalité augmentée : Technologie révolutionnaire échouant aux musées ?

nk
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7 min readApr 23, 2019

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Bien que la réalité augmentée ne soit pas encore entièrement arrivée dans notre quotidien, elle possède déjà de nombreuses opportunités pour les institutions transmettant la culture, dont les musées. Bien sûr, même si la réalité augmentée et la réalité virtuelle sont actuellement des technologies très courues et ont refait surface récemment, il est possible de faire un examen rétrospectif de leur histoire sur plus d’une trentaine d’années (cf. Arnaldi, Guitton, Moreau 2018 : XI). Toutefois, il semble très souvent que les musées ne sont pas parvenus à s’ouvrir à ce changement technologique. Par exemple, après la visite du musée d’art contemporain de Montréal, du musée d’histoire naturelle à Berlin, où encore celle du Musée de la Civilisation en mars, je me suis demandé pourquoi des musées populaires et de grande envergure comme ceux-là ne présentent que peu d’expositions utilisant la réalité augmentée. C’est pourquoi je veux poser les deux questions suivantes : La réalité augmentée, est-elle un moyen inutile pour les musées puisqu’elle est trop peu utilisée par les visiteurs ? Ou sont-ils, les musées, obstacles pour eux-mêmes en restant trop conservateurs et trop pessimistes quant à cette révolution au niveau technologique ?

Afin de répondre à ces questions, je veux reculer au moment où la réalité augmentée entre la scène muséale. Comme le dit Francine Clément dans son article de 2013 traitant les premières expériences dans le monde muséal[1], les réactions sont aussi bien positives que résilientes face aux changements que peuvent apporter la réalité augmentée aux musées. Alors qu’une plupart trouve que les fonctions sont multiples, par exemple comme on peut voir ce qui n’est pas vraiment au même endroit, c’est l’auteure qui craint que la réalité augmentée vienne priver les visiteurs des musées du plaisir de découvrir les œuvres et leurs histoires à partir de vrais efforts tangibles. En fait, cette thèse est très surprenante puisque la réalité augmentée ne cherche pas à priver les visiteurs du musée mais à leur offrir une valeur ajoutée aux œuvres qui font partie de l’exposition physique, comme l’exprime par exemple la notion de réalité augmentée qui implique que l’environnement réel soit enrichi par des informations digitales supplémentaires (cf. Arnaldi, Guitton, Moreau 2018 : XXVI).

Deux modes d’application différents montrant la diversité de la réalité augmentée

Ce contenu additionnel est un des nombreux avantages de la réalité augmentée que je vais brièvement illustrer à travers mon expérience récente au musée de la civilisation à Québec. L’exposition utilisant la réalité augmentée a présenté « la créativité de Londres, de l’après-guerre à nos jours »[2]. Seule condition préalable : avoir téléchargé l’application du musée. En plus des informations sur l’architecture de la ville, son urbanisme ou les événements politiques importants, l’exposition présentait aussi des événements culturels, la mode et les influences musicales du passé. Juste à côté de la plupart des vitrines contenant des pièces d’exposition, avec un code-barres qui peut être scanné grâce à la caméra de mon portable et dont l’objectif est de présenter un vidéo sur l’écran de mon cellulaire. Comme cela, le musée a réussi à me captiver d’une façon différente qu’à partir du texte audio que l’on y retrouve normalement. Évidemment, la réalité augmentée favorise alors l’expérience muséale et, dans mon cas, j’ai bien profité du contenu additionnel qui était proposé.

Par ailleurs, cela évoque déjà une autre raison pour laquelle les musées devraient s’ouvrir davantage envers la réalité augmentée : l’espace limité des bâtiments muséaux. Mais en élargissant le terme du musée, on élargit en même temps la marge de manœuvre dans laquelle les musées peuvent s’investir. Le musée juif à Francfort sur le Main, par exemple, a créé une application à partir de laquelle on peut voir, sur une carte digitale de la ville, les endroits historiques de la communauté juive avant et pendant la 2e Guerre Mondiale[3]. Par la caméra de son téléphone intelligent, on peut bien capter le bâtiment ou autres éléments et puis on reçoit des informations sur ce lieu particulier. Il y en a bien d’autres exemples qui prouvent que la réalité augmentée cherche plutôt à présenter l’invisible comme, dans ce cas-ci, des éléments du passé qui sont aujourd’hui non accessibles et disparus.

Pourquoi alors les musées n’utilisent plus souvent la réalité augmentée comme dans le cas de Francfort ou, au moins, comme dans le musée de la civilisation à Québec ?

Comme le dit Ardielle Pardes déjà avec le titre de son article de septembre 2018, « For Museum, Augmented Reality is the next frontier »[4], beaucoup de musées sont actuellement en train de créer des expositions autour de la réalité augmentée, ou viennent de faire leurs premiers pas dans la réalité augmentée comme par exemple au musée de l’art contemporain à San Francisco avec son exposition montrant des œuvres de René Magritte[5]. Mais pourquoi a-t-on attendu si longtemps pour investir cette technologie ? Selon Pardes, il ne faut pas sous-estimer les coûts afférents aux nouvelles technologies, et le fait qu’il ne semble pas être possible de se mettre à niveau dès qu’une nouvelle technologie est lancée, même pour les grands musées.

Une raison pour laquelle il semble très probable que la réalité augmentée ne joue pas encore un grand rôle, c’est que les visiteurs comme aussi les musées ne semblent pas encore savoir quoi faire avec cette technologie. Les exemples cités dans l’article « 7 Great Examples of Augmented Reality in Museums »[6], donnaient tous l’impression qu’il fallait, avant de montrer n’importe quoi, apprendre comment interagir avec la réalité augmentée et comment inventer des offres favorisant l’exposition. Par exemple, je ne suis pas convaincu qu’une représentation digitale des dinosaures fonctionne bien sur un écran. C’est-à-dire qu’à mon avis, il faudrait attendre les possibilités qu’apportera la technologie des hologrammes si on veut ressusciter les spécimens d’une autre époque. À cet égard, la réalité augmentée montre déjà ce qui sera possible, un jour. Les musées semblent encore être à la recherche des manières de relier leurs expositions aux nouvelles technologies, mais ils ont déjà commencé à faire des expériences afin de comprendre ce que les visiteurs recherchent (cf. Oyelude 2018).

Qu’est-ce que sont les raisons pour lesquelles il faut s’investir dans la réalité augmentée ?

Quels que soient les motifs des musées de leur passivité vis-à-vis l’implantation de la réalité augmentée ou bien aussi de la réalité virtuelle, les avantages ne se peuvent plus être simplement écartés du revers de la main. Comme dit Anastasia Mozora, il y a sept raisons simples pour lesquelles il paraît incontournable d’endosser ces technologies [7]. Premièrement, on attire une plus grande audience, c’est-à-dire que l’on peut contribuer à une éducation qui a accès à une audience diverse. Par cela, l’influence de son institution augmente et on peut contribuer au changement sociétal. En plus de cela, l’augmentation du nombre de visiteurs peut faciliter le financement des dépenses pour les moyens technologiques nécessaires. Attention : pour cela il faut avoir une bonne idée de ce qui attire les masses. Deuxièmement, on peut créer des applications qui combinent d’autres formes d’éducation que l’exposition standardisée. Par exemple, les vidéos additionnelles au musée de la civilisation à Québec mentionnées plus au-dessus, traiter ce qui est montré par l’exposition d’une autre façon. Pourquoi ne pas imaginer que, au lieu d’une vidéo, on aurait à la fin de l’exposition accès à un jeu sur son téléphone intelligent, par exemple un quizz sur tout ce que l’on peut apprendre dans l’exposition. Donc, voyons aussi les autres manières de présenter le savoir du musée que la réalité augmentée nous permet de présenter.

Si la scène muséale veut se libérer de la réputation d’institution empoussiérée dont elle a souffert depuis que la révolution technologique a pris place, c’est la réalité augmentée qui contribuerait sûrement à se présenter d’une manière moderne.

Qu’alors attendre par la scène muséale dans les années suivantes ?

Tout compte fait, je propose le principe suivant : Oser et gagner ou ne pas oser et ne pas gagner. Toutefois, il faut rester réaliste dans la discussion sur cette réalité digitale. Certes, ses avantages sont multiples et chaque musée en profiterait définitivement. Malgré tout, il faut d’abord constater que nous vivons dans une époque qui est définie par des changement technologiques rapide. Ce qui est en vogue aujourd’hui va être dépassé demain et comme les institutions culturelles souffrent partout d’un manque des moyens financiers, il faut fortement questionner s’il faut toujours être au niveau de toute nouveauté. Même si les exemples donnés semblent très bien fonctionner, il faut aussi tenir en compte que les musées ont besoin d’apprendre ce qui marche comme offre au sein de la réalité augmentée et ce qui ne marche pas.

Néanmoins, et le cas de Francfort le montre très bien, la réalité augmentée exige de repenser les termes, donc aussi les tâches, du musée comme institution culturelle. Ce sont plus seulement les bâtiments dans lesquels nous retrouvons les musées, mais tout endroit au monde qui peuvent devenir une exposition muséale, et cela grâce au développement technologique. Il appartient à la réalité augmentée comme aux autres moyens numériques de rendre l’éducation accessible à tout le monde, donc plus juste et plus démocratique.

C’est pourquoi je propose alors de toujours rester ouvert à toute sorte de changement technologique même si cela veut dire qu’il faut redéfinir un terme car c’est aussi la société qui change perpétuellement et cela aura toujours de plus amples conséquences pour les institutions telles que les musées. C’est leur tour de réagir à ces changements, et même si cela veut dire qu’Il faut parfois attendre un développement au niveau technologique, cela ne signifie pas forcément un échec.

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[1] https://cursus.edu/articles/25671/la-realite-augmentee-entre-au-musee#.XLos3ZNKhD1

[2] https://www.mcq.org/fr/communique-presse?id=741792

[3] https://www.juedischesmuseum.de/en/explore/detail/invisible-places-frankfurt/

[4] https://www.wired.com/story/museums-augmented-reality-next-frontier/

[5] https://www.sfmoma.org/exhibition/rene-magritte/

[6] https://www.indestry.com/blog/2018/8/21/augmented-reality-museum-examples

[7] https://jasoren.com/how-to-use-augmented-reality-in-museums-examples-and-use-cases/

Arnaldi, Bruno/Pascal Guitton/Guillaume Moreau (2018): Virtual Reality and Augmented Reality. Myths and Realities. London, Hoboken: ISTE Ltd and John Wiley & Sons.

Oyelude, A. Adetoun (2018): Virtual reality (VR) and augmented reality (AR) in libraries and museums. Dans: Library Hi Tech News.

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